Syrie
Syrie : Pierre
Piccinin et la monstrueuse illusion de
l'«ingérence humanitaire»
Silvia Cattori
Pierre Piccinin
(tout à droite) avec des membres de
l’ASL en Syrie
(photo : blog de
Pierre Piccinin)
Mardi 12 juin 2012
Au cours de ses
deux premiers voyages en Syrie, M.
Piccinin, professeur à l’École
européenne de Bruxelles I, a pu se
déplacer d’un groupe d’
« opposants » radicaux à un autre,
sans soulever, apparemment, le moindre
soupçon des autorités syriennes. Au
cours du troisième voyage, où il est,
dit-il, entré en Syrie en passant par le
poste frontière libanais de Masnaa,
Pierre Piccinin a été arrêté,
emprisonné, puis expulsé.
Voici son itinéraire. Après avoir
séjourné au Liban, du 12 au 15 mai
2012, où il aurait visité, sauf
erreur, le camp d’entraînement de
l’« armée syrienne
libre » (ASL), Pierre Piccinin
est entré en Syrie. Il escomptait
sans doute, comme lors de ses deux
précédents voyages, déjouer
l’attention des autorités de manière
à se diriger, sans être entravé,
vers les localités où la rébellion,
regroupant les partisans militaires
ou civils de la lutte armée contre
le régime, a ses quartiers, et
pouvoir y rencontrer, possiblement,
ses chefs. Il devait donc s’attendre
à y être appréhendé. Les tortures
qu’il dit avoir vues en prison, et
l’excellente impression qu’il dit
avoir retirée des ses contacts avec
l’ASL, [1]
ont, à première vue tout au moins,
radicalement modifié sa narration
sur la situation en Syrie.
Lors de ses précédents retours, M. Piccinin avait mis particulièrement
en évidence le fait que la presse
occidentale se livrait à une
désinformation massive sur la Syrie,
et il avait relevé les mensonges de
l’Observatoire
syrien des droits de l’homme sur
lequel tous les médias se reposent,
ce qui lui avait valu la sympathie
des lecteurs que cette
désinformation révulse.
Cette fois, tel un nouveau Saint
Paul touché par la révélation sur le
chemin de Damas, il se fait
ouvertement l’apôtre d’une
intervention militaire en Syrie et
déclare s’être «
trompé » sur le caractère
minoritaire de l’opposition [2]
], - façon de dire que le peuple
syrien soutiendrait massivement la
rébellion violente dans sa lutte
contre Damas. Devenu subitement la
coqueluche des médias de
l’establishment, M. Piccinin incarne
désormais, à notre grand regret, ce
que nous avons toujours combattu :
l’ingérence dite « humanitaire. »
Dans un message posté sur
Facebook le 24
mai [3]
il écrit : « … face
à toute l’horreur que j’ai
découverte (…) je me rallie à leur
appel [comprenez : l’appel de
l’opposition armée]
pour une intervention militaire en
Syrie, qui puisse renverser
l’abomination du régime baathiste,
et ce même si le pays doit sombrer
dans la guerre civile … ».
Si l’éthique, et l’expérience qu’il
a vécue, justifient que M. Piccinin
dénonce la pratique de la torture
dans les prisons syriennes, pourquoi
n’a-t-il pas - à notre connaissance
- dénoncé avec la même ferveur les
tortures et les massacres
abominables perpétrés contre des
milliers de Syriens par l’«
armée syrienne libre » et ses
gangs d’égorgeurs, et que les médias
de l’establishment, attribuent
systématiquement et sans
discernement aux forces de sécurité
syriennes [4]
?
Son appel à intervenir militairement
en Syrie, lui vaut d’être sur toutes
les ondes. Et pas pour le meilleur.
Ce qu’il dit, bien évidemment, vient
en appui à l’idéologie de
l’ingérence «
humanitaire », dont BHL s’est
fait le fer de lance, et à laquelle
François Hollande, a immédiatement
souscrit. Comme si BHL était le chef
des armées !!! Une idéologie
d’ingérence qui véhicule la
monstrueuse illusion que la solution
aux conflits et aux malheurs des
peuples passe par la guerre, par
l’utilisation du Chapitre VII de la
Charte des Nations unies, permettant
de donner carte blanche aux
puissances de l’OTAN, jeter de
l’huile sur le feu, armer des
rebelles que les peuples n’ont pas
choisi, bombarder et détruire des
pays entiers en toute impunité.
Ironie de l’histoire, bien que, M.
Piccinin dit aujourd’hui ce que les
rédactions aiment entendre, raison
pour laquelle elles se l’arrachent,
elles ne lui pardonnent pas d’avoir,
précédemment, jeté un pavé dans la
mare des désinformateurs. Ainsi,
Christophe Ayad, «
grand reporter, spécialiste du monde
arabe » qui fait bel et bien
partie des désinformateurs – et dont
les analyses tendent généralement à
la préservation de l’image d’Israël
- est aussitôt monté au créneau pour
démolir M. Piccinin, en le traitant
d’ « idiot utile »
du régime syrien [Le
Monde du 6 juin]. Juste retour
des choses : le quotidien
Le Monde a été
contraint de retirer l’article
haineux, mensonger et diffamatoire
d’Ayad.
L’itinéraire suivi par M. Piccinin
en Syrie n’a jamais été celui d’un
voyageur ordinaire : comme hier en
Libye, il s’est fort peu intéressé
aux souffrances de la population en
butte à la déstabilisation
criminelle et aux violences des
groupes « rebelles »
; il s’est surtout intéressé à
approcher ces groupes et, à leur
contact direct, à collecter des
informations.
