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IRIS
2010 en Amérique latine
Thiago de Aragao
Photo IRIS
Mardi 29 décembre 2009
L’année 2010 sera une année agitée en Amérique latine.
En Uruguay, l’ex-guérillero Tupamaro José Mujica prendra ses
fonctions en tant que nouveau président. Il sera chargé de
maintenir les acquis économiques et sociaux lancés en 2005 par
le Frente Amplio (Front élargi) et son actuel président Tabaré
Vásquez. Comme tout changement de gouvernement, des ajustements
sont attendus. Il y a ainsi actuellement un débat feutré sur le
fait de savoir s’il faut ou non prolonger la participation de
l’Uruguay dans le Mercosur. Il existe un réel consensus entre
les alliés de Mujica qui défendent une « position uruguayenne »
similaire à celle du Chili : participer, mais conserver la
liberté de pouvoir nouer des partenariats commerciaux dans le
propre intérêt du pays. Qui plus est qu’avec
l’arrivée du Venezuela, il y a un sentiment que le pouvoir de
l’Uruguay, qui était déjà mineur, diminuera encore davantage. En
outre, la politisation probable du Mercosur ne favorisera pas
l’Uruguay.
L’un des plus grands défis auxquels devra faire face Mujica sera
de maintenir la population jeune à l’intérieur du pays, puisque
l’âge moyen des Uruguayens est en augmentation. La tendance pour
les jeunes Uruguayens est en effet d’aller étudier en Argentine
ou dans d’autres pays, ce qui met en danger la population active
du pays. Mujica devra donc investir pour que les jeunes restent
en Uruguay et puissent avoir des perspectives d’emplois
similaires à celles qu’ils pourraient trouver ailleurs.
Au Chili, après 20 ans de pouvoir, la Concertacion (La coalition
de centre-gauche qui a gouverné le pays depuis 1990) risque
d’être défaite par les forces de centre-droit, regroupées autour
de Sebastian Piñera et de Alianza por Chile. Celui-ci sera
confronté au 2e tour à
l’ex-président Eduardo Frei, représentant de la Concertation, le
17 Janvier. Comme l’Uruguay, le Chili est en mode « pilote
automatique ». Les questions économiques ne sont pas des points
de divergence, mais plutôt de convergence. Avec une campagne
intelligente, Piñera devra éviter les attaques contre Eduardo
Frei et privilégier la stratégie visant à assimiler la
Concertación à « la continuation de la vieille politique
chilienne ». Piñera se présente d’ailleurs lui-même comme le
candidat qui saura préserver les acquis de la Concertation, et
apporter des améliorations. Pour séduire un public plus large,
Piñera a par ailleurs renoncé à sa posture conservatrice et
défend maintenant le mariage homosexuel et la distribution de la
pilule du lendemain. Enfin, même avec un taux de popularité
supérieur à 80%, Michelle Bachelet n’a pas été en mesure de
répercuter cette popularité sur Eduardo Frei.
Au Brésil et en Colombie, l’agenda politique se concentre
également autour des élections. Au Brésil, soutenu par la
popularité du président Lula, le PT va essayer d’obtenir un
troisième mandat consécutif avec le ministre Dilma Rousseff
comme candidat. Pour l’opposition, le gouverneur de São Paulo,
José Serra (PSDB), va tenter de conduire le Tucanos au pouvoir
une nouvelle fois. Si rien de nouveau ne se produit, l’élection
brésilienne sera polarisée entre PT et PSDB, un fait qui se
répète depuis 1994 de manière très stable puisque Fernando
Henrique Cardoso (PSDB) a remporté les élections de 1994 et
1998, tandis que le PT avait gagné celles de 2002 et 2006 avec
l’élection puis la réélection de Lula. La décision relative au
choix du candidat à la vice-présidence sera un véritable enjeu.
Du côté de Dilma Rousseff, on voit que Michel Temer perd du
terrain tous les jours, alors que Henrique Meirelles gagne en
force. Du côté de José Serra, le sénateur Agripino Maia est un
nom bien adapté à la situation mais le combat n’est pas fini.
En Colombie, la pré-campagne n’est pas finie. Le président
Álvaro Uribe, même s’il ne l’a pas encore annoncé, a l’intention
de briguer un troisième mandat consécutif. Toutefois, il a
besoin de l’approbation de la Cour suprême pour un référendum
populaire. Pendant que cette question n’est pas résolue,
l’échiquier électoral demeure encore flou. Si Uribe est à
nouveau candidat, il sera le favori et devrait être réélu
facilement. Mais si le président est empêché de se représenter,
le "plan B" sera l’ex-ministre de la Défense, Juan Manuel
Santos. D’ailleurs, Uribe serait en mesure de faire élire Juan
Manuel Santos. Sa popularité impressionnante et la confiance de
la population dans son gouvernement, inciteraient une grande
partie de la population à voter pour un candidat choisi par
Uribe. Cependant, la tendance laisse à penser qu’il ne renoncera
pas à briguer un nouveau mandat.
En Argentine et au Mexique, l’accent sera mis sur les questions
économiques. En Argentine, on estime que l’inflation va
atteindre fin 2009 un taux de 35%. Pour aggraver les choses, le
« kichnerisme » est en train de perdre du terrain politique.
