Opinion
Pourquoi laisser
l'Iran en dehors de la résolution
de la crise syrienne ?
Thierry Coville
Thierry
Coville - © Photo IRIS
Mercredi 27 juin
2012
A l’heure où
l’intensité de la crise syrienne atteint
un nouveau palier à cause d’une
répression qui touche indistinctement
résistants et civils, la communauté
internationale continue d’hésiter sur la
marche à suivre. Une réunion des amis de
la Syrie est prévue le 6 juillet à
Paris. Or, il reste hors de question
d’inviter l’Iran à cette réunion. Les
mauvaises langues diront pourtant que
l’Arabie saoudite en fait partie, elle
qui continue de réprimer la révolte
civile à Bahreïn et dont le soutien
militaire aux opposants syriens ne
traduit pas forcément une volonté de
voir la démocratie s’installer dans ce
pays… Il est donc intéressant de
s’interroger sur la position iranienne
sur le conflit en cours en Syrie.
La Syrie,
alliée stratégique de Téhéran
Les
autorités iraniennes, dans toutes leurs
déclarations officielles, mettent en
avant que le régime syrien est un allié
stratégique car faisant partie du «
mouvement de résistance » contre Israël
et les Etats-Unis. Cette relation est
évidemment liée au fait que la Syrie
représente pour Téhéran le pays-clé pour
gérer sa relation avec le Hezbollah et
le Hamas. D’autres raisons expliquent
cette proximité. Outre que la minorité
alaouite au pouvoir à Damas est proche
du chiisme, la Syrie a également été le
seul pays arabe ayant soutenu l’Iran
depuis la révolution de 1979, notamment
durant sa longue guerre contre l’Irak.
Le régime iranien a par ailleurs
énormément investi en termes de soutien
financier vis-à-vis de son allié depuis
la révolution en vendant, par exemple,
du pétrole à un prix extrêmement faible,
et ne veut pas perdre le résultat de cet
« investissement »(1). Ce soutien
iranien à Bachar el-Assad soutien
comprend en outre un volet militaire.
S’il existe des incertitudes quant à son
ampleur, l’engagement iranien en Syrie
ne fait aucun doute, par l’intermédiaire
de la force Qods, en charge des
interventions extérieures au sein des
Pasdarans. Un général membre des
Pasdarans a ainsi affirmé que ces
derniers étaient présents en Syrie et
que leur action avait permis d’éviter
une intensification de la violence(2).
Le rôle de ces éléments semblent relever
davantage du conseil que de l’action
directe sur le terrain.
Dans ce contexte, le régime iranien
estime que l’insurrection en Syrie cache
une volonté des pays occidentaux et
arabes d’affaiblir ce « mouvement de
résistance ». Ils ne croient pas dans la
volonté occidentale de défendre le
peuple syrien puisqu’ils ne voient pas
la même volonté à l’oeuvre dans le cas
de Bahreïn. La propagande officielle
fait ainsi beaucoup d’efforts pour
établir une différence entre les
évènements en Syrie et le printemps
arabe. Le Guide Suprême Ali Khameini a
déclaré que l’Iran supportera tout
mouvement d’insurrection dans la région
si ce dernier est populaire, islamique
et anti-impérialiste. Dans les médias
officiels iraniens, on peut ainsi lire
que ce mouvement d’opposition syrien
n’est pas soutenu par une majorité de la
population. Cette même presse considère
que la résistance au régime de Bachar
el-Assad a intégré des forces salafistes
dans ses rangs. D’autres informations
font état d’islamistes radicaux qui se
sont battus en Tchétchénie, envoyés en
Syrie par le Qatar. Les médias iraniens
insistent également sur ce qu’elle
décrit comme des « crimes » commis par
la résistance syrienne.
En parallèle, la presse officielle
iranienne critique lourdement les
Etats-Unis, l’Arabie Saoudite et le
Qatar pour leur soutien militaire à la
résistance. Selon elle, ces pays
essaieraient simplement de promouvoir
leur propre agenda, en vue d’affaiblir
le mouvement de résistance à Israël
et/ou d’accroître la domination des
sunnites et du wahhabisme, la version
radicale de l’islam promue dans la
région par l’Arabie saoudite.
La version officielle iranienne est
que l’on est face à deux types de
stratégie face au printemps arabe.
Certains pays, comme l’Arabie saoudite,
voudraient utiliser ce mouvement pour
développer leur influence en jouant sur
les conflits inter-religieux (entre
sunnites et chiites). A l’opposé, la
stratégie iranienne serait d’encourager
un réveil islamique dans le monde arabe.
Il est intéressant de voir que la presse
iranienne établit une différence entre
la Turquie et l’Arabie Saoudite et le
Qatar. « Les différences avec la Turquie
existent » rappellent de nombreux
officiels, mais des discussions pour
rapprocher les points de vue restent
possibles.
Les autorités iraniennes craignent
enfin le développement d’une véritable
une guerre civile entre sunnites et
chiites en Syrie, conflit qui risquerait
de se propager dans toute la région.