Quels éléments justifient tout à
coup, sa nouvelle appréciation de
l’étendue de la représentativité de
l’opposition en Syrie, et de la
nécessité de la soutenir par une
intervention étrangère qui, comme
hier en Libye, n’a que faire du
respect de la vie humaine ?
L’opposition à la guerre n’a jamais
été basée sur l’idée qu’on ne
torturait pas dans les pays
attaqués. La question est de savoir
si la guerre dite « humanitaire »
est la solution. D’autant que,
depuis les années 90, toutes les
interventions, cautionnées ou non
par l’ONU, dont on avait proclamé
qu’elles devaient «
libérer les peuples »,
« libérer les femmes
», « apporter la
démocratie », «
protéger des vies », ont plongé
des peuples entiers dans l’horreur
et détruit leurs pays :
ex-Yougoslavie, Afghanistan, Irak,
Libye.
Comment M.
Piccinin justifie-t-il son
« revirement » ?
Inquiète pour son sort quand, le 19
mai, nous avions appris que M.
Piccinin avait été arrêté en Syrie,
et étonnée de l’entendre à son
retour battre les tambours de la
guerre, nous avons demandé à lui
parler. Il nous a aimablement
accordé un entretien à condition que
nous ne déformions pas ses propos.
Toutefois, notre conversation du 24
mai nous ayant laissée dans un
profond malaise, nous avions informé
M. Piccinin que nous ne tenions pas
à la publier. Puis, choquée aussi
bien par ses appels répétés à une
intervention militaire répercutés
par les principaux médias, que par
la charge violente de Christophe
Ayad - qui avait bien évidemment
pour objectif de frapper, au travers
de M. Piccinin, tous ceux qui, comme
lui, avaient durant une année mis en
évidence les dérives de
l’information - nous avons décidé de
rompre le silence. Nous avons
informé M. Piccinin que nous allions
finalement publier une partie de
notre échange.
Les principales questions que nous
lui avons posées.
Premièrement nous voulions
comprendre comment M. Piccinin
pouvait justifier la nécessité
d’intervenir militairement dans un
pays, partant de sa
« découverte » que la torture y
était pratiquée, alors qu’il devait
savoir que tous les services de
sécurité de la région la pratiquent
(Égypte, Arabie Saoudite, Barhein,
Jordanie, Israël, etc..), tout comme
l’Occident «
vertueux » (Abou Ghraib,
Guantanamo). Et alors qu’il savait
bien que, dans un pays où le peuple
est la première victime des
atrocités de la part de bandes
armées qualifiées à tort d’«
opposition », les services de
sécurité sont d’autant plus enclins
à y avoir recours. Comment
pouvait-il établir une relation de
cause à effet entre les violations
des droits de l’Homme, dans un pays
quel qu’il soit, et la nécessité de
s’y ingérer militairement ? Car si
la répression, la torture, les
massacres, devaient être sanctionnés
par des guerres «
humanitaires » il faudrait alors
s’attaquer à de très nombreux pays,
à commencer par les États-Unis et
Israël. Pouvait-il ignorer que la
coalition qui finance la rébellion
en Syrie – tout comme hier en Libye
- n’a que faire de la démocratie et
du respect des droits de l’homme ?
Qu’elle vise de tout autres
objectifs ?
Deuxièmement nous voulions
comprendre comment il pouvait
affirmer qu’en Syrie
« il n’y a pas d’intérêts pour nous
; contrairement à la Libye par
exemple, ce serait une véritable
intervention humanitaire » [5].
Affirmation qui, à notre avis, est
une absurdité car toute
confrontation qui instrumentalise et
attise -comme on l’a vu en Irak-
l’antagonisme entre sunnites et
chiites, sert avant tout les visées
d’Israël. Compte tenu précisément de
la position géostratégique de la
Syrie, Israël est en effet le
premier intéressé par la
déstabilisation et la chute
éventuelle de Bachar el-Assad, avec
en ligne de mire l’Iran, le
Hezbollah et le Hamas, ultimes
résistances à ses projets de
domination dans la région.
Lors de notre échange, le 24 mai,
soucieux semble-t-il de garantir une
cohérence à son argumentation et de
balayer les critiques relatives à
son « revirement »,
M. Piccinin a commencé par rectifier
ses premières déclarations à la
presse en alléguant que ce
« revirement » [6]
découlait avant tout de sa nouvelle
appréciation de la «
nature du régime », et non d’une
« découverte »
de la torture dans les prisons
syriennes. Au fil de notre échange
nous avons néanmoins eu le sentiment
qu’il découlait principalement des
liens de sympathie noués avec les
combattants et sympathisants de
l’ASL, dont il était ouvertement
devenu, après Sofia Amara, le
défenseur déclaré.
***
Nous
reproduisons fidèlement ici, une
petite partie de l’entretien
[L’entretien a duré 147 minutes.
Nous avons, en de rares cas, renoncé
à donner l’entier de son
développement là où il déroulait ce
qu’il avait dit dans l’entretien
accordé notamment au journaliste
Jonathan Moadab [7]
].
S.C :
Au retour de votre troisième visite
en Syrie vous insistez sur la
nécessité d’une «
intervention humanitaire ». Vous
attribuez votre appel au fait que
vous auriez découvert la pratique de
« la torture ».
