Opinion
L'Armée syrienne
libre est commandée par le gouverneur
militaire de Tripoli
Thierry Meyssan
Aldelhakim Belhaj, leader historique
d’Al Qaida en Libye,
gouverneur militaire de Tripoli, chef de
l’Armée syrienne libre.
Dimanche 18 décembre 2011
À la faveur
du « printemps arabe » et des
interventions de l’OTAN, officielles ou
secrètes, le Qatar tente d’imposer
partout où il le peut des dirigeants
islamistes. Cette stratégie l’a conduit
non seulement à financer les Frères
musulmans et à leur offrir Al-Jazeera,
mais aussi à soutenir les mercenaires
d’Al Qaida. Ces derniers encadrent
désormais l’Armée syrienne libre.
Cependant, cette évolution soulève de
vives inquiétudes en Israël et parmi les
partisans du « choc des civilisations ».
Les membres du Conseil de sécurité
des Nations unies s’affrontent sur
l’interprétation à donner des événements
qui endeuillent la Syrie. Pour la
France, le Royaume-Uni et les
États-Unis, une révolution agite le
pays, dans le prolongement du «
printemps arabe », et fait l’objet d’une
répression sanglante. Au contraire, pour
la Russie et la Chine, la Syrie fait
face à des bandes armées, venues de
l’étranger, qu’elle combat
maladroitement en faisant des victimes
collatérales parmi la population civile
qu’elle tente de protéger.
L’enquête que le Réseau Voltaire a
menée sur place valide cette seconde
interprétation [1]. Nous avons recueilli
des témoignages directs des survivants
des attaques de ces groupes armés. Ils
décrivent certains agresseurs comme
étant des Irakiens, des Jordaniens ou
des Libyens, reconnaissables à leur
accent, ainsi que des pachtounes.
Au cours des derniers mois, certains
journaux arabes, favorables à
l’administration el-Assad, ont évoqué
l’infiltration en Syrie de 600 à 1 500
combattants du Groupe islamique
combattant en Libye (GICL) renommé
depuis novembre 2007 Al Qaida en Libye.
Fin novembre, la presse libyenne a
relaté la tentative de la milice de
Zintan d’arrêter Abdelhakim Belhaj,
compagnon d’Oussama ben Laden [2], chef
historique d’Al Qaida en Libye, devenu
gouverneur militaire de Tripoli par la
grâce de l’OTAN [3]. La scène a eu lieu
à l’aéroport de Tripoli, alors qu’il
partait en Turquie. Enfin, des journaux
turcs ont évoqué la présence de M.
Belhaj à la frontière turco-syrienne.
Ces imputations se heurtent à
l’incrédulité de tous ceux pour qui Al
Qaida et l’OTAN sont des ennemis
irréductibles entre lesquels aucune
coopération n’est possible. Au
contraire, elles confortent la thèse que
je défends depuis les attentats du 11
septembre 2001, selon laquelle les
combattants étiquetés Al Qaida sont des
mercenaires utilisés par la CIA [4].
Qui dit vrai ?
Depuis une semaine le journal
monarchiste espagnol ABC publie en
épisode le reportage du photographe
Daniel Iriarte. Ce journaliste côtoie
l’Armée syrienne libre (ASL) dans le
nord du pays, justement à la frontière
turque. Il a pris fait et cause pour la
« révolution » et n’a jamais de mots
assez durs contre le « régime el-Assad
».
L’Armée syrienne libre serait
composée de plus de 20 00 hommes selon
son chef politique, le colonel Riyad Al
Asaad, de seulement quelques centaines
selon les autorités syriennes [5].
Pourtant, dans l’édition datée du
samedi 17 décembre 2011, Daniel Iriarte
témoigne d’une rencontre qui l’a choqué.
Alors que ses amis de l’ASL le
conduisait dans une nouvelle cachette,
il se trouva avec d’étranges insurgés :
trois Libyens [6].
Mahdi al-Harati, commandant de la
Brigade de Tripoli, a démissionné de ses
fonctions de numéro 2 du Conseil
militaire de Tripoli pour aller encadrer
l’Armée syrienne libre.
