Opinion
La guerre Iran -
Israël n'aura pas lieu
Thierry Coville
© Thierry
Coville - Photo: IRIS
Vendredi 27 avril
2012
Les risques
d’attaque par Israël des installations
nucléaires iraniennes ont occupé
l’espace diplomatique et médiatique ces
derniers mois, les dirigeants israéliens
voyant dans la période précédant les
élections américaines, le moment propice
pour faire monter la pression sur leurs
alliés occidentaux sur le thème de «
Réglez le problème du nucléaire iranien,
sinon, on s’en chargera … ». Dans un tel
contexte, il est toujours important de
rappeler un certain nombre de faits qui
caractérisent les relations entre l’Iran
et Israël.
Même si le soutien
de l’Iran du Shah à Israël n’était pas
absolu (l’Iran a pris parti pour les
pays arabes lors du conflit de 1973),
l’Iran avait alors des relations
diplomatiques avec Israël, lui achetait
des armes et lui vendait son pétrole.
Dans ce contexte, on a assisté à un
renversement total d’alliance lors de la
révolution en 1979. Un des premiers
gestes symboliques du régime islamique
n’a-t-il pas été de donner le siège de
l’ambassade d’Israël à l’OLP.
L’opposition à Israël est ainsi devenue
un « marqueur » idéologique de la
République islamique d’Iran.
Concrètement, cette position s’est aussi
traduite par un soutien au Hezbollah
libanais et au Hamas. Dans ces
conditions, l’arrivée au pouvoir
d’Ahmadinejad en 2005 et ses
déclarations incendiaires contre Israël
(dont
celle de 2005 portant sur la destruction
de l’Etat hébreu vient d’être démentie
par le ministre israélien du
renseignement lui-même), la poursuite du
programme nucléaire iranien ont conduit
à une idée largement diffusée d’un Iran
dirigé par des « fous » et risquant de
détruire Israël avec ses missiles à
têtes nucléaires.
Or, cette vision
est fausse. Il suffit de sortir du «
prêt à penser » caricatural. On peut à
ce propos rappeler quelques faits.
Le régime islamique d’Iran est avant
tout pragmatique. Selon
Gary Sick, professeur à l’université
de Columbia, les Israéliens ont signé un
contrat de vente d’armes avec les
Iraniens après la révolution. Ces
livraisons se sont poursuivies jusqu’à
l’affaire Iran-Contra en 1986.
L’Iran et Israël n’ont pas de
contentieux autre qu’idéologique. Il n’y
a pas de problèmes de frontières ou
autres entre les deux pays qui sont
distants l’un de l’autre de près de 1700
kilomètres.
Les relations entre l’Iran et le peuple
juif sont anciennes, remontant jusqu’aux
achéménides, plusieurs siècles avant JC.
Même un évènement aussi important que la
révolution islamique d’Iran n’a pu
changer cette situation. La constitution
adoptée en 1980 reconnaît officiellement
le judaïsme et il existe une petite
communauté de juifs (20 000) qui vit
toujours en Iran (1), ce qui tranche
avec la situation de pays voisins.
La vision caricaturale présentée plus
haut d’un Iran fanatisé voulant détruire
Israël oublie complètement un certain
nombre d’éléments de géopolitique. La
République islamique d’Iran, notamment
depuis la fin de la guerre avec l’Irak,
mène une politique marquée avant tout
par la volonté d’être reconnue comme la
puissance régionale incontournable,
continuant ainsi la politique menée sous
le Shah. Il faut donc interpréter le
soutien au Hezbollah ou au Hamas ou la
rhétorique antisioniste du régime
iranien, comme une manière de renforcer
son statut dans la région en étant en
pointe de la lutte pour la « libération
» des Palestiniens. Cette stratégie a
été poussée à l’extrême par Ahmadinejad.
Le programme nucléaire iranien, commencé
sous le Shah et abandonné après la
révolution, a été réinitialisé à partir
du milieu des années 1980 : l’objectif
était alors de construire une force de
dissuasion, le conflit avec l’Irak de
Saddam Hussein ayant révélé que l’Iran
ne pouvait compter que sur lui-même en
cas d’agression extérieure (absence de
réaction du Conseil de Sécurité des
Nations Unies, soutien général des
occidentaux à Saddam Hussein, etc.).