Cela se savait que la torture se
pratiquait dans les prisons
syriennes. On peine à comprendre que
cette découverte justifie votre
appel à une intervention militaire
pour venir en soutien à l’ASL. Les
États-Unis et Israël, moins attaqués
que la Syrie, torturent tous les
jours dans le cadre de leur lutte
contre les «
terroristes ». Quelle est votre
réponse ?
P.P :
« Tout d’abord ce
n’est pas seulement la découverte de
la torture en Syrie qui m’amène à
aujourd’hui soutenir l’idée d’une
intervention militaire pour aider
l’armée syrienne libre à éliminer le
régime, (…) il ne faut pas tout
ramener à cela. C’est vrai que, dans
la première interview que j’ai
donnée à chaud (…), j’ai pu donner
cette impression ». (…)
« Premier élément,
j’étais extrêmement choqué, je
pensais que les choses avaient
évolué, ce n’est pas le cas.
Deuxième élément, j’ai rencontré
dans trois prisons de nombreux
opposants politiques. Troisième
élément, j’ai rencontré à plusieurs
reprises des responsables de l’armée
syrienne libre, y compris à Damas.
Tout cela mis ensemble me fait dire
que le régime ne change pas (…) »
S.C :
Par le passé, avant ce voyage qui a
mal tourné, aviez-vous jamais
déclaré que vous étiez contre une
intervention en Syrie ?
P.P :
« J’ai eu de
nombreux contact avec l’armée
syrienne libre, et pour la première
fois avec des responsables de
l’armée syrienne libre lors de ce
dernier voyage. Et je n’avais jamais
eu de leur part une information très
claire sur ce qu’ils étaient en
réalité et d’autre part sur ce
qu’ils voulaient.
Par le passé, comme je l’ai publié,
je n’ai eu des contacts avec
l’opposition que avec des
manifestants de Hama - à plusieurs
reprises en juillet et en décembre -
qui ne font pas partie de l’armée
syrienne libre, qui manifestaient
pacifiquement ; et avec Fatwa
Souleiman, et deux groupes de
rebelles à Homs mais qui n’étaient
pas membres de l’armée syrienne
libre, qui ont clairement dit qu’ils
étaient des citoyens de Homs qui
s’étaient révoltés.
C’est la première fois cette fois-ci
que, à Damas, j’ai rencontré des
responsables de l’armée syrienne
libre qui m’ont expliqué quelle
était leur situation à Damas et
comment ils se préparaient à une
insurrection ; et ensuite à
Talbisseh, ville aux mains de
l’armée syrienne libre, où j’ai pu
rencontrer le commandement de la
ville et j’étais très surpris de
leur organisation et très surpris de
rencontrer parmi les officiers, non
pas des barbus ou des guérilleros,
mais des gens tout à fait dignes ;
parmi eux des alaouites et des
chrétiens, une majorité de sunnites
c’est vrai, mais des gens qui
n’étaient absolument pas des
fanatiques et des coupeurs de têtes.
Et j’ai d’ailleurs, pas comme
certains le disent, l’armée syrienne
libre c’est très simple, j’ai
toujours bien fait la différence
quand j’ai écrit, entre les
salafistes qui coupent les têtes et
qui commettent des attentats et
l’armée syrienne libre ».
S.C :
Ce n’est pas l’ASL qui coupe les
têtes ?
P.P :
« À ma connaissance
non. Je n’ai jamais dit que l’armée
syrienne libre coupe les têtes. »
S.C :
L’ASL ne coupe pas les têtes ?
P.P :
« À ma connaissance
non. Je n’ai jamais dit que l’armée
syrienne libre coupait des têtes et
je n’ai jamais rencontré de
situations ou l’armée syrienne libre
coupait des têtes. »
S.C :
N’avez-vous jamais rencontré des
Syriens dont des enfants sont
revenus coupés en morceaux dans des
sacs ?
P.P :
« Si vous lisez mes
interviews notamment le dernier
compte rendu que j’ai fait lors de
mon dernier retour de Syrie en
janvier, j’ai décrit très
précisément, quelle était d’après
les informations que j’avais, la
composition de la diversité de
l’opposition. J’ai bien fait la
différence entre les différents
éléments que j’avais rencontrés et
ceux qui sont soupçonnés d’être
présents dans le pays comme Al Qaida
ou les salafistes. J’ai également
essayé de faire une cartographie, à
l’époque, de cette rébellion en
fonction de ces différents éléments.
J’ai expliqué que, à Hama il y avait
des manifestations pacifiques, à
Homs une rébellion citoyenne dont
Fatwa Souleiman est la porte parole,
qui coexistait avec notamment la
brigade Farouk qui elle s’était dite
collaborant avec l’armée syrienne
libre ; mais l’armée syrienne libre
ne reconnaissait pas la brigade
Farouk, mouvement terroriste
anti-chiite qui existait déjà avant
les troubles en Syrie et qui était
peut-être une mouvance
particulièrement violente. Et
j’avais également parlé de l’armée
syrienne libre ; et enfin des
salafistes ; j’avais parlé de
Qusseir où j’ai vu des morceaux de
corps, et j’avais dit que Qusseir
n’était pas sous attaques de l’armée
syrienne libre, Qusseir était plutôt
sous la mouvance salafiste. » [8]
S.C :
À Baba Amro, il y avait l’ASL quand
vous y étiez en décembre. Tous les
témoins disaient des choses
horribles sur les exactions des
rebelles de Baba Amro. Vous parlez
« d’un côté », «
moi de l’autre côté
». Si on met le tout ensemble on
comprend qu’il y a des atrocités des
deux côtés. [9]
P.P :
« Fatwa Souleiman
m’a dit que son groupe n’était pas
membre de l’armée syrienne libre ;
ça c’est quelque chose de clair et
net qu’elle m’a dit. Si ces gens ont
rejoint l’armée syrienne libre après
que j’y étais fin décembre »
(...)
