Opinion
Obama, délaissé
par ses alliés
Vladimir Evseïev
Photo: RIA
Novosti - © AFP/ Saul Loeb
Vendredi 30 août 2013
Source:
RIA Novosti
Le président Obama manque de temps et
doit choisir la meilleure des pires
options. C'est la première fois depuis
des décennies que les USA sont délaissés
par leurs alliés.
Mais même après le refus de leur
principal allié, le Royaume-Uni, de
participer à la campagne syrienne, les
Etats-Unis continuent d’insister sur la
formation d'une coalition internationale
pour intervenir.
La situation d'Obama est encore
aggravée par le fait qu'elle résulte de
nombreuses erreurs de la diplomatie
américaine au Moyen-Orient et en Afrique
du Nord. Alors quel choix reste-il à
Obama? Et en a-t-il vraiment un?
Le Printemps arabe, les
erreurs des Américains
L'investiture du président démocrate
Barack Obama en janvier 2009, a suscité
des espérances excessives au Proche
(Moyen)-Orient et en Afrique du Nord,
qui se sont encore renforcées après le
discours prononcé par M.Obama le 4 juin
à l'université du Caire. M.Obama a
notamment appelé à mettre fin à la
période de suspicions et de différends
entre l'Occident et le monde islamique.
Obama n'a pas réussi à le
concrétiser, entraînant une profonde
déception générale contre lui et
détériorant encore l'image des USA dans
les régions mentionnées.
A première vue
le Printemps arabe, qui a commencé à
la mi-décembre 2010, a créé de sérieuses
opportunités pour les USA pour rétablir
leur influence dans le monde musulman.
Les Américains ont toujours travaillé
aussi bien avec les gouvernements
qu'avec l'opposition. En cette période
d'éveil "démocratique" ils ont
facilement abandonné les "tyrans", si
loyaux en la personne de
Hosni Moubarak en Egypte ou de
Ben Ali en Tunisie.
Washington pensait réussir à
contrôler les islamistes modérés en les
plaçant à la tête de nouveaux
gouvernements pro-occidentaux. Et il a
fait une énorme erreur de calcul.
En réalité les islamistes se
cachaient uniquement derrière les
slogans démocratiques pour accéder au
pouvoir. Par la suite ils ont commencé à
mettre en place des régimes bien plus
stricts que les précédents, fondés sur
le respect littéral des traditions
islamiques. Sans pour autant régler les
graves problèmes socioéconomiques. La
Tunisie, la Libye et l’Egypte en sont
des exemples.
Barack Obama ne voulait alors pas
vraiment s'impliquer dans les conflits
armés qui s'enchaînaient dans les pays
arabes. Mais il ne pouvait pas non plus
lâcher ses alliés proches – la France et
le Royaume-Uni - en Libye. C'est
seulement grâce au soutien des
Américains qu'il a été possible de
renverser définitivement la situation en
faveur de l'opposition armée.
Mouammar Kadhafi a été renversé et
tué: une victoire à la Pyrrhus. La Libye
s'est retrouvée morcelée en plusieurs
régions contrôlées par les islamistes
radicaux. L'assassinat de l'ambassadeur
américain Christopher Stevens et de ses
collègues le 11 septembre 2012 à
Benghazi a été une suite logique des
événements.
La politique régionale américaine a
connu son plus grand échec en Egypte,
Etat le plus peuplé du monde arabe.
Début juillet 2013, les militaires
ont repris le pays, au seuil d'une
guerre civile, au président islamiste
Mohamed Morsi. L'administration Obama
s'est retrouvée dans l'impasse et a été
forcée de déclarer qu'elle ne
considérait pas les événements d’Egypte
comme un coup d'Etat militaire - mais a
exigé de libérer Mohamed Morsi.
En parallèle, le Caire a subi des
pressions politiques, militaires et
économiques. Cependant, le nouveau
gouvernement soutenu par l'Arabie
saoudite, les Emirats arabes unis et le
Koweït a fait preuve de fermeté et a
lancé un défi à Washington.
Avec la Syrie, tout est allé
de travers
En Syrie les USA se devaient de
réagir, au regard de cette situation
régionale défavorable. Et voici que les
commanditaires de l'attaque chimique à
Ghouta près de Damas, dans la nuit du 20
au 21 août 2013, leurs viennent en aide.
Selon diverses sources, entre 300 et
1.300 personnes ont été tuées – un
nombre de victimes suffisant pour lancer
une opération militaire sous le drapeau
de la délivrance de la région et du
monde face au danger des armes de
destruction massive.
