Opinion
Libye:
Que sont devenus les arguments des
partis qui ont soutenu la guerre ?
Tony Busselen
Lundi de Pâques, la marche pour la Paix,
organisée par un collectif d'associations pacifistes,
est partie de Genval jusqu’à la Bourse de Bruxelles. C’était sa
9e édition et, cette année,
les participants dénonçaient spécialement l’intervention
militaire occidentale en Libye.
(Photo Solidaire, Martine Raeymaekers)
Mardi 26 avril 2011
Après quelques semaines de guerre, il est utile de
comparer les arguments des hommes politiques qui ont approuvé
l’intervention occidentale en Libye à la réalité de l’évolution
de la guerre sur place.
La guerre de l’OTAN contre la Libye se poursuit et on est
loin d’une solution. L’OTAN soutient désormais les troupes anti-kadhafistes
à l’aide conseillers militaires, et donc, de troupes au sol. Et
la Belgique est toujours dans le cockpit : les F-16 belges
mènent chaque jour une ou deux missions et, la semaine dernière,
ont effectué des bombardements à quatre reprises. Mais quels
étaient les arguments pour partir en guerre, et quelle est la
réalité aujourd’hui ?
1er argument : « L’intervention militaire était
nécessaire pour sauver des vies humaines »
Guy Verhofstadt (Open Vld) : « Au cours des prochaines
semaines, nous découvrirons sans aucun doute des massacres
collectifs. Il y aura dix fois plus de sang versé sans
intervention. » (De Standaard, 18 mars) Wouter De Vriendt (Groen!) :
« Nous ne pouvons assister passivement à la façon dont Kadhafi
bombarde son propre peuple. » (De Standaard, 28 mars)
La réalité. Le conflit armée entre les troupes de
Kadhafi et les rebelles s’est intensifié avec l’intervention,
avec plus de tués et de blessés dans les deux camps. À Misrata,
on dénombre jusque 100 morts par jour et l’Unicef parle de 20
enfants tués. Mais nous n’avons pas encore vu de massacres de
masse sur des citoyens désarmés. Et l’OTAN fait aussi des
victimes civiles : le 21 avril, sept innocents ont perdu la vie
sous les bombes de l’OTAN. Toutes les tentatives pour résoudre
le conflit de façon pacifique – cessez-le-feu, médiations,
négociations – ont été balayées de la table soit par la
résistance, soit par la coalition de l’OTAN.
2e argument : « Il s’agit uniquement d’une zone
d’exclusion aérienne, avec des frappes chirurgicales »
Le ministre de la Défense Pieter De Crem (CD&V) : « Une zone
d’exclusion aérienne implique l’élimination des appareils
libyens en l’air et consiste également à neutraliser la défense
antiaérienne du régime libyen. » Guy Verhofstadt (Open Vld) :
« Une interdiction de vol efficace pourrait requérir quelques
interventions chirurgicales, mais pas tellement. » (De
Standaard, 18 mars)
La réalité. On ne tire pas uniquement sur des avions
et sur la défense antiaérienne, mais aussi sur des chars, des
entrepôts, des bâtiments et autres infrastructures qui sont
également d’une importance vitale pour la population civile
(entre autres, la distribution d’eau). Et on ne s’en tient pas à
des bombardements : la pression pour envoyer des troupes
terrestres s’accroît. Grande-Bretagne, France et Italie ont
envoyé des conseillers militaires. Au Vietnam, à l’époque, cela
avait commencé par des bombardements. Ensuite, il y avait eu les
« conseillers » qui, peu de temps après, s’étaient révélés être
des troupes de combat qui, durant des années, allaient semer la
terreur dans une sale guerre.