S.C :
Je ne vois pas comment vous pouvez
faire la distinction entre tel ou
tel groupe de tueurs. Je ne prends
pas parti pour un camp. Je veux
comprendre, essayer de voir clair. À
ce qu’on m’a dit, ces gens de l’ASL
commettent des atrocités.
P.P :
« Qui vous a dit
cela ? »
S.C :
J’ai interrogé beaucoup de gens à
Homs.
P.P :
« Moi aussi, j’ai
publié des vidéos dans le quartier
alaouite où les gens me disaient que
l’armée syrienne libre commettait
des atrocités, qu’ils étaient
attaqués, qu’ils ne pouvaient pas
aller à l’école … »
S.C :
Vous ne le croyez pas… ?
P.P :
« Bfff…moi je veux
bien ; Pfff…disons que je les ai
publiées parce que je voulais
montrer les deux côtés… »
S.C :
J’ai interrogé y compris des
sunnites qui ont - tout comme les
alaouites et les chrétiens - horreur
de l’ASL et autres bandes affiliées.
Ils ne veulent pas entendre parler
d’eux. Quand je vous entends
maintenant appeler à une
intervention, et je sens comme vous
êtes en empathie avec l’ASL que vous
présentez comme des gens lisses,
impeccables, cela me fait froid dans
le dos. C’est grave de prendre leur
parti comme vous le faites !
P.P :
« Moi je ne prend
pas parti »
S.C :
De facto, oui…vous appelez à une
intervention (en soutien à l’ASL)
P.P :
« … Que ce soient
les politiques en prison, que ce
soient les combattants de l’armée
syrienne libre sur le terrain, ils
m’ont dit : sans intervention de
l’étranger le régime va remporter la
victoire, on n’a pas les moyens
militaires que le régime a. » [10]
S.C :
Mais ce n’est pas à vous Belge,
d’aller dire, au nom des Syriens,
que l’intervention militaire est la
solution !
P.P :
« C’est la question
que je me suis posée. Jusqu’à
présent j’ai toujours défendu les
principes du droit international de
non ingérence, de l’intervention.
[11]
Si Bachar el-Assad,
pour maintenir son autorité, a
besoin de torturer chaque jour des
dizaines de personnes dans plusieurs
prisons à travers le pays, je pense
que son autorité n’est pas légitime
et je puis difficilement fermer les
yeux là-dessus... »
S.C :
En ce moment vous êtes devenu en
quelque sorte un des porte-paroles
de l’ASL. Vous êtes dans un camp.
Vous n’êtes pas crédible. Il faut
demander aux Syriens, qui ne sont
sans doute pas d’accord avec vous,
ce qu’ils en pensent !? Tout en
sachant que le système en place
n’est pas parfait, ils préfèrent le
garder plutôt que de voir la
rébellion gagner…
P.P :
« Je parle au nom
des Syriens, ces gens qui m’ont aidé
dans les prisons, qui sont
martyrisés par le régime, y compris
des chrétiens et des alaouites,
m’ont dit : tu ne nous dois rien,
seulement témoigne de ce que tu as
vu ici, demande une intervention. »
S.C :
Ce n’est pas parce que ces gens vous
ont aidé que vous devez devenir leur
porte parole. Vous dites la même
chose que Sofia Amara et ses pairs,
entrés illégalement, [sans être
passé par la prison] ont dite, après
chacune de leurs visites dans les
camps de l’ASL. Il faut savoir voir
que des deux côtés il y a un
problème…
P.P :
« L’armée syrienne
libre au début ne demandait pas
d’intervention. »
S.C :
Dés novembre 2011, l’ASL a demandé
des frappes aériennes, un couloir
comme en Libye.
P.P :
« Ils ont très vite
compris [l’ASL] qu’ils ne pouvaient
pas se battre avec des kalachnikovs
face à un appareil aussi bien
équipé. »
S.C :
L’ASL est une création de
l’extérieur. Cela vous le saviez.
Vous êtes dans la confusion. Vous
avez vu des choses atroces. Mais il
y a des choses atroces des deux
côtés.
P.P :
« Vous me faites un
procès d’intention. »
S.C :
Mon objectif ce n’est pas de couvrir
l’ASL.
P.P :
« L’intérêt de mon
témoignage. Depuis trois voyages en
Syrie, je suis allé à chaque fois
d’un camp à l’autre ; j’ai des
contacts dans les deux camps. J’ai
une vision plus équilibrée que Manon
Loiseau qui était uniquement avec
l’armée syrienne libre. »
S.C :
Je veux revenir au fait qu’il y a
des atrocités de part et d’autre.
Comment pouvez-vous appeler à une
intervention militaire devant aider
« un côté » [12]
?
P.P :
« De quel côté
parlez vous ? Il n’y a pas un ou
deux côtés ; en Syrie il y a 4 côtés
: il y a les manifestants pacifiques
… »
S.C :
Les manifestants pacifiques sont
contre l’ASL et soutiennent le
gouvernement Assad ; ils sont contre
cet autre « côté »
de l’ASL. Il y a donc d’un côté ceux
qui veulent une solution pacifique
et demandent une solution politique
par la négociation. Et de l’autre
côté l’opposition violente de l’ASL
et autres groupes armés qui
appellent à une intervention
étrangère. C’est dans ce sens là que
je dis il y a deux camps.
