Focus
Le TSL, tribunal d'exception
Thierry Meyssan
Lundi 20 janvier 2014
Conformément à son nom, le Tribunal
spécial pour le Liban est si spécial que
ce n’est pas un organe judiciaire, mais
un instrument politique. Créé pour
condamner les présidents Émile Lahoud et
Bachar el-Assad, il fut ultérieurement
utilisé en vue de condamner le général
Kassem Suleimane et l’ayatollah Ali
Khamenei, pour être dirigé aujourd’hui
contre le Hezbollah. L’histoire de ce
tribunal d’exception illustre les
convulsions de l’impérialisme au
Proche-Orient et en Russie.
Le Tribunal
spécial pour le Liban (TSL) a tenu
ses premières séances publiques, dix
ans après l’assassinat de l’ancien
Premier ministre libanais Rafik
Hariri.
Jusqu’au dernier moment, les
Syriens se sont demandés si le TSL
ne serait pas utilisé in extremis
par Washington pour saboter la
conférence de paix de Genève 2. Il
suffisait pour cela de réactiver les
accusations à l’encontre du
président el-Assad. Ce ne fut
heureusement pas le cas.
Le TSL n’est pas un tribunal
international et ne suit pas les
règles de la Justice internationale.
En effet, il a été fondé non pas par
l’Assemblée générale des Nations
Unies et par le Parlement libanais,
mais par un accord entre les deux
Exécutifs. Il s’est doté de règles
propres qui empruntent selon les cas
à la Justice internationale ou à la
Justice libanaise, ou encore à ses
propres besoins. Comme l’a souligné
le secrétaire général des Nations
Unies de l’époque, Kofi Annan : « Il
n’est pas un organe subsidiaire de
l’ONU, ni un élément de l’appareil
judiciaire libanais ».
Ce tribunal d’exception avait
pour mission première de condamner
les présidents libanais et syrien,
Émile Lahoud et Bachar el-Assad pour
justifier d’une intervention
internationale contre le Liban et la
Syrie. Le comportement de la
première mission d’enquête reste
dans les mémoires comme une
succession de complots et de
manipulations se concluant par le
scandale des faux témoins rémunérés,
le retrait de l’accusation et la
démission du chef honteux de la
commission, Detlev Mehlis.
L’assassinat de Rafic Hariri et
le TSL lui-même ne sont, en réalité,
que deux des épisodes de la guerre
que les États-Unis mènent contre le
Liban et la Syrie depuis qu’ils ont
décidé de les détruire, le 15
septembre 2001, et comme ils l’ont
annoncé publiquement en adoptant le
Syria Accountability and Lebanese
Sovereignty Restoration Act
(SALSRA) de 2003, toujours en
vigueur.
Parmi les victimes de ce complot,
quatre généraux libanais, Moustafa
Hamdane, Jamil Sayyed, Ali Hajj et
Raymond Azar, furent arrêtés et
emprisonnés sur la base de faux
témoignages. Accusés mondialement
d’avoir assassiné Rafik Hariri, leur
détention prolongée facilita
grandement l’agression israélienne
de 2006.
Ces manœuvres ayant échouées, les
États-Unis et Israël tentèrent à
nouveau de briser la Résistance
libanaise et de provoquer la guerre
avec la Syrie en demandant, en 2008,
au Premier ministre Fouad Siniora,
d’interdire l’approvisionnement du
Hezbollah en armes iraniennes et de
couper le téléphone filaire de la
Résistance. Là encore ce fut un
échec. En définitive, Washington et
Tel-Aviv changèrent de stratégie et,
plutôt que de se confronter
directement aux peuples libanais et
syrien, ils choisirent de fomenter
une guerre de quatrième génération
sur le territoire syrien.
D’abord tombé en sommeil, le TSL
s’était transformé en une sinécure
pour juristes de luxe. Puis, il vint
à l’idée de l’ambassadeur Jeffrey
Feltman, actuel chef politique de
l’ONU, de l’utiliser contre le
Hezbollah et l’Iran. L’idée était
d’accuser des résistants libanais et
de prétendre qu’ils tenaient leurs
ordres non pas de sayyed Hassan
Nasrallah, mais du général Kassem
Suleimane (commandant de la Force
Al-Quods) et du guide iranien de la
Révolution, l’ayatollah Ali
Khamenei.
Pour ce faire, on nomma président
du TSL le juge Antonio Cassese,
conseiller juridique de
l’organisation terroriste
anti-iranienne les Moujahidines du
Peuple. Cependant, démasqué, le
magistrat corrompu fut contraint à
son tour à la démission. Compte tenu
du rapprochement de Washington avec
Téhéran, cette partie du plan a été
abandonnée et il ne reste plus que
l’accusation contre le Hezbollah.