Le premier d’entre eux était Mahdi
al-Hatari, un Libyen ayant vécu en
Irlande avant de rejoindre Al Qaida. À
la fin de la guerre de Libye, il devint
le commandant de la Brigade de Tripoli,
puis le numéro 2 du Conseil militaire de
Tripoli dirigé par Abdelhakim Belhaj. Il
démissionna de cette fonction, selon les
uns parce qu’il était entré en conflit
avec le Conseil national de transition,
selon d’autres parce qu’il souhaitait
rentrer en Irlande dont son épouse est
ressortissante [7]. En réalité, il a
rejoint la Syrie.
Plus étrange encore : ce membre d’Al
Qaida se trouvait, en juin dernier,
parmi les militants pro-palestiniens
embarqués sur le navire turc Mavi
Marmara. Des agents de nombreux services
secrets, notamment US, s’étaient
infiltrés dans la « Flottille de la
Liberté » [8]. Il fut blessé et retenu
prisonnier durant neuf jours en Israël.
Enfin, durant la bataille de Tripoli,
Mahdi al-Harati a commandé le groupe
d’Al Qaida qui a assiégé et attaqué
l’hôtel Rixos, où je me trouvais avec
mes compagnons du Réseau Voltaire et la
presse internationale, et dont les
sous-sols servaient d’abri à des
dirigeants de la Jamahiriya sous la
protection de la garde de Khamis Kadhafi
[9]. Selon ce dernier, Mahdi al-Harati
bénéficiait des conseils d’officiers
français, présents sur le terrain.
Le second Libyen rencontré par le
photographe espagnol dans l’Armée
syrienne libre n’est autre que Adem
Kikli, un autre lieutenant d’Abdelhakim
Belhaj. Enfin, Daniel Iriarte n’a pas
été en mesure d’identifier le troisième
Libyen que l’on appelait Fouad.
Ce témoignage recoupe ce que les
journaux arabes anti-Syriens clament
depuis plusieurs semaines : l’Armée
syrienne libre est encadrée par au moins
600 « volontaires » d’Al-Qaida en Libye
[10]. Toute l’opération est dirigée par
Abdelhakim Belhaj en personne avec
l’aide du gouvernement Erdogan.
Comment expliquer qu’un quotidien
aussi anti-Assad qu’ABC ait décidé de
publier le témoignage de son envoyé
spécial alors qu’il met en lumière les
méthodes nauséabondes de l’OTAN et
confirme la thèse gouvernementale
syrienne de la déstabilisation armée ?
C’est que depuis une semaine, certains
idéologues du choc des civilisations se
rebellent contre ce dispositif qui
intègre des extrémistes islamistes dans
la stratégie du « monde libre ».
Invité du blog de CNBC [11], l’ancien
Premier ministre espagnol José Maria
Aznar a révélé le 9 décembre 2011
qu’Abdelhakim Belhaj était suspecté
d’être impliqué dans les attentats du 11
mars 2004 à Madrid [12] ; attentats qui
mirent fin à la carrière politique
nationale d’Aznar.
Cheik Ali Salabi, guide spirituel d’Al
Qaida en Libye, mentor d’Abdelhakim
Belhaj, et homme fort de la « nouvelle
Libye »
La sortie de M. Aznar correspond à
des interventions de ses amis du
Jerusalem Center for Public Affairs, le
think tank dirigé par l’ancien
ambassadeur israélien à l’ONU, Dore Gold
[13]. Ils expriment publiquement leurs
doutes sur le bien-fondé de la stratégie
actuelle de la CIA de placer des
islamistes au pouvoir partout en Afrique
du Nord. Leur critique vise d’abord la
très secrète confrérie des Frères
musulmans, mais surtout deux
personnalités libyennes: Abelhakim
Belhadj et son ami le cheik Ali Al-Salibi.
Ce dernier est considéré comme le nouvel
homme fort du pays [14]. Les deux hommes
sont réputés être les pions du Qatar
dans la nouvelle Libye [15]. C’est
d’ailleurs le cheik Salabi qui a
distribué les 2 milliards de dollars
d’aide qatariote à Al-Qaida en Libye
[16].