En 2007, année de l’élection de la présidente Cristina Kirchner,
celle-ci jouissait d’un taux de popularité de près de 55%, et du
soutien de 20 des 24 gouverneurs. Elle pouvait aussi compter sur
la majorité du Congrès national. A la Chambre des députés, 161
des 257 députés étaient « Kirchneristas ». Au Sénat, 47 des 72
sénateurs faisaient partie de sa base de fidèles.
Mais deux ans plus tard, le capital politique de la chef de
l’État a été sérieusement affecté. A la Chambre des députés, le
clan du « kichnerisme » ne dispose plus du soutien que de 104
députés sur les 257. Au Sénat, 36 des 72 sénateurs soutiennent
encore le gouvernement. Pour aggraver les choses, actuellement,
seulement 10 des 24 gouverneurs soutiennent Cristina Kirchner.
Avec tant de problèmes à venir, la Casa Rosada ne peut
qu’espérer une reprise économique et que l’ex-président Néstor
Kirchner retourne aux commandes du Partido Justicialista (PJ).
Mais tout cela est très peu probable.
Au Mexique, on s’attend à ce que 2010 soit meilleure que 2009.
En raison des liens du pays avec l’économie américaine, le
produit intérieur brut (PIB) du Mexique a été fortement touché
par la crise américaine. En dehors de l’effondrement popularité
de Felipe Calderón, la conjoncture économique a profité au
légendaire Partido da Revolução Institucional (PRI). Avec près
de trois années de tranquillité, Calderón parie sur la reprise
de l’activité économique pour l’aider à neutraliser ses deux
principaux adversaires : PRI et le leader national du PRD,
Manuel López Obrador.
Dans le bloc bolivarien (Venezuela, Équateur et Bolivie), on
peut s’attendre à un renforcement du discours anti-américain. Au
Venezuela, Hugo Chavez testera sa popularité et celle du Partido
Socialista Unido da Venezuela (PSUV) lors des élections
législatives. A la différence d’il ya quatre ans, l’opposition
ne boycottera pas les élections, ce qui devrait rendre la
compétition électorale plus concurrentielle. Cependant,
l’opposition vénézuélienne souffre de quelque chose de très
semblable à l’opposition bolivienne : manque d’articulation,
nombreux conflits internes et différends personnels. Ainsi, sauf
remise en cause et restructuration dans l’opposition, Chavez
assistera à l’explosion de l’opposition et évoluera ainsi dans
une campagne relativement calme. Sur le terrain économique, le
gouvernement mise sur l’accroissement de la valeur du baril de
pétrole sur le marché international. Si cela ne se produit pas,
les difficultés seront énormes, puisque plus de 45% du budget de
2010 a été fléché vers les dépenses sociales, alors même que les
réserves que Chavez avait constituées lorsque le prix du baril
dépassait les 100 $ US touchent à leur fin. Chavez dépendra donc
fortement de la hausse du prix du baril de pétrole.
En Équateur, le défi du président Rafael Correa sera de
maintenir sa popularité (environ 58% selon les derniers
sondages). Comme au Venezuela, le pays devra faire face à un
avenir sombre en terme de perspectives économiques.
A l’intérieur du bloc bolivarien, l’attention se fixe sur la
Bolivie. Après les résultats de la dernière élection
présidentielle, le Movimiento al Socialismo (MAS) - le parti du
président Evo Morales – a conquis l’hégémonie dans le système
politique. Le MAS ne contrôle pas simplement la Chambre des
députés, il y détient la majorité absolue ! Ainsi, l’addition de
la popularité de Morales avec le pouvoir conquis par le MAS
devraient renforcer les projets « nationalistes- indigènes » du
chef de l’Etat bolivien. Enfin, le discours expliquant que la
soi-disant « refondation de la Bolivie », a été empêchée par le
Sénat en de nombreuses occasions, et le manque d’articulation de
l’opposition aideront clairement Evo Morales. On peut donc
s’attendre à un gouvernement plus radical en Bolivie. Et cette
fois-ci, Morales n’aura pas autant de blocages bureaucratiques,
politiques et judiciaires l’empêchant de mettre en œuvre des
changements dans la nouvelle Constitution.
La politique intérieure continuera dans tous les pays en 2010
comme en 2009. La géopolitique continentale sera encore
confrontée à différents enjeux. Les acquisitions militaires du
Brésil (avions de combat, chars, hélicoptères et sous-marins)
encourageront d’autres pays à réexaminer leurs propres
programmes militaires. L’Argentine, par exemple, est en attente
de connaître les positions définitives du Brésil avant d’engager
le processus de modernisation de ses propres forces armées. La
rumeur veut que le choix brésilien pour ses futurs avions de
combat affectera directement le choix de la force aérienne
argentine. L’Équateur est un autre pays qui devrait moderniser
ses forces armées. Le Mercosur entrera quant à lui dans une
nouvelle phase en 2010. Avec l’entrée du Venezuela, les thèmes
politiques feront leur entrée dans l’arène, ce qui peut le
mettre en péril, à un moment où l’un de ses membres fondateurs
(l’Uruguay) se pose la question de l’utilité ou non d’y
maintenir sa participation.
Thiago de Aragao, chercheur associé à l’IRIS Tous les droits des auteurs des Œuvres
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Publié le 30 décembre 2009 avec l'aimable autorisation de l'IRIS.
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