3e argument : « L’action militaire sera de
courte durée »
Wouter De Vriendt (Groen!) : « L’opération doit rester la
plus courte possible. Nous devons éviter un scénario à
l’irakienne. » Juliette Boulet (Ecolo) plaide en faveur d’une
« intervention militaire ciblée, balisée, efficace, limitée dans
le temps ». Mais la N-VA et le CD&V parlaient en même temps
d’une opération de longue haleine. Le ministre des Affaires
étrangères, Vanackere, parlait même « d’un à deux ans ». (Radio
1, 19 mars)
La réalité. L’OTAN s’embourbe dans la guerre en Libye,
tout comme en Irak et en Afghanistan.
4e argument : « Il ne s’agit pas d’un
“changement de régime” »
Le sp.a, Groen! et Ecolo insistaient : le « changement de
régime » ne figure pas dans la Résolution 1973 de l’ONU. Mais
Peter Luyckx (N-VA) veut que l’intervention ait pour but de
« débusquer Kadhafi, de l’arrêter et, enfin, de le traduire en
justice ». Le Premier ministre Yves Leterme (CD&V) a déclaré que
« le régime de Kadhafi devait disparaître » et Jean-Marie
Dedecker (LDD) dit qu’il faut y aller à fond, car « faire un
petit peu la guerre est désormais devenu impossible ».
La réalité. Dès le premier jour, la France et la
Grande-Bretagne y sont allées pour un changement de régime et
c’est ce que veut aussi le président américain Obama. Que ceci
aille à l’encontre du droit international, ils s’en moquent.
5e argument : « Nous ne le faisons qu’avec le
soutien des pays arabes »
Wouter De Vriendt (Groen!) a demandé des garanties pour
l’implication des pays arabes, « sinon cette opération ne pourra
être menée à bien ». Dirk Van der Maelen (sp.a) parlait d’un
« grave problème » si le soutien des pays arabes et africains
devait tomber à l’eau.
La réalité. Déjà le premier jour des bombardements,
Amr Mousa, le secrétaire général de la Ligue arabe, se plaignait
de voir les bombardements tuer des civils plutôt que de les
sauver. Aux côtés de la coalition occidentale, nous ne trouvons
que les mini-États pétroliers comme le Qatar et les Émirats
arabes unis (avec, en coulisse, l’Arabie saoudite, pays
antidémocratique). Pour le reste, la Ligue arabe et l’Union
africaine ne veulent qu’une chose : une solution politique et
non militaire.
6e argument : « Nous agissons sur demande et en
soutien des rebelles qui veulent la démocratie »
Juliette Boulet (Ecolo) a demandé « une intervention aérienne
pour appuyer les insurgés ». Ecolo présent le Conseil national
de transition comme « l’autorité légitime du peuple libyen ».
Patrick Moriau (PS) baigne même en plein délire lyrique : « Il y
a un nouvel espace politique qui est en train de se dessiner,
entre la tyrannie et le djihadisme, entre Ben Ali et Ben
Laden. »
La réalité. Vu de plus près, le Conseil national de
transition ressemble plutôt à une combinaison entre… Ben Ali et
Ben Laden ! La direction de la révolte est truffée de transfuges
du régime Kadhafi et d’hommes de paille parachutés depuis les
États-Unis. Vendredi dernier, le sénateur américain, républicain
de droite, John McCain était en visite à Benghazi. Mais des
formations islamiques tel le Groupe islamique combattant se
réclamant d’Al-Qaïda, participent aussi aux combats et
accroissent leur influence.
7e argument : « L’intervention militaire a le
soutien du monde entier »
Daniel Bacquelaine (MR) : « Il ne s'agit pas d'une
intervention des Occidentaux en Libye, mais de défendre la
conscience universelle. » Dirk Van der Maelen (sp.a) déclare ne
pas vouloir perdre ce large soutien international.
La réalité. Il n’a jamais été question d’une
communauté internationale unie au profit de l’intervention
militaire. Les pays du BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) se
sont abstenus au Conseil de sécurité de l’ONU et sont contre ;
la plupart des pays arabes et africains sont contre, de même que
l’ensemble de l’Amérique latine. S’il est question d’une
« conscience universelle », elle ne peut être que pour la paix,
pas pour la guerre.
Le dossier Libye
Dernières mises à
jour
|