P.P :
« … Le régime ne
veut pas la négociation. L’armée
syrienne libre et le CNS n’en
voulaient pas non plus. »
(…)
S.C :
Je ne comprends toujours pas que
vous puissiez justifier une
intervention militaire en soutien à
l’ASL, alors que l’ASL et
l’intervention font peur à une large
partie de la population syrienne ?
P.P :
« Cette armée
syrienne libre, je ne l’avais jamais
approchée ; je ne me basais pour
analyser l’armée syrienne libre et
son comportement que sur des
éléments venant de sources que je
n’interrogeais pas en première main.
L’armée syrienne libre, je l’ai
rencontrée cette fois directement,
j’ai passé un long moment avec
l’armée syrienne libre. »
S.C :
Vous en êtes ressorti « addict »…ils
vous ont séduit.
P.P :
« Vous me faites un
procès d’intention. Ils ne m’ont pas
séduit. Je me suis rendu compte que
je n’étais pas face à une bande de
guérilleros comme on a pu en voir en
Libye dans les rangs de Benghazi.
J’ai rencontré parmi eux des
chrétiens, des alaouites. »
S.C :
Votre argument consiste à dire à
ceux qui refusent l’intervention
armée, qu’en Syrie ce n’est pas
pareil qu’en Libye. Vous avez
affirmé qu’« il n’y
a pas d’intérêts géostratégiques en
Syrie, contrairement à la Libye »
; qu’en Syrie ce serait
« une véritable
intervention humanitaire ». Cela
me parait une absurdité compte tenu
précisément de sa position
géostratégique. Vous avez également
affirmé qu’Israël et les États-Unis
ne veulent pas que le régime change.
Or, Israël et ses soutiens
occidentaux ont beaucoup d’intérêts
à faire chuter le gouvernement Assad
et non pas à le maintenir en place,
contrairement à ce que vous avez
affirmé. S’il y a une intervention
en Syrie ce sera une boucherie pire
qu’en Libye, ce sera un nouveau pays
détruit, et puis on s’en va.
P.P :
« J’ai l’impression,
quand je vous entends, de lire les
commentaires que l’on fait sur Face
book (…) Sur la question de la Syrie
et de sa position stratégique je
crois avoir bien montré par des
arguments concrets et factuels,
qu’Israël, les États-Unis et
l’Europe sont embêtés par ce qui
vient de se passer et ne veulent pas
la déstabilisation du régime … »
S.C :
Ces pays ont tout tenté pour
parvenir à déstabiliser la Syrie et
pouvoir intervenir militairement.
[Le Véto de la Russie et de la Chine
les en a fort heureusement empêchés,
évitant au peuple syrien le pire]
P.P :
« Israël, c’est un
État qui a une paix royale grâce à
Bachar el-Assad ; j’ai rencontré des
Palestiniens, dans les prisons
d’Assad qui m’ont dit qu’ils étaient
tout à fait conscients du soutien
que Bachar el-Assad donnait à
Israël. Qu’en fait, il fait tout
pour avoir de très bons rapports...
»
S.C :
C’est le discours tenu par l’ASL ;
Sofia Amara l’a repris dans ces
mêmes termes lors de ses visites… [13]
P.P :
« C’était mon
analyse et j’en ai trouvé
confirmation chez ces Palestiniens…
»
S.C :
Comme si la Syrie avait les moyens
de combattre militairement Israël !?
P.P :
« Les Palestiniens
qui restent encore fidèles à Bachar
el-Assad se rendent bien compte
qu’en réalité il mène une politique
tout à fait favorable à Israël. »
S.C :
C’est parce que la Syrie tient tête
à Israël, refusant tout compromis
contrairement à l’Égypte, la
Jordanie, le Qatar, etc…, que les
puissances qui lui sont liées
s’attaquent au gouvernement syrien
avec une pareille férocité.
P.P :
« Ramener toujours
mon changement d’opinion, je sais
bien que mes détracteurs jouent la
dessus et vont essayer de multiplier
cela [ici je n’entends pas et je
le lui dis mais il continue
imperturbable...] Il
y a d’autres éléments et pas
uniquement la question de la
torture. Il est vrai que celui-là
est émotionnellement dominant et au
niveau du grand public, mon
témoignage, cela a dû avoir un
effet, mais il y a d’autres éléments
; (…) J’ai aussi pu recouper ces
éléments. Par exemple ce qui m’a été
dit le 15 en fin d’après midi à
Damas où j’ai rencontré des
représentants de l’armée syrienne
libre. Ils sont présents dans la
capitale, ce que j’ignorais
complètement. »
S.C
: Quand vous avez dit, je
me rallie à l’appel de l’ASL
« pour une
intervention militaire en Syrie,
même si le pays doit sombrer dans la
guerre civile » c’est lourd de
conséquences !
P.P :
« Ne dites pas que
je vous ai dit, parce que ce ne
serait pas vrai …que je me rallie à
l’armée syrienne libre. Je n’ai pas
rencontré que des membres de l’ASL
qui ont appelé à intervenir. J’ai
rencontré des simples citoyens qui
n’étaient pas en prison, et
également des prisonniers politiques
qui ne sont pas membres de l’ASL,
qui eux aussi demandent une
intervention. » [14]
S.C :
Ce que peut dire un individu n’a pas
de signification. L’ASL oui.