Depuis, on peut penser que la poursuite
de ce programme nucléaire est plus
associée à cette volonté de renforcer le
statut de puissance régionale de l’Iran.
Ahmadinejad n’a jamais dirigé l’Iran et
son programme nucléaire. Le mode de
prise de décision au plus haut niveau en
Iran depuis la révolution est très
difficile à déchiffrer (même pour les
Iraniens eux-mêmes …). Le Guide Suprême,
Ali Khamenei, doit toujours donner son
accord à une décision finale mais cette
décision résulte aussi d’intenses
négociations entre les différents
centres de pouvoir qui composent le
pouvoir iranien. Si, suite à son
élection, Ahmadinejad a semblé être en
position de force, il n’a jamais pu
diriger seul, notamment le programme
nucléaire. En outre, le président
iranien a vu son influence très
nettement reculer ces derniers mois. Le
Guide et une majorité des conservateurs
présents au Parlement ont très vivement
critiqué son « populisme » économique.
En outre, cette même mouvance, attachée
au principe de Velayat-eh faqih
(supériorité du religieux sur le
politique) ont ouvertement accusé le
président et son conseiller Esfandiar
Rahim Mashâi, d’avoir pour objectif une
éviction des religieux du pouvoir
iranien. Or, ces conservateurs, opposés
au président, se présentent eux-mêmes
comme plus rationnels dans les
politiques qu’ils proposent. En matière
de politique étrangère, cela signifie
clairement qu’ils privilégient la
discussion aux discours à
l’emporte-pièce d’Ahmadinejad.
Ces tensions doivent aussi beaucoup à
des questions de politique intérieure.
On sait à quel point le régime iranien a
besoin d’un ennemi extérieur pour faire
appel au nationalisme. Cette politique,
qui a commencé avec la guerre avec
l’Irak, a été poursuivie par Ahmadinejad
qui préfère présenter l’Iran comme ne
reculant jamais face aux pressions
extérieures qu’aborder les très nombreux
problèmes économiques, sociaux et
politiques qui intéressent la
population. Mais, toutes proportions
gardées, n’en est-il pas de même en
Israël, où le recours à l’ennemi
extérieur permet d’unifier le pays et de
légitimer un gouvernement alors que le
pays doit répondre à des défis internes
beaucoup plus complexes ?
On est donc loin de
la vision simpliste dénoncée en
introduction. Or, compte tenu de cet
environnement, il apparaît très
improbable qu’un conflit éclate entre
les deux pays. Les risques viennent plus
de la méconnaissance de l’Iran ou même
de la stratégie occidentale suivie dans
le cadre du nucléaire qui est
caractérisée par le refus d’une
véritable négociation avec l’Iran («
puisqu’on ne peut pas leur faire
confiance ») et le choix de la manière
forte (« Faites ce que l’on vous dit
sinon sanctions ou … guerre »). Or,
cette politique fait le jeu des courants
les plus radicaux en Iran et accroit les
tensions entre l’Iran et les pays
occidentaux (ce qui a contribué à la
montée du prix du pétrole depuis la mise
en place des sanctions américaines et
européennes ces derniers mois). En fait,
en Israël même, on sent une grande
indécision au sujet d’un éventuel
conflit. Le chef d’état-major de l’armée
israélienne ne vient-il pas de déclarer
que l’Iran n’a pas encore pris la
décision d’acquérir la bombe atomique
contredisant directement les propos
alarmistes du gouvernement israélien.
Face aux risques
incalculables que ferait peser un
conflit (pas seulement au Moyen-Orient,
et pour longtemps), il est évident que
de véritables négociations restent le
meilleur moyen de régler cette crise.
Les autorités iraniennes ont d’ailleurs
démontré une réelle volonté de négocier
lors de la réunion d’Istanbul à la
mi-avril 2012 : les 5 + 1 et l’Iran se
sont mis d’accord sur un cadre de
négociation qui devrait permettre le
début de véritables discussions lors de
la prochaine réunion prévue à Bagdad fin
mai.
