Au-delà du silence de la honte
Futur Printemps
Palestinien
Tariq
Ramadan
Tariq
Ramadan
Lundi 14 mai 2012
Ils sont près de 2000 prisonniers
palestiniens dans les geôles
israéliennes à demander le respect de
leur dignité, le respect de leur
innocence, le respect de leur humanité.
D’aucuns ont été arrêtés sur un simple
soupçon, d’autres sans réelle raison :
les « détentions administratives » sont
normalisées (comme les « tortures de
basse intensité ») dans la très belle
démocratie israélienne. Des femmes, des
hommes, voire des enfants, peuvent être
arrêtés sans preuve ni jugement et
détenus pendant six mois (lesquels sont
renouvelables) ! Des individus
croupissent en prison depuis des années
et des mois (20 % de la population des
territoires occupés palestiniens ont
déjà fait l’expérience de
l’incarcération), alors que rien ne
justifie leur arrestation ni le
traitement dégradant infligé par
l’administration israélienne. Celle-ci
perpétue les pratiques des colons
britanniques avec, en sus, le déni de
reconnaissance de l’humanité des
Palestiniens. Belle démocratie en
vérité.
A l’heure où des peuples arabes en
mouvement se lèvent pour la liberté et
la justice - de la Tunisie à l’Egypte,
en passant par le Yémen, la Lybie, la
Syrie, le Bahreïn - dans la non-violence
et avec dignité, les prisonniers
palestiniens font écho à cette
résistance sans arme et se mobilisent.
Ils sont deux mille à refuser de se
nourrir pour que cessent les traitements
indignes auxquels ils sont
quotidiennement soumis. Ces grévistes de
la faim sont des Palestiniens, certains
ne savent pas pourquoi ils sont en
prison, mais le gouvernement israélien –
sous prétexte de combattre les
terroristes – fait régner lui-même la
terreur et la violence symbolique autant
que réelle. Deux parmi eux, Bilal Diab
(27 ans) et Thaer Halahla (34 ans), sont
près de mourir après des semaines de
jeûne. Le gouvernement israélien est
certes emprunté car il ne maîtrise pas
les conséquences potentielles qui
résulteraient de leur mort et de celle
de huit autres grévistes de la faim dont
l’état est alarmant. Au demeurant, la
vie des Palestiniens n’intéresse pas le
gouvernement israélien (l’élimination de
civils palestiniens s’est tellement
normalisée dans cette
Israël-victime-de-tous-les-dangers) : ce
sont les répercussions médiatiques qui
l’inquiètent a fortiori. Comment
justifier la mort de prisonniers, non
violents, grévistes de la faim, ignorés
en prison, jamais jugés ?
Ce qui est choquant, révoltant et
inacceptable, demeure le silence des
médias internationaux sur le mouvement
palestinien des prisonniers grévistes de
la faim. Ils sont deux mille, dont
certains vont mourir, et leur résistance
non-violente et noble est ignorée et
niée. Comme si Israël – inconditionnel
allié de l’Occident - devait bénéficier
d’un traitement de faveur et que les
Palestiniens – en marge du « printemps
arabe » - ne méritaient qu’une
considération marginale. On célèbre le
courage des Tunisiens, des Egyptiens,
des Libyens ou des Syriens, résistant
aux dictatures (que les Etats-Unis et
l’Europe ont si longtemps soutenues)
mais on ignore la détermination infinie
des Palestiniennes et des Palestiniens
qui tiennent tête à une soi-disant
démocratie agissant comme une dictature
aux pratiques coloniales. Les
Palestiniens furent d’abord de mauvais
démocrates, quand ils ont choisi le
Hamas ; ils sont aujourd’hui de mauvais
Arabes quand ils résistent aux
traitements indignes de l’allié
israélien. Ils auront toujours tort
puisque, somme toute, Israël aura
toujours raison, en spoliant, torturant,
emprisonnant et en colonisant lentement.
Le monde se tait. Le silence de la
honte. Les politiques, les intellectuels
et les journalistes qui, en commentant
les affaires du monde et du
Moyen-Orient, passent ces grèves de la
faim sous silence, font honte à leur
profession respective. Et les Arabes
parmi eux – qui veulent gagner une
respectabilité occidentale en oubliant
les opprimés de Palestine – sont deux
fois indignes. L’Histoire, à n’en point
douter les jugera ; car enfin il
demeure, dans les mémoires humaines, un
Tribunal informel des lâches, des
traîtres et des vendus historiques. La
Palestine aura son procès de la justice
et de la dignité : pour l’Histoire, dans
l’Histoire. Et Israël, somme toute, l’a
déjà perdu.
Le Président Barack Obama a récemment
dit avoir changé d’avis sur le mariage
homosexuel au cours d’une discussion
avec sa femme et ses filles. Il aurait
alors réalisé que l’Histoire allait dans
leur sens et que, un jour ou l’autre,
ces mariages seraient acceptés. N’a-t-il
pas eu de discussion en famille sur
l’indignité de maintenir des individus
en prison sans preuve ni jugement (chez
l’allié israélien comme aux Etats-Unis
où des dizaines d’innocents reconnus
demeurent pourtant en prison) ? Sa femme
et ses filles ne l’ont-elles pas aidé à
comprendre que l’Histoire ne pouvait
donner raison aux Etats qui légalisent
les arrestations arbitraires et la
torture. Car il faudra bien que
l’Occident et Israël entendent les
leçons de l’Histoire : les opprimés qui
résistent, comme les grévistes de la
faim qui exigent la justice et la
dignité, sont, contre toute apparence,
les vainqueurs, en fait comme en droit.
Quant au silence des puissants, il est
l’autre nom de leur lâcheté, comme de
leur future défaite.
© Tariq Ramadan
2010
Publié le 14 mai 2012
Le sommaire de Tariq Ramadan
Le dossier religion musulmane
Les dernières mises à jour
|