P.P :
« De nombreux
groupes, pas que l’ASL. Il ne faut
pas faire apparaître dans votre
interview que Pierre Piccinin c’est
le porte parole de l’ASL, qu’il
demande une intervention au nom de
l’ASL. Non non (…) »
(…)
S.C :
Vous êtes maintenant engagé à parler
au nom de ceux que vous dites avoir
« laissés derrière
vous ». Mais la grande majorité
des Syriens qui s’opposent aux
actions violentes de l’ASL et à
toute intervention extérieure dans
leur pays, ne peuvent être que
révoltés de vous entendre appeler à
une intervention censée aider l’ASL
à vaincre ?
P.P :
« Je vais vous dire
quelque chose qui va vous choquer
encore plus probablement. J’en viens
à penser que - cela a déjà été le
cas dans le passé - que pour une
fois on est dans un conflit assez
manichéen. On a quand même d’un côté
un régime dictatorial abject qui
depuis 40 ans martyrise la Syrie, et
il y a d’un autre côté des gens qui
ne sont certainement pas non plus
des anges. Vous avez raison de dire
qu’il y a eu des exactions ; je ne
les ai pas vues mais des rapports
des inspecteurs de l’ONU sortis
avant hier ont montré qu’il y a eu
des exactions de la part de l’armée
syrienne libre. Vous savez que la
résistance française a commis des
exactions aussi [15],
mais je ne crois pas
que l’armée syrienne libre dispose
de prisons où on torture à la
chaîne. »
S.C :
Ils liquident, torturent…
P.P :
« Je ne crois pas,
je ne l’ai pas vu, je ne peux pas en
témoigner. Je pense qu’on est dans
un conflit assez manichéen, ce qui
n’était pas du tout le cas en Libye,
où on avait des clans d’un côté, des
clans de l’autre. En Syrie je crois
qu’il y a un camp, je vais vous dire
quelque chose qui va vraiment vous
fâcher, il y a quand même un camp du
bien et un camp du mal. »
S.C :
Là, c’est du délire…vous délirez.
P.P :
« Je pensais que
vous n’accepteriez pas mais je crois
… Les chrétiens, que je connais fort
bien en Syrie, j’ai rencontré le
patriarche (…) [nous évitons de
noter leurs noms pour les protéger],
des prêtres, des chrétiens. Je crois
que les chrétiens en Syrie
commettent une erreur. Je pense
qu’ils doivent clairement négocier
avec des autorités structurées qui
existent ; ils doivent négocier avec
le CNS, avec l’armée syrienne libre,
qui maintenant est chapeautée
partiellement par le CNS, qui
clairement se démarque du régime
(…). »
S.C :
Ce ne sont pas seulement les
chrétiens qui ont très peur de l’ASL
mais aussi les sunnites …
P.P :
« Qu’ils soutiennent
le camp d’El Assad cela peut se
comprendre Mais qu’ils aillent dans
les extrêmes (...) Par leurs
discours ils se positionnent
clairement en faveur du régime et
dès lors ils se constituent
eux-mêmes en tant que cibles de la
révolution. Parce que vous avez
raison, je ne suis pas en train
d’angéliser l’armée syrienne libre,
je ne crois pas que l’armée syrienne
libre commette des atrocités ; en
tout cas pas systématiquement. Il y
a des bavures, c’est la guerre, il y
a toujours des bavures... ce serait
bien la première fois qu’il n’y en
aurait pas. Mais l’armée syrienne
libre essaye de se comporter en
armée civilisée, -si vous voulez
bien entendre ce que je dis- qui
respecte les règles de la guerre,
qui essaie de ( ?). Ils étaient au
départ des bandes de déserteurs… »
S.C :
Il y a très peu de déserteurs.
P.P :
« Très peu en effet,
pas tellement de déserteurs, des
miliciens ; ils ont essayé de se
constituer [l’ASL] et se constituent
en une armée structurée respectant
les règles de la guerre. Cela il
faut quand même le dire. Ce sont les
bandes salafistes qui sont
probablement responsables des
atrocités. »
S.C :
Ce n’est pas parce que vous avez
rencontré le commandement de l’ASL,
des officiers éduqués, sapés et
« rasés de près »
comme vous l’avez dit et répété, que
vous pouvez tirez des conclusions
pareilles ?
P.P :
« Il y a des
exactions, Je ne dis pas que ce sont
tous des anges. Je n’étais pas en
train d’angéliser l’armée syrienne
libre. Il est clair que si l’armée
syrienne libre avec un appui
étranger parvient à vaincre l’armée
régulière syrienne, il y aura des
vengeances et on aura une situation
de guerre civile. C’est pourquoi, en
tous cas pour les alaouites c’est
certain, si les chrétiens continuent
à tenir ce discours qui en fait des
soutiens objectifs du régime, s’ils
ne se démarquent pas à temps ils
seront des cibles, aussi, des
révolutionnaires... »
(...)
M. Piccinin et
ses contacts avec l’ASL
Après avoir présenté l’ASL comme
étant civilisée, incapable de couper
les têtes, M. Piccinin à tout de
même admis ici que, si elle arrive
au pouvoir, elle se livrera
probablement à des massacres contre
les minorités et que celles-ci
n’auraient d’autre échappatoire pour
leur survie que de se rallier à leur
diktat. Or, cette effrayante
perspective, qui détruirait la
Syrie, sacrifierait des vies et
minerait son peuple pour des
générations, ne semblait pas
l’effrayer. Ce qui paraissait primer
était de convaincre son public que
l’ASL est une alternative crédible
et que des frappes aériennes pour
consolider ses positions, sont la
solution.
