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Les
États-Unis doivent-ils cesser de bloquer l’élection présidentielle
libanaise ?
Thierry Meyssan
Condoleezza Rice
9 novembre 2007 Le
Sénat des États-Unis a conduit des auditions pour évaluer la
politique de containment de la Syrie et de ses
alliés qui conduit à provoquer une crise institutionnelle au
Liban. Le débat a montré que Washington aurait tout intérêt à
faire preuve de souplesse, mais il est peu probable que le département
d’État abandonne une politique réclamée par le lobby pro-israélien.
Exigeant un arrêt immédiat du
soutien syrien aux organisation de la Résistance palestinienne et
le départ de son armée du Liban, les États-Unis ont adopté en
décembre 2003 le Syria Accountability and
Lebanese Sovereignty Restoration Act, mis en place des
sanctions économiques et instauré un isolement diplomatique (containement)
de Damas et de ses alliés libanais. Cependant cette politique
n’avait plus de raison d’être après le retrait militaire du
Liban et l’arrivée du Hamas au pouvoir en Palestine occupée.
Elle a été remise en cause par l’Iraq Study Group (dit
« Commission Baker-Hamilton »), en décembre 2006. Les
sages estimaient que la stabilisation de l’Irak et le retrait
partiel des GI’s supposaient une collaboration avec les États
riverains, dont la Syrie. Bien que leur rapport ait retenti comme
un coup de tonnerre dans le ciel de Washington, il ne fut pas
suivi d’effet, hormis la nomination de l’un de ses rédacteurs,
Robert Gates, au département de la Défense en remplacement de
Donald Rumsfeld.
Or, la tactique du containement
de la Syrie et de ses alliés bloque aujourd’hui l’élection
du président de la République du Liban, qui devrait intervenir
au plus tard le 24 novembre : Washington fait barrage à tout
candidat « pro-Syrien » et tente en vain d’imposer
une personnalité à sa convenance.
Le maintien de la politique
actuelle et du blocage qu’elle implique au Liban, pourrait
conduire à l’installation de deux gouvernements parallèles à
Beyrouth, ce qui serait préjudiciable aux intérêts états-uniens
et conduirait le Liban vers une nouvelle guerre civile. Faut-il
alors rompre avec le containement et laisser
un ami de Damas s’installer au palais Baabda ? Telle était
la question à laquelle devaient répondre les experts convoqués,
le jeudi 8 novembre 2007, par la Commission des relations
internationales du Sénat des États-Unis.
Le co-président de la Commission,
le républicain Richard Lugar, avait choisi d’introduire le débat,
mais d’en laisser l’organisation au démocrate John Kerry. Le
président de la Sous-commission du Moyen-Orient, le démocrate
Gary Ackerman, a tenu à cadrer le débat en qualité de président
de l’Assemblée internationale des parlementaires juifs
(International Council of Jewish Parliamentarians - ICJP). David
Welch représentant Condoleezza Rice a donné le point de vue du département
d’État. Robert Mailley de l’International Crisis Group a présenté
les arguments en faveur du dialogue, tandis qu’Emile El-Hokayem
du Henry L. Stimson Center a plaidé pour la poursuite du containment.
Voici une synthèse des débats.
La position du lobby pro-israélien
Du point de vue sioniste, la révolution
colorée qui a secoué le Liban après l’assassinat de Rafik
Hariri a ouvert un processus de normalisation des États arabes de
la région. A contrario, laisser la présidence
du Liban à l’actuelle opposition mettrait un terme à cette évolution.
Selon le désormais fameux sophisme néoconservateur, il faut donc
« imposer un démocrate » à la tête du Liban, même
si l’on déplore que l’on ait trouvé que des personnalités
« violentes, corrompues et versatiles » pour tenir ce
rôle.
C’est pourquoi, non seulement il ne faut pas abandonner le containement,
mais il faut y ajouter des initiatives offensives par pays arabes
interposés.
1.
Le président Bush devrait solennellement déclarer qu’aucune
ingérence syrienne ou iranienne ne sera tolérée au Liban, que
les assassinats politiques y seront considérés comme des
agressions étrangères (donc autorisant une réplique militaire) ;
et que le tribunal international instruisant l’assassinat de
Rafik Hariri ira à son terme.
2.
Des sanctions économiques supplémentaires devraient être prises
contre le président Bachar el-Assad, sa famille et son entourage.
3.