Ainsi la contradiction que l’on
s’efforce de masquer depuis dix ans
revient à la surface : les mercenaires,
jadis rémunérés par Oussama Ben Laden,
n’ont jamais cessé de travailler au
service de la stratégie US depuis la
première guerre d’Afghanistan, y compris
durant la période des attentats du
11-Septembre. Ils sont pourtant
présentés par les dirigeants occidentaux
comme des ennemis irréductibles.
Il est probable que les objections de
M. Aznar et du Jerusalem Center for
Public Affairs seront balayées par
l’OTAN comme l’ont été celles du général Carter Ham,
commandant en chef de l’Africom. Il
s’indignait, au début de la guerre de
Libye, de devoir protéger des jihadistes
qui venaient de massacrer des GI’s en
Irak.
Loin de la réalité, le Comité
anti-terroriste de l’ONU (dit « Comité
d’application de la résolution 1267 »)
et le département d’État des États-Unis
maintiennent sur leur liste noire
l’organisation d’Abdelhakim Belhaj et du
cheik Salabi sous son ancienne
dénomination de Groupe islamique
combattant en Libye. Il est paraît-il du
devoir de chaque État d’arrêter ces
individus s’ils passent sur leur
territoire.
Thierry Meyssan
[1]
«
Mensonges et
vérités sur la Syrie
», par Thierry Meyssan,
Réseau Voltaire,
27 novembre 2011.
[2]
«
Libya’s Powerful
Islamist Leader
», par Babak Dehghanpisheh,
The Daily Beast,
2 septembre 2011.
[3]
«
Comment les hommes
d’Al-Qaida sont arrivés au pouvoir en
Libye
», par Thierry Meyssan,
Réseau Voltaire,
6 septembre 2011.
[4]
«
Ennemis de l’OTAN
en Irak et en Afghanistan, alliés en
Libye
», par Webster G. Tarpley,
Réseau Voltaire,
21 mai 2011
[5]
« Syria’s opposition, rebels hold talks
in Turkey », par Safak Timur, AFP, 1er
décembre 2011.
[6]
«
Islamistas libios
se desplazan a Siria para "ayudar" a la
revolución
», par Daniel Iriarte,
ABC
(Espagne), 17 décembre 2011. Version
française : «
Des islamistes
Libyens en Syrie pour "aider" la
révolution
», traduction de Mounadil Al-Djazaïri,
Réseau
Voltaire,
18 décembre 2011.
[7]
«
Libyan-Irish
commander resigns as deputy head of
Tripoli military council
», par Mary Fitzgerald,
The Irish Times,
11 octobre 2011.
[8]
«
Flottille de la
liberté : le détail que Netanyahu
ignorait
», par Thierry Meyssan,
Réseau Voltaire,
6 juin 2010.
[9]
«
Thierry Meyssan et
Mahdi Darius Nazemroaya menacés de mort
à Tripoli
», Réseau
Voltaire,
22 août 2011.
[10]
« Libyan fighters join "free Syrian army"
forces »,
Al Bawaba,
29 novembree 2011.
[11]
«
Spain’s Former
Prime Minister Jose Maria Aznar on the
Arab Awakening and How the West Should
React
», CNBC.com., 9 décembre 2011.
[12]
«
Attentats de
Madrid : l’hypothèse atlantiste
», par Mathieu Miquel,
Réseau Voltaire,
6 novembre 2009.
[13]
«
Diplomacy after
the Arab uprisings
», par Dore Gold,
The Jerusalem Post,
15 décembre 2011.
[14]
«
Meet the likely
architect of the new Libya
», par Marc Fisher, The Washington Post,
9 décembre 2011.
[15]
«
Libyans wary over
support from Qatar
», par John Thorne,
The National
(Émirats arabes unis), 13 décembre 2011.
[16]
John Thorne, op. cit.
Le sommaire du Réseau Voltaire
Le
dossier Syrie
Les dernières mises à jour
|