Aussi, touchant au fait que les
opposants de l’ASL ont mis la Syrie
à feu et à sang, M. Piccinin a pris
soin dans ses réponses, comme dans
ses écrits, sauf erreur, de mettre
hors de cause l’ASL, et de la
présenter sous un jour positif ;
faisant une distinction entre la
conduite des «
salafistes » -qui seraient selon
lui ceux qui commettent des
exactions- et la conduite de l’ASL.
Nous nous sommes demandé : est-il
tombé, comme d’autres visiteurs
auprès de l’ASL avant lui, dans les
pièges de l’attachement relationnel,
devenu incapable de distance et de
voir que, s’ils l’avaient si bien
reçu, ce n’était pas par amour mais
pour les besoins de leur propagande
?
La rencontre avec l’ASL serait-elle
la clé de son «
revirement » ?
Dans ses premiers comptes rendus,
s’il parlait beaucoup de ce qu’il
appelait « rébellion
citoyenne », M. Piccinin restait
étrangement silencieux sur
« l’armée libre »,
qui était pourtant au centre de tous
les reportages. L’attrait de Pierre
Piccinin pour la rébellion armée
n’était-il pas sien dès le départ ?
Durant la guerre qui a ensanglanté
la Libye et démoli ce pays, il a
maintes fois montré sa capacité à
pénétrer les groupes rebelles et à
aller sur le front [16].
Aurait-il été le dernier à entrer au
« cœur » de
l’ASL ?
De la Libye à la Syrie, l’intérêt de
M. Piccinin s’est apparemment
focalisé sur les groupes de rebelles
armés – appuyés par l’extérieur -
avec lesquels il aimait se faire
photographier et qu’il décrivait du
reste avec empathie [17]
.
M. Piccinin dit être tombé par
hasard sur « l’armée
libre » à Talbiseh, une localité
proche du Liban. Ce n’était
peut-être pas à l’aveuglette,
pensons-nous, qu’il se rendait dans
des lieux où l’ASL et ses groupes
affiliés sont présents. Au Liban,
l’ASL a des agents qui ont pour
mission d’accompagner les étrangers
dans les camps de la rébellion en
Syrie. Que ne feraient-ils pas pour
les faire passer dans les bastions
de l’ASL et obtenir un retour
positif ? Cela n’a pas de prix. La
propagande est le nerf de la guerre
et l’ASL sait comment en faire bon
usage. Dès son arrivée à Damas M.
Piccinin a rencontré des
responsables de l’ASL. Ce qui
porterait à croire qu’il était
attendu et suivait un itinéraire
bien défini. Homs, Talbisseh - où il
dit avoir rencontré le commandement
militaire de l’ASL - Rastan, Hama.
Arrêté avant d’entrer à Tal Kalakh,
une localité tenue par la rébellion,
il devait ensuite aller à Qusseir -
base arrière de l’ASL et de ses
unités d’égorgeurs selon des témoins
- et à Idlib. À quoi devait donc
servir la «
cartographie » de l’opposition
armée qu’il s’attachait, dit-il, à
établir ?
Le désir de M. Piccinin, n’a-t-il
pas été de présenter les
« opposants »,
avec lesquels il tissait des
contacts au fil de ses voyages,
comme étant des citoyens pacifiques,
coupés de tout lien avec l’ASL alors
qu’ils faisaient objectivement
partie d’un tout ? Quand les
services syriens ont vu sur la clé
USB de M. Piccinin qu’il était
photographié avec des combattants de
l’ASL, n’ont-ils pas eu toutes
raisons de penser qu’il n’allait pas
d’une unité de l’ASL à une autre
« à l’improviste »
?
Qui veut se déplacer légalement en
Syrie, pour se rendre incognito dans
les zones en rébellion contre le
gouvernement el-Assad, a intérêt à
se « couvrir »
de manière à n’éveiller aucun
soupçon sur ses véritables
intentions. Cela dit, loin de nous
l’idée de suggérer que M. Piccinin
travaillerait pour un service
quelconque. Que cela soit bien
clair.
Contrairement à ce que suggèrent
Armin Arefi et Christophe Ayad [18],
nous pensons que M. Piccinin n’a en
rien « servi »
les autorités syriennes, qu’il
n’avait du reste jamais ménagées.
Avoir mis en cause la désinformation
des médias occidentaux au sujet de
ce qui se passe en Syrie, ne faisait
pas de lui, comme ces deux
journalistes l’affirment pour mieux
l’humilier, un «
soutien au gouvernement d’el-Assad
». Nous pensons que ses écrits
ont davantage «
servi » les agents qui agissent,
au sein des divers pouvoirs, de
manière à plonger la Syrie dans le
chaos et qui, eux, contrairement au
lecteur lambda, savent retenir ce
qu’il y a d’utile en termes
militaires dans toute information
sensible collectée sur le terrain
par un journaliste ou analyste
politique.
C’est précisément sa dénonciation de
la désinformation anti-Assad, qui
avait valu à M. Piccinin la
sympathie de nombreuses personnes
ulcérées par les manipulations
médiatiques et politiques qui
entourent la Syrie. Aujourd’hui,
cette sympathie n’est plus possible
puisqu’il appelle ouvertement à une
monstruosité : l’entrée en guerre
contre un pays souverain, en soutien
à des bandes d’égorgeurs apparemment
liés à l’ASL, dont il occulte les
exactions.