Le département d’État devrait transformer les contacts
informels qu’il a noué à propos du Liban avec l’Arabie
saoudite, la Jordanie et l’Égypte en un groupe constitué chargé
de garantir la souveraineté du Liban, conformémement à la
doctrine Cheney de réalignement arabe autour d’un axe sunnite
dirigé contre l’Iran, la Syrie et le Hezbollah libanais. Ce
groupe devrait être présidé par un émissaire spécial, qui
pourrait être David Welch, déjà très impliqué dans le soutien
au gouvernement Siniora au Liban et au président Abbas dans les
Territoires palestiniens.
4.
Le Congrès devrait débloquer les fonds nécessaires au
financement de ce groupe international.
La position du département d’État
Pour le département d’État, la
question de la poursuite ou non du containment
ne se pose pas car, en application des recommandations de la
Commission Baker-Hamilton, des contacts ont été noués avec
Damas sur les sujets humanitaires. L’administration Bush
n’ignore pas que la Syrie a accueilli 1,4 millions de réfugiés
irakiens et leur a offert un accès gratuit aux services de santé
et d’éducation. Elle a dépêché un assistant de Mme Rice
pour évaluer les besoins sur place et a accordé 11,7 millions de
dollars à des organisations humanitaires notamment présentes en
Syrie. En outre, elle accueillera prochainement 4 000 réfugiés
sur le sol états-unien.
Toutefois ce dialogue ne va pas
au-delà car le département d’État se tient aux côtés du
peuple syrien contre le régime qui ne cesse de violer les droits
de l’homme. Un opposant, Kemal Lebwani, a été condamné à 12
ans de réclusion, tandis que l’ancien député Riad Seif,
n’est pas autorisé à se rendre à l’étranger pour faire
soigner son cancer. Le président Bachar el-Assad prétend avoir
gagné un plébiciste en mai, avec 98 % des suffrages exprimés et
96 % de votants, mais la réalité est que la participation n’a
pas atteint les 50 %.
Les États-Unis ont trois litiges
importants avec la Syrie :
la
porosité de la frontière syro-irakienne laisse entrer des
jihadistes qui combattent les GI’s sur place. Madame Rice a
demandé, lors du sommet de Charm-el-Cheikh en mai 2007, que la
Syrie instaure des visas pour les arabes étrangers transitant sur
son territoire, de manière à les surveiller, ce qui n’a
toujours pas été fait.
l’ingérence
syrienne au Liban n’a jamais cessé. Les derniers épisodes en
date étant la démission de six ministres dans le but de faire
tomber le gouvernement Siniora et le refus de Nabih Berri de
convoquer le parlement pour ratifier le traité instituant le
tribunal international, sans parler des assassinats politiques.
l’asile
accordé aux organisations palestiniennes (Hamas, Jihad islamique
et FPLP-CG).
C’est pourquoi les États-Unis
poursuivent leurs pressions sur la Syrie, notamment en interdisant
les liaisons aériennes directes, et les commerce — hormis pour
l’alimentation et la santé—. À cela s’ajoutent le décret
présidentiel 13338 (11 mai 2004) gelant des avoirs syriens, et le
décret présidentiel 13441 (1er août 2007) gelant les avoirs des
personnes et organisations soutenant l’ingérence syrienne au
Liban.
Les arguments états-uniens en faveur du « containement »
de la Syrie et de ses alliés
Avant toute chose, les partisans
de l’isolement de la Syrie assurent qu’il n’y a pas
d’alternative. En effet ce containement ne
serait pas une volonté particulière de Washington, puisqu’il
est également mis en œuvre par l’Union européenne et l’Arabie
saoudite, mais le fait de la Syrie qui, par son maximalisme anti-isralien,
s’isole elle-même.
D’autre part, à quoi servirait
de renouer avec la Syrie car elle n’est pas en mesure
d’apporter une aide précise en Irak, et n’abandonnera jamais
les organisations palestiniennes et libanaises qu’elle abrite
car elle n’a aucune autonomie et prend ses ordres à Téhéran.
Surtout, dialoguer avec Damas
remettrait en cause tout le dispositif états-unien au Levant
notamment les résolutions onusiennes exigeant le désarmement du
Hezbollah et créant le tribunal international pour l’affaire
Hariri.
En définitive, la suspension du containement
devrait être subordonnée à plusieurs engagements tels que la délimitation
des frontières syro-libanaises, l’échange d’ambassadeurs
entre les deux pays etc. C’est-à-dire la reconnaissance du
partage effectué en 1916 par les puissances coloniales dans la
perspective de la création du foyer national juif, prédécesseur
de l’État d’Israël.
