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Il Manifesto
Liban - La saga des Gemayel : la Phalange
Stefano Chiarini
Il
manifesto, mercredi 22 novembre 2006.
Le ministre de
l’industrie libanais Pierre Gemayel, tué hier à Beyrouth, était
le plus jeune représentant d’une des plus importantes familles
de l’extrême-droite chrétienne maronite protagoniste de la
guerre civile qui a ensanglanté le pays pendant quinze ans
(1975-1989) et, plus généralement, de l’histoire du Liban dans
les trente dernières années. Pierre Gemayel Jr. n’avait
cependant rien du charisme et du pouvoir, souvent sinistre, de son
grand-père Pierre - fondateur des Phalanges après un voyage à
Berlin dans les années Trente- ou de son oncle Béchir, féroce
unificateur des milices phalangistes dans les années 70, et
protagoniste de la purification ethnique contre les Palestiniens
et les musulmans de Beyrouth Est, pendant la guerre civile, non
moins qu’allié des Usa et d’Israël qui l’installèrent à
la présidence sous l’occupation de 1982. Mais il n’avait pas
non plus l’absence de scrupules de son père Amin, successeur,
à la présidence, de Béchir, son frère, après le meurtre de
celui-ci le 14 septembre 1982 ; Amin Gemayel fut le
signataire du traité de paix séparée en 1983 avec Israël, et
demeura ensuite au pouvoir jusqu’en 1988, après être arrivé
à une entente précaire avec son puissant voisin de Damas.
Le ministre de
l’industrie qui a été tué hier, avocat de 34 ans, était le
plus jeune député du Parlement bien qu’élu en juin 2005 grâce
au sauf-conduit de son plus âpre ennemi le général Michel Aoun,
opposé depuis toujours aux seigneurs de guerre féodaux, comme
les Gemayel et leurs milices. Pierre Gemayel était en outre un
des représentants du groupe de politiciens chrétiens fondé sous
les auspices du patriarche maronite Nasrallah Boutros Sfeir en
2000, dans le but de faire cesser l’influence de Damas qui avait
commencé dans le pays des Cèdres en 1976, quand justement cette
extrême droite maronite avait demandé l’intervention de Damas
contre les Palestiniens et les forces musulmanes et progressistes
qui prenaient de l’importance pendant la guerre civile.
Intervention « providentielle » de la Syrie aux côtés
des féroces milices de la droite maronite qui permit à ces dernières,
conduites par Béchir Gemayel, de terminer à coups de massacres
indicibles la purification ethnique des Palestiniens, des « non
chrétiens » et des chrétiens progressistes » dans la
partie orientale de Beyrouth. Une purification ethnique qui vit la
destruction de quartiers entiers comme la Quarantina, sur le port,
avec plus de mille morts, et du camp palestinien de Tal al Zataar,
où
plus de 4.000 palestiniens, arabes et immigrés
furent massacrés pendant un siège qui dura plus d’un an.
Le massacre se fit sous les yeux des officiers de l’armée israélienne,
financeur et soutien des milices phalangistes, et grâce à
l’intervention de Damas.
Oublieux de
cette grande « faveur » que Damas lui fit, Pierre
Gemayel, comme son père Amin, a participé ensuite pendant ces
deux dernières années au lancement de la coalition pro étasunienne
et profrançaise des forces du « 14 mars » qui, au
printemps 2005, après l’assassinat de Rafiq Hariri, allait
pousser le régime de Bachar al-Assad à se retirer du Liban, avec
de fortes pressions internationales. Pierre Gemayel n’était
cependant pas un homme de pouvoir puisqu’on avait surtout parlé
de lui il y a deux ans quand, en soutenant la « supériorité
génétique » des chrétiens libanais, il argumenta que
ceux-ci exprimaient « la qualité » contre la « quantité »
des musulmans. Ce qui était un pilier de l’idéologie du parti
des Phalanges, fondé par son grand-père Pierre aux débuts des
années Trente, et dirigé par celui-ci de 1937 à 1982 avec à
ses côtés, depuis les années 70, son fils Béchir, chef des
milices puis du parti.
En 1982, Béchir
Gemayel fut élu à la présidence de la république, protégé
par les baïonnettes israéliennes, mais il fut tué dans
l’explosion du siège central du parti à Asrhafieh, en même
temps qu’une grande partie des dirigeants de ce parti, avant même
son investiture. Aucune autre famille comme les Gemayel n’a donné
de contribution aussi importante à la naissance d’une forme
d’idéologie de type vaguement populaire-fasciste avec laquelle
l’extrême-droite chrétienne maronite, et même certains
secteurs du clergé, ont essayé de dominer le pays des cèdres en
utilisant le pouvoir qui leur avait été laissé
institutionnellement par les occupants français ; et consigné
dans le « pacte national » de 1943, avec la communauté
sunnite.
Aux chrétiens,
considérés comme majoritaires sur la base du recensement de 1932
(et pour cette raison le dernier qui ait été fait au Liban)
revenait la présidence de la république avec d’amples pouvoirs
et le contrôle de l’armée, ainsi que la majorité des députés ;
aux sunnites, le fauteuil de premier ministre, et aux chiites
quelques miettes avec la présidence du Parlement. Une assise
institutionnelle qui, dans les années 50, ne correspondait déjà
plus à la réalité démographique, à majorité musulmane, et
qui allait être mise en discussion avant les mouvements de 58, étouffés
dans l’œuf par le premier débarquement de marines et par la
suite au cours de la guerre civile de 1975-1989, avec plus de
150.000 morts. Guerre civile à laquelle mirent fin les accords de
Taïf en 1989-1990, qui imposèrent un rééquilibre partiel des
rapports de force au niveau institutionnel : diminution des
pouvoirs du président maronite en faveur du premier ministre
sunnite, et division par moitié des sièges au Parlement entre
les musulmans qui représentaient désormais 70 % de la
population, et les chrétiens. Le tout mettant le pays sous la
tutelle syro saoudienne, autorisée par les Usa. Cette entente a
ensuite été remise en discussion dans les trois dernières années
justement par le nouveau pouvoir unipolaire des Usa décidé à désagréger
aussi la Syrie et le Liban, après l’Irak : prémices nécessaires
pour imposer au monde arabe une « pax israeliana »
sans aucun retrait de Cisjordanie, ni des Fermes de Sheeba ni,
surtout, des hauteurs du Golan.
Stefano Chiarini
Source :
il manifesto www.ilmanifesto.it
Traduit
de l’italien par Marie-Ange Patrizio
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