C’est pourquoi le régime iranien
souhaite une résolution pacifique de ce
conflit et a notamment soutenu le plan
de Kofi Annan. L’objectif officiel des
autorités iraniennes est la fin de la
violence et de ce fait, ils demandent
des discussions directes entre Bachar El
Assad et ses opposants pour obtenir une
« réconciliation nationale ».
Les autorités
iraniennes avant tout pragmatiques
Néanmoins, il faut se garder d’avoir
une vision trop caricaturale de la
position iranienne. Comme souvent, en
matière de politique étrangère, l’Iran
garde toutes ses options ouvertes. Même
s’il ne fait plus partie des « rodi
»(3), le mouvement vert reste influent
en Iran et il critique très vivement la
répression qui a actuellement lieu en
Syrie. Mais on trouve aussi un certain
nombre de critiques quant au caractère
non-démocratique du régime syrien sur le
site Alef (dirigé par Ahmad
Tavakoli, député influent et directeur
du centre de recherche du Parlement).
Même l’hebdomadaire des Pasdarans,
Sobh-eh Sadegh, reconnait
l’existence d’une opposition en Syrie.
Le représentant du Guide Suprême au
Conseil national de Sécurité iranien,
Said Jalili, celui-là même qui dirige
les négociations sur le nucléaire, a
demandé que toutes les parties en Syrie
respectent les principes de la
démocratie et organisent des élections
pour élire un nouveau parlement (ce qui
peut paraître pour le moins paradoxal
venant du régime iranien !). Certains
experts réputés en matière de relations
internationales, comme Hassan Hashemian,
disent ouvertement que le gouvernement
iranien devrait être flexible et adapter
sa stratégie aux évènements en cours en
Syrie, en prenant en compte le fait que
Bachar el-Assad ne peut rester au
pouvoir compte tenu du niveau de la
répression. Pour cet expert, une telle
stratégie n’affaiblirait en rien le «
mouvement de résistance » à Israël.
Tous ces éléments démontrent deux
choses. L’Iran a de l’influence en Syrie
du fait des liens tissés avec le régime
de Bachar El Assad depuis 1979. Mais, on
a également noté que la position
iranienne, qui est la défense, par
principe, du régime en place en Syrie,
présente plus de flexibilité qu’on ne le
pense généralement. Il faut se rappeler
que dans de nombreux cas, le régime
iranien a fait preuve d’un véritable
pragmatisme tout en défendant ses
intérets (qui, dans ce cas, porteraient
sur les garanties qu’un éventuel nouveau
régime en Syrie ne serait pas opposé aux
intérêts iraniens).
C’est pour cela que Kofi Annan a eu
raison d’impliquer l’Iran le plan de
paix qu’il a proposé. Et la proposition
d’un deuxième plan Kofi Annan (en
discussion au Conseil de Sécurité des
Nations unies) qui inclurait l’Iran dans
un groupe de contact chargé de négocier
une transition démocratique en Syrie est
également une bonne idée. Dans cette
perspective, l’opposition de la France
et des Etats-Unis à l’inclusion de
l’Iran dans ce groupe de contact sur la
Syrie apparaît comme étrange. La raison
officielle invoquée est le soutien de
l’Iran à Bachar el-Assad. Mais on peut
alors se demander quel est l’objectif
des Occidentaux dans cette crise. S’il
s’agit de vraiment arrêter les violences
et d’arriver à influencer le régime
syrien, il est évident que l’Iran peut
jouer ce rôle. Certains affirment qu’un
tel rôle ne servirait à rien car l’Iran
ne ferait que gagner du temps. C’est
méconnaître un certain nombre de
réalités géopolitiques. L’Iran de la
République islamique comme l’Iran du
Shah veut être reconnu comme la
puissance régionale avec qui il faut
compter. En donnant des responsabilités
au régime iranien dans la résolution de
la crise syrienne, les Occidentaux
feraient deux choses. Ils
reconnaîtraient cette place
prépondérante de l’Iran dans la région
et ils donneraient une chance à la
République islamique de prendre les
responsabilités qui vont de pair avec
cette volonté de jouer un rôle régional.
De plus, une telle action permettrait de
renouer les fils du dialogue entre
l’Iran et les Occidentaux, éléments qui
pourraient avoir un impact positif sur
d’autres dossiers comme évidemment celui
du nucléaire. Cette solution mériterait
être tentée à tout le moins, quand on
considère les incertitudes et les coûts
en vies humaines liés à la poursuite
d’un conflit en Syrie.
(1) De manière assez
cynique, la presse officielle iranienne
rappelle que ce coût financier est
minime par rapport aux avantages que
cela rapporte à l’Iran : pouvoir
affronter Israël par l’intermédiaire du
Hezbollah et du Hamas sans que l’Iran ne
soit directement impliqué…
(2) Cette information a été démentie le
lendemain par les organes de presse
officielle mais les déclarations du
général apparaissaient crédibles.
(3) Ceux qui font partie des acteurs
politiques légitimes dans la République
islamique.
Thierry
Coville, chercheur à l’IRIS
Tous les
droits des auteurs des Œuvres protégées
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sont réservés.
Publié le 28 juin 2012 avec l'aimable
autorisation de l'IRIS.
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