Les arguments états-uniens en faveur du dialogue
avec la Syrie et ses alliés
Comme l’a mis en évidence la
Commission Baker-Hamilton, la Syrie craint la partition de l’Irak
qui ouvrirait chez elle des revendications séparatistes kurdes.
Elle ne demande qu’à aider à la stabilisation de ce pays en
utilisant ses liens historiques avec les anciens bassistes et avec
les tribus frontalières, mais se refuse à le faire tant qu’on
présente cette éventualité comme une approbation de
l’invasion anglo-saxonne. Cette réalité est confirmée par le
fait que Damas reste neutre dans les conflits internes irakiens.
Il est ridicule de présenter la
Syrie comme un sujet de l’Iran. Bien que Téhéran ait été le
seul allié indéfectible de Damas depuis 25 ans, leurs relations
ne sont pas éternelles. Plutôt que de les pousser dans les bras
l’un de l’autre, il vaudrait mieux œuvrer à les disjoindre.
S’il est peu probable que le clivage confessionnel
chiite/sunnite puisse être utilisé pour les séparer, leur
alliance ne résisterait pas à un accord de paix israelo-syrien.
Faire condamner la Syrie par un
tribunal international dans l’affaire Hariri serait
contre-productif : le régime ne manquerait pas de se
retourner contre un bouc-émissaire et de le juger pour haute
trahison. Il en sortirait durci au lieu d’être amendé. Il
serait préférable de chercher sa coopération de manière à le
contraindre à s’épurer.
C’est une erreur de penser que
la Syrie espère réinvestir militairement le Liban. Depuis son
retrait, elle a fait le bilan de 15 ans de présence et a conclu
que si celle-ci a enrichi quelques généraux, elle a été coûteuse
pour le pays et dommageable à son image. Exiger la fixation des
frontières et un échange d’ambassadeurs, c’est ignorer que
la vision syro-libanaise« un peuple, deux États » est
historiquement légitime et encore vivace. Il vaut mieux laisser
le temps faire son œuvre.
Enfin, c’est une erreur de
croire que le régime se maintient en profitant de l’occupation
israélienne du Golan et ne souhaite donc pas sincèrement le récupérer.
Bachar el-Assad a fait son possible pour faire évoluer la Syrie
de la dictature dont il a hérité vers un pays ouvert et moderne,
il trouverait une nouvelle légitimité pour poursuivre son action
s’il parvenait à régler la question du Golan.
Que conclure ?
À l’issue de ce débat, il est
clair que les arguments en faveur de la reprise du dialogue sont
les plus forts. Mais c’était déjà le constat de la Commission
Baker-Hamilton et il n’a pas eu de conséquence. On ne voit pas
pourquoi le changement de cap qui était impossible à mettre en
œuvre il y a un an le serait aujourd’hui.
Contrairement à la présentation
des faits par le département d’État, il n’y a aucun litige sérieux
entre Washington et Damas :
La
Syrie n’alimente pas l’insurrection irakienne, mais au
contraire s’inquiète d’un conflit qui précipite chez elle un
flot de réfugiés.
La
Syrie n’a aucune prétention de se réinstaller militairement au
Liban et elle ne tire pas les ficelles du Hezbollah qui est une
armée populaire, comme l’a montré sa victoire de l’été
2006.
L’asile
accordé par la Syrie aux organisations palestinienne n’a aucune
importance aujourd’hui, d’autant que le Hamas dispose désormais
de son propre sanctuaire à Gaza.
Le vrai problème, c’est le
plateau du Golan, occupé par Israël depuis 1967 et illégalement
annexé depuis 1981. Tel-Aviv estime que le temps joue en sa
faveur car la Syrie n’est pas en mesure de récupérer
militairement son territoire. Dès lors, le containement
n’a d’autre but que d’éviter la réouverture de cette
question sur la scène internationale.
Le problème diplomatique n’est
donc pas en Syrie, il est dans la contradiction de Washington,
partagé entre les intérêts évidents des États-Unis et le rêve
de domination que pousse le lobby sioniste et que les néoconservateurs
théorisent ; une contradiction qui ne trouvera pas de
solution d’ici le 24 novembre.
Dans ces conditions, il est plus
que jamais urgent d’attendre et le dossier libanais pourrait être
sous-traité à la diplomatie française, laquelle pourrait faire
preuve de la souplesse qui manque aux États-Unis.
Thierry
Meyssan
Journaliste et écrivain, président du Réseau
Voltaire.
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