Le TSL a été financé par 28 États
à hauteur de 60 millions d’euros
annuels. Principalement par l’Arabie
saoudite, les États-Unis, la France,
le Royaume-Uni et le Liban. Mais pas
par la Russie. En effet, Vladimir
Poutine le considère comme un piège
qui pourrait être utilisé comme
précédant pour établir un tribunal
ad hoc contre lui et lui
faire endosser la responsabilité de
la guerre contre l’Émirat islamique
d’Itchkérie (Tchétchénie).
Confirmant l’inquiétude russe, le
président Barack Obama avait même
proposé à Dmitri Medvedev de le
soutenir contre Poutine s’il
s’engageait à le livrer à un
tribunal de circonstance.
Le TSL a mis en accusation cinq
résistants libanais, Moustafa
Badreddine, Salim Ayyash, Hassan
Habib Merhi, Hussein Oneissi et
Assad Sabra, qu’il juge par
contumace en violation des principes
de la Justice internationale.
Lors de sa première journée
d’audience, le Tribunal a entendu le
résumé des faits. Il existe deux
théories sur la manière dont
l’attentat fut commis. La première
met en évidence l’explosion d’une
camionnette, tandis que la seconde
—que j’exposais dans la presse russe
en 2010— souligne que les
constatations médico-légales et le
déplacement des voitures lors de
l’explosion ne sont pas compatibles
avec un explosif classique, mais
exclusivement avec une arme
ultra-moderne de nanotechnologie.
Ignorant mes objections, le
procureur a longuement présenté la
première version alors même que le
TSL a échoué à la reconstituer. En
2010, il avait en effet tenté de me
confondre en investissant des sommes
considérables pour reconstruire à
l’identique, sur une base militaire
française, le quartier de la Marina
et y tester les conséquences de
l’explosion de 2,5 tonnes
d’équivalent TNT. Le résultat montra
l’impossibilité de la théorie
officielle et fut donc classé à la
poubelle.
Peu importe, c’est sur une base
que chacun sait fausse que le TSL
travaille aujourd’hui.
C’est que la seconde théorie
modifie les perspectives : en 2005,
cette arme était exclusivement aux
mains de l’Allemagne. Et l’on voit
mal Berlin la fournir à la Syrie ou
au Hezbollah. Il est par contre
envisageable que l’Allemagne, membre
de l’Otan, l’ait fournie aux
États-Unis.
Il n’est pas question pour
Washington que le TSL aborde cette
question car le même procédé a été
utilisé par la CIA dans d’autres
régions du monde, notamment à
Islamabad (20 septembre 2008).
Encore qu’au Pakistan, un incident
vint modifier le scénario de
l’attentat : une barrière de
contrôle retint trop longtemps le
camion d’explosifs classiques qui
devait faire diversion. Il détona à
distance du cratère formé par l’arme
allemande. Il y eut donc deux
cratères entremêlés pour une seule
explosion officielle.
De son côté, le Hezbollah a
récusé les accusations portées
contre ses membres. Pour se
défendre, il a révélé intercepter
depuis longtemps les signaux des
drones israéliens. Il a publié les
vidéos tournées par ces drones pour
espionner Rafik Hariri durant les
semaines précédant son assassinat et
sur le lieu du crime pour sa
préparation.
En outre, l’Armée libanaise a
montré que le jour du crime les
États-Unis avaient un dispositif
AWACS d’observation au-dessus du
Liban et qu’ils avaient brouillé
tous les signaux d’origine
libanaise. Invités à expliquer cette
étrangeté et à fournir la copie de
leurs données, qui permettrait de
confirmer ou d’infirmer les
suspicions du Hezbollah et ma
théorie, les États-Unis s’y
refusèrent. Ils avaient, jusque là,
appelé la communauté internationale
à collaborer à l’enquête.
Ainsi, contrairement à ses
prétentions, le TSL ne vaut pas
meilleur que la piteuse Commission
d’enquête qui l’a précédé. Alors que
Detlev Mehlis, qui était dénoncé par
ses anciens collègues allemands
comme étant un agent du Mossad, a
lui-même soudoyé des témoins et
falsifié des pièces, le TSL a
maintenu en prison les quatre
généraux libanais, refusé de juger
Detlev Mehlis et ses faux témoins,
occulté les éléments transmis par le
Hezbollah et moi-même, et en
définitive juge des suspects par
contumace.
Source
Al-Watan (Syrie)
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