Syrie
Jihad : Washington
met en garde Ankara
Thierry Meyssan
MM. Erdoğan,
Fidan, Kerry et Obama
lors d’une rencontre à la Maison-Blanche
en mai 2012.
Dimanche 20 octobre 2013
Alors que la Russie et les États-Unis
ont conclu un début d’accord pour le
Proche-Orient en général et la Syrie en
particulier, la guerre continue en
Syrie. Ce paradoxe s’explique d’abord
par l’indiscipline et la haine dont font
preuve les gouvernements turc et
saoudien. Pour Thierry Meyssan, en
mettant à jour le rôle d’Hakan Fidan, le
Wall Street Journal adresse une
mise en garde à Ankara.
La presse turque a consacré quantité
d’articles à commenter l’étude du
Wall Street Journal sur Hakan Fidan [1].
Avec un unanimisme chauvin, elle
considère que l’attaque dont il fait
ainsi l’objet est une preuve a
posteriori du bien-fondé de la
politique d’indépendance du Premier
ministre Recep Tayyip Erdoğan face
aux États-Unis. Est-ce bien sûr ?
Selon le Wall Street Journal,
le chef du MIT (le principal service
secret turc) serait en réalité le
numéro 2 du régime, derrière le
Premier ministre et avant aussi bien
le président de la République,
Abdullah Gül, que le ministre des
Affaires étrangères, Ahmet Davutoğlu.
L’arrivée de l’homme de confiance
de M. Erdoğan à la tête du MIT, en
mai 2010, aurait marqué le début
d’une politique non-états-usienne de
la Turquie : arrestation et
condamnation des officiers
supérieurs jadis lié au Pentagone
(procès Ergenekon), soutien aux
Frères musulmans à l’occasion du
printemps arabe, et tentative
d’utiliser le conflit syrien pour
démembrer le pays et y créer un État
kurde.
Surtout, le Wall Street
Journal accuse Hakan Fidan de
soutenir les jihadistes en Syrie, y
compris ceux qui sont le plus
violemment anti-occidentaux, malgré
les avertissements de Washington. Il
cite un parlementaire kémaliste,
Mehmet Ali Ediboglu, qui atteste
avoir vu une dizaine de voitures de
police turque escorter plus d’une
cinquantaine d’autobus conduisant
des jihadistes en Syrie,
c’est-à-dire un convoi de plus de
2 000 combattants. Il ne s’agirait
pas d’un incident isolé.
Cependant, le quotidien oublie de
mentionner qu’à la différence de
Recep Tayyip Erdoğan, Hakan Fidan
n’est pas un Frère musulman, mais a
été un proche de Fethullah Gülen (le
gourou du président Gül). De même,
les enquêteurs du Wall Street
Journal font l’impasse sur son
passé, comme si le chef des services
secrets turcs sortait de nulle part.
Le quotidien mentionne son passage à
la tête de l’Agence turque de
coopération internationale (Tika)
sans indiquer son rôle pour étendre
l’influence d’Ankara en Asie
centrale et, via la vallée de la
Ferghana, jusqu’en Chine. Il évoque
les accusations israéliennes de
collaboration avec l’Iran lorsqu’il
travaillait à l’AIEA, mais sans
préciser que Monsieur Fidan a été
nommé chef du MIT trois jours avant
l’affaire du Mavi Marmara
pour superviser l’opération.
Pour notre part, nous
interprétons à l’inverse cette
polémique : il y a un mois, rien
dans la politique turque n’heurtait
les intérêts US. Au contraire. Tout
a été fait sur ordre de Washington.
Ainsi,
la condamnation des officiers
supérieurs n’est pas un coup porté
aux États-Unis, mais une sanction de
leur volonté de prendre de la
distance avec eux et de se
rapprocher de l’Armée populaire
chinoise comme le prouve la
condamnation avec eux de
responsables du minuscule Parti des
Travailleurs, d’obédience maoïste [2].
Le
soutien aux Frères musulmans en
Afrique du Nord n’est pas une lubie
soudaine d’Ankara, mais l’exécution
du plan du département d’État,
coordonné au cabinet d’Hillary
Clinton par la « soeur » Huma
Abedin et à la Fondation William J.
Clinton par le « frère »
Gehad El-Haddad, par ailleurs
responsable de la communication du
parti de M. Erdoğan. on observera
d’ailleurs que la mère de Madame
Abedin dirigeait avec Madame Morsi
la branche féminine de la Confrérie,
tandis que le père de M. el-Haddad
était le conseiller diplomatique du
président Morsi.
Enfin,
les tentatives de créer un État
kurde en Syrie sont conformes aux
attentes du Pentagone qui entendait
fractionner la Syrie en plusieurs
États, selon la carte publiée par
Ralph Peters en 2006 [3].
Et Hakan Fidan, qui participa en
2009 aux négociations secrètes avec
le PKK à Oslo, est le meilleur
connaisseur turc du sujet.
En outre, le virage politique
turc n’a pas eu lieu en mai 2010
avec l’arrivée d’Hakan Fidan à la
tête du MIT, mais en 2011, lors de
la guerre contre la Libye. À
l’époque, c’est sous la pression du
département d’État qu’Ankara a pris
conscience des occasions offertes
par l’accord USA-Frères musulmans.
C’est depuis ce moment que Recep
Tayyip Erdoğan est redevenu un « frère »,
malgré son prétendu renoncement à la
Confrérie lors de son incarcération
en 1998 et sa « conversion »
à la laïcité.
Le véritable problème est
ailleurs : le soutien aux jihadistes.
Au début de la guerre en Syrie, il
était financé par le Qatar et
coordonné par l’Otan depuis la base
turque d’Incirlik. Il n’y avait donc
rien à redire. Mais depuis l’accord
russo-US lors de la crise des armes
chimiques, les États-Unis se sont
retirés militairement du conflit
syrien tandis que la Turquie et
l’Arabie saoudite continuent le jeu.
Dès lors, l’article du Wall
Street Journal doit être vu
comme une mise en garde adressée à
Messieurs Erdoğan et Fidan. Faute
d’avoir vaincu la Syrie dans les
temps, ils sont priés d’abandonner
la partie quelles qu’en soient pour
eux les conséquences en politique
intérieure.
Hakan Fidan, qui a travaillé pour
les services de renseignement de
l’Otan durant la guerre du Kosovo et
qui a suivi des études aux
États-Unis, devrait comprendre ce
message.
Source
Al-Watan (Syrie)
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