Il est toutefois
clair qu’il ne faut pas s’attendre à des
miracles sur ce dossier tant il est
complexe et tant la méfiance est grande
des deux côtés. Du côté iranien, le
pouvoir a décidé d’adopter une stratégie
plus constructive dans ces nouvelles
discussions sur le nucléaire. Cette
stratégie peut s’expliquer par un
certain nombre d’éléments :
Les élections législatives de mars 2012
ont montré à travers l’élection de près
de 80 députés indépendants un réel
mécontentement jusque dans les rangs de
ceux qui soutiennent le régime. Un
certain nombre d’entre eux ont sans
doute plus voté par nationalisme face
aux menaces extérieures que par
conviction politique. Cette population
est lasse de la guerre intestine entre
le président et le parlement. Une porte
de sortie à cette crise est l’effacement
progressif du champ politique du clan
d’Ahmadinejad, qui a enregistré une très
nette défaite lors de ces élections.
Comme cela a déjà été dit, les opposants
conservateurs au président jugent qu’une
politique extérieure moins agressive
serait plus efficace.
Le mécontentement populaire face à la
situation économique est réel. Ces
difficultés ont surtout des causes
internes. La mise en place du programme
de suppression des subventions a conduit
à une accélération de l’inflation qui se
situait officiellement à 21 % en janvier
2012. Toutefois, de nombreux
spécialistes estiment que l’inflation
est en réalité beaucoup plus élevée. Les
syndicats évoquent une inflation qui
aurait atteint 60 % ! Les inquiétudes en
Iran sont grandes alors que le
gouvernement veut continuer sa politique
de suppression des subventions. Par
ailleurs, le taux de chômage est
toujours élevé. Officiellement, le taux
de chômage des 15-24 ans atteignait 26,5
% en 2011. En outre, les sanctions
aggravent ces problèmes. Les sanctions
financières américaines mises en place
en juillet 2011 et visant notamment la
banque centrale d’Iran ont un effet sur
les exportations iraniennes de pétrole.
Du fait de problèmes de paiement, les
importations pétrolières de la Chine en
provenance d’Iran auraient chuté de 39 %
au premier trimestre 2012 par rapport à
la même période de l’an passé. En outre,
du fait des sanctions financières mises
en place sous pression américaine, il
est difficile pour les entreprises
iraniennes de trouver des banques qui
acceptent de travailler avec elles pour
financer les importations ou effectuer
des transferts financiers vers l’Iran
suite à des exportations. Ceci ne
signifie pas que les sanctions ont «
bloqué » l’économie iranienne. Il existe
un certain nombre d’intermédiaires
financiers qui acceptent de travailler
avec l’Iran mais les marges qu’ils
demandent sont beaucoup plus élevées.
L’Inde est devenue le premier client
pour le pétrole iranien début 2012. Par
ailleurs, la forte hausse du prix du
pétrole permet à l’Iran de proposer des
rabais sur ses ventes tout en
bénéficiant de prix relativement élevés.
Enfin, le gouvernement avait déjà de
près de 110 milliards de dollars de
réserves en devises fin 2011.
Ce contexte
politique et économique signifie que
l’Iran a décidé d’adopter une stratégie
plus constructive dans ses nouvelles
discussions sur le nucléaire. On ne peut
pas dire que ce sont les sanctions qui
ont fait changer d’avis l’Iran. C’est
plutôt le contexte politique qui
explique cette situation, notamment la
diminution de l’influence d’Ahmadinejad
dans la manière de procéder. L’Iran veut
dorénavant présenter un « visage » plus
constructif dans ses discussions et
montre qu’il est capable de coopérer.
Toutefois, cette attitude ne signifie
nullement que l’Iran va accepter
d’arrêter son programme d’enrichissement
d’uranium, même à 20 %. Les autorités
iraniennes pensent qu’elles sont
désormais en position de force du fait
des progrès réalisés en matière
d’enrichissement d’uranium et qu’elles
peuvent donc se permettre de négocier.
Dans tous les cas,
cette évolution de la stratégie
iranienne dépendra aussi largement de
l’attitude qui sera adoptée par les pays
occidentaux lors des futures
négociations. Si ces derniers veulent
obtenir des garanties quant au caractère
civil du programme iranien, ils doivent
aussi être prêts à faire les concessions
nécessaires (levée progressive des
sanctions) et à commencer enfin à
véritablement négocier…
Thierry
Coville, chercheur à l’IRIS
Tous les
droits des auteurs des Œuvres protégées
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sont réservés.
Publié le 27 avril 2012 avec l'aimable
autorisation de l'IRIS.
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