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Tariq Ramadan.com
Pour
la Palestine, un secret ...
Tariq Ramadan
L’aube. Le silence... et le temps qui semble
s’arrêter. Il est l’heure des solitaires pensées où
l’on demande à Dieu, à son cœur, à sa conscience, à son
être tout entier de comprendre. Quel secret fait donc vivre
notre humanité, quelle douleur, quel souffle ? Solitaires
pensées, infiniment.
Soudain me viennent à l’esprit une myriade
d’images. Au cœur de la guerre et des conflits, des êtres
exilés, maltraités, traînés, torturés... ensemble concentrés
dans les camps de la mort. Humiliés pour un nom, une origine,
une identité. Humiliés et oubliés. C’était hier et dans
les brumes de ma mémoire les visages sont à la fois marqués
et noyés dans l’immensité du mal que l’Histoire des hommes
a bercée. Responsables de notre Histoire, sans doute
n’avons-nous pas toujours su comment nous y prendre avec la
vie... Tristement, amèrement.
Hier comme aujourd’hui. Qui sommes-nous donc ?
Des innocents réitérant à l’envie l’insouciance de leurs
maladresses ? Des fous emportés par l’inconscience de
leurs gestes ? Des monstres enfin colonisés par leur soif
de pouvoir et de confort ? Qui sommes-nous ? Les
victimes d’hier, bourreaux d’aujourd’hui... opprimé du crépuscule,
dictateur de l’aube ? Que serons-nous après cette longue
nuit ? Qui sommes-nous donc ? Quelle mémoire est la nôtre ?
Les mêmes images : des êtres exilés, maltraités, traînés,
torturés... ensemble concentrés dans les camps de la même
mort. Aujourd’hui comme hier. Ils le savaient, ont laissé
faire... Nous le savons, nous laissons faire. Identique lâcheté.
L’aube. Le silence... et le temps qui semble
s’arrêter. J’ai soudain envie de parler à ma fille, à mon
fils. Envie de murmurer l’essentiel. Un secret. Je ne
sais pas, au fond, ce que sont les êtres humains ; je ne
sais pas, à vrai dire, ce que valent leurs espérances ;
je ne sais plus, vraiment, ce que valent leurs promesses... Je
ne sais plus. Nous nous sommes tellement trahis. Ma fille, mon
fils, si notre sang vit de sens alors il est l’heure de réveiller
nos communes mémoires. Se réveiller et résister.
On nous a trompés. Nos rêves furent si beaux,
la réalité si laide. On nous avait dessiné la paix comme on
peint un espoir : pour nous, au-delà de nous... sans nous.
Sans effort. Tous spectateurs d’un destin qui aurait dû se
faire sans mémoire, sans justice, sans sacrifice. Sans dignité.
A l’horizon de la Palestine, j’entends les mélodies
assoupies des consciences blessées, des culpabilités
entretenues, des malaises qui étouffent : j’aimerais être
la voix des sans voix, perdus, exilés ou réfugiés, qui par
deux fois ont payé le prix de nos lâchetés. J’aimerais,
comprends-tu, être l’énergie de cette victime mémoire du crépuscule
enfantant l’exigeante justice de l’aube. Tirer profit de
notre nuit... de notre histoire. J’aimerais tant.
L’aube. Le silence... et le temps qui semble
s’arrêter. Une vie pour la paix. Se lever enfin et au nom de
ces mille images d’êtres exilés, maltraités, traînés,
torturés... ensemble concentrés dans les camps de la mort...
hier comme aujourd’hui... redevenir la conscience des opprimés.
Ici se cache l’amour, la dignité, l’espérance. Ici naît
la foi, le souffle, l’exigence. La paix est à ce prix :
entre nous, avec nous, pour nous. Ne jamais démissionner. Peu
de choses en effet... mais au cœur de cet étourdissant
silence, parmi les êtres humains, je ne connais point d’autre
secret.
***
Ce texte a été écrit en juin
2001, avant septembre 2001 et le reste... , pour paraître
dans l’ouvrage collectif Un très proche Orient, édité
par Sapho (oct. 2001). Rien n’a changé... on promettait aux
Palestiniens une feuille de route, une paix si proche, le respect
et la dignité. Ce sont les mensonges, les hypocrisies et les
indignités qui les ont accompagnés depuis...
Depuis.. mon visa pour les
Etats-Unis a été revoqué pour avoir critiqué, avec constance et
détermination, la politique américaine et également pour
avoir financé des projets éducatifs dans les territoires occupés,
dévastés, terrorisés. On a inventé d’autres prétextes,
bien sûr, des mensonges, encore et toujours, de l’actuelle
administration américaine. Or, s’il fallait ne plus jamais
entrer aux Etats-Unis pour défendre la justice et la dignité des
Palestiniens... alors je n’hésiterais pas une seconde. Ne
jamais se taire, condamner les trahisons et dire avec force notre
attachement à la cause palestinienne. C’est notre honneur, et
notre secret clairement avoué ...
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