Il convient de noter en conclusion
ceci. Lorsque M, Piccinin a proclamé
urbi et orbi son
soutien à une intervention
militaire, cela n’a pas été une
complète surprise pour nombre de nos
lecteurs qui, depuis des mois, nous
disaient éprouver un malaise à la
lecture de ses articles. Deux choses
les frappaient particulièrement.
Premièrement, le fait qu’il ne
s’attardait pas sur les
manifestations massives,
véritablement pacifiques celles-là,
en faveur du gouvernement Assad, qui
depuis une année, sur le plan
intérieur syrien, faisaient obstacle
à la volonté des puissances
occidentales et de ses alliés
d’intervenir militairement en appui
à la rébellion armée.
Et deuxièmement, le fait que les
exactions perpétrées par les groupes
rebelles au centre de son attention,
ne semblaient pas l’émouvoir. Nous
avions alors cessé de publier les
articles de M. Piccinin.
Nous pensons que, si M. Piccinin
veut, comme il le dit, aider les
Syriens qu’il a «
laissés derrière lui », il
n’aurait jamais dû appeler à la
monstruosité d’une intervention
militaire, en appui aux escadrons de
la mort de l’ASL, qui ont déjà fait
couler tant de sang et de larmes.
Les Syriens qui vivent dans l’effroi
d’être enlevés, de voir leurs fils
et filles égorgés par les gangs de
l’ASL, ce n’est pas de Bachar el-
Assad et de ses forces de défense
qu’ils ont peur, comme M. Piccinin
l’affirme. C’est d’une intervention
qui détruira leur État, leur nation,
pour mettre à la place, comme en
Irak et en Libye des tortionnaires
bien plus abominables, qu’ils ont
peur par dessus tout. C’est là où le
bât blesse. M. Piccinin s’est bien
gardé de nous dire qui va la faire
cette guerre «
humanitaire » ? Les bombardiers
du Pentagone ? Et quand, il ajoute,
pour nous rassurer, que cette
intervention militaire n’aura pas
lieu parce que personne n’en veut,
peut-il oublier que l’intervention
étrangère en Syrie est déjà
effective depuis le début de la
déstabilisation, il y a 16 mois, par
la rébellion financée et armée par
le Qatar, l’Arabie Saoudite et des
puissances occidentales ?
Les peuples ne veulent pas la guerre
dont ils craignent à juste titre les
terribles conséquences. Et le peuple
syrien ne fait pas exception. Raison
pour laquelle, face au déferlement
de la propagande occidentale, il se
tourne aujourd’hui avec une infinie
reconnaissance vers la Chine et la
Russie, qui, bien renseignés sur la
situation en Syrie, fournissent une
information honnête [19]
et refusent d’autoriser le recours à
la force et de céder aux pressions
des funestes partisans de
l’ingérence «
humanitaire ».
Silvia Cattori
Mise à jour :
12.06.2012 - 10.30
[1]
«
J’ai rencontré l’armée
de libération qui est beaucoup mieux
organisée que je ne le pensais (…) Avec
des PC, des postes de commandement, des
officiers rasés de près, des drapeaux à
trois étoiles. »
Voir : « Pierre Piccinin raconte
l’horreur des prisons syriennes », par
Christophe Lamfalussy,
La libre Belgique, 24 mai 2012.
http://www.lalibre.be/actu/international/article/739660/pierre-piccinin-raconte-l-horreur-des-prisons-syriennes.html
[2]
« Je pense
qu’actuellement, il y a quand même une
partie de la population - j’aurais dit
minoritaire il y a quelque temps, je
pense que je me suis trompé, il faut
savoir, surtout dans des cas comme ça,
reconnaitre ses erreurs -, il y a une
partie de la population qui est en train
de se battre en Syrie pour essayer de
changer ça. »
Voir : « Syrie, un Belge témoigne : "Ce
que j’ai vu, c’est l’enfer sur Terre" »,
par Julien Vlassenbroek et Françoise
Wallemacq,
rtbf.be,
24 mai 2012.
http://www.rtbf.be/info/monde/detail_syrie-un-belge-temoigne-ce-que-j-ai-vu-c-est-l-enfer-sur-terre
?id=7775010
[3]
Voir :
http://anniebannie.net/2012/05/24/le-chemin-de-damas-de-pierre-piccinin/
[4]
Depuis sa création en juillet 2011,
l’ASL a été faussement présentée comme
une armée composée essentiellement de
soldats ayant fait défection de l’armée
régulière syrienne. Ses unités se
livrent à des atrocités contre les
partisans du régime et ses forces de
défense : enlèvements, décapitations,
mutilations, exécutions sommaires. En
janvier, l’ASL déclarait avoir 40’000
combattants. Chiffre improbable.
[5]
Voir article cité sous note (2).
[6]
Message posté sur
Facebook le 24 mai, voir note (3)
[7]
Voir :
http://jmoadab.wordpress.com/2012/05/29/interview-de-pierre-piccinin-apres-ses-6-jours-de-detention-en-syrie/
[8]
Comment, pensions-nous, M. Piccinin
pouvait faire abstraction de la présence
de l’ASL à Homs - qui était alors le
sujet de prédilection des
« reporters de guerre »,
- et des monstruosités que les témoins
lui attribuaient ? Les officiers
rasés de près, de
cette prétendue
« armée
libre », qui semblaient avoir
impressionné M. Piccinin, n’allaient pas
lui avouer que la brigade des égorgeurs
d’Al-Farouk, une unité qui tend