Immédiatement, toute la
responsabilité a été rejetée sur Assad,
qui s'est vu proférer des menaces de
bombardement à l'instar du président
George W.Bush contre Saddam Hussein en
2003. Les Américains, soutenus par leurs
alliés, étaient donc supposés attaquer
la Syrie pour rétablir leur autorité
dans la région et permettre à Barack
Obama de renforcer sa position dans son
pays.
A l’origine de ce plan pourrait se
trouver la nouvelle conseillère d'Obama
pour la sécurité nationale, Susan Rice,
qui a une réputation controversée au
poste d'ambassadrice américaine auprès
de l'Onu.
Mais tout est allé de travers.
Premièrement, il s'est avéré qu'il n'y
avait pas de moyens d'attaque. Les
navires de guerre américains en
Méditerranée n'ont pas plus de 300
Tomahawk de croisière embarqués.
Selon les estimations des militaires
russes, cela suffirait seulement à
détruire une vingtaine de cibles
stationnaires. Et si les attaques
visaient des sites comme les aérodromes
militaires, l'efficacité serait
extrêmement basse compte tenu de leur
capacité rapide de remise en état
opérationnel.
Dans ces conditions, les Etats-Unis
peuvent uniquement entreprendre une
attaque de démonstration, qui ne
pourrait pas réduire significativement
le potentiel de l'armée syrienne et
témoignerait seulement de la faiblesse
des Américains.
Evidemment les USA disposent de bases
militaires en Turquie et en Jordanie.
Mais cela est clairement insuffisant
pour organiser une opération militaire
sérieuse.
Il serait également difficile
d'utiliser contre la Syrie les
nombreuses bases américaines du Golfe.
Leur éloignement géographique de la
région s'élève en effet à 1.500 km pour
un rayon d'action de l'aviation tactique
qui plafonne à 800 km.
Le redéploiement des navires et des
avions depuis le Golfe demanderait plus
d'une semaine - mais il serait alors
trop tard. Le problème chimique, dont la
gravité a été exagérée, paraîtra moins
sensible et il sera alors difficile de
persuader la population américaine qu'il
faut absolument bombarder la Syrie.
Deuxièmement, même les alliés proches
des Etats-Unis comme l'Allemagne ne sont
pas convaincus que c'est armée syrienne
qui a utilisé l'arme chimique à Ghouta.
Ils exigent d'attendre au moins la fin
de la mission d'enquête de l'Onu et la
présentation de ses résultats au Conseil
de sécurité des Nations unies.
Washington se retrouve donc dans une
situation très inconfortable car
le sommet du G20 des 5-6 septembre à
Saint-Pétersbourg approche. Une
intervention en Syrie avant cet
événement nécessiterait de sérieuses
explications en l'absence éventuelle de
preuves. D'autant que le programme du
sommet prévoit une rencontre entre
Barack Obama et Vladimir Poutine, où le
président russe attendra de son
homologue américain des arguments
clairs. Sinon la Russie pourrait, par
exemple, renforcer son groupe naval dans
l'est de la Méditerranée grâce à la
puissante flotte du Nord et reprendre
immédiatement les livraisons d'armes en
Syrie.
Ensuite, les congressistes américains
sont loin d'être tous convaincus du
besoin d'une opération militaire en
Syrie, y compris pour des raisons
financières.
Participants possibles à une
intervention militaire en Syrie
Dans les conditions d'une réduction
significative du budget du Pentagone,
ces actes pourraient demander la
révision des plans d'achat de nouveaux
armements ainsi que de nouveaux travaux
de recherche et de développement.
Enfin, même la Grande-Bretagne ne
pourra pas soutenir à court terme
l'opération américaine, puisque son
parlement s'est prononcé contre
l'intervention militaire en Syrie.
Le premier ministre turc Recep Tayyip
Erdogan se trouve dans une position
similaire. Il voudrait bien renverser
Bachar al-Assad par la force mais pas au
prix de sa propre carrière politique.
Le choix du moins pire
Obama se retrouve donc en crise de
temps et doit choisir la moins pire des
options. C'est la première fois depuis
des décennies que les USA se retrouvent
dans un isolement politique.
Evidemment, ils pourraient lancer une
frappe démonstrative en Syrie mais cela
ne règlerait rien et accélérerait la
chute de leur leadership politique dans
le monde.
La seconde option semble plus
raisonnable: s'abstenir d'attaquer et
continuer à chercher une solution
politique et diplomatique au problème
syrien dans le cadre de
la conférence internationale Genève-2.
Vladimir Evseïev,
directeur du Centre russe des études
politiques, pour RIA Novosti
© 2013
RIA Novosti
Publié le 1er septembre 2013
Le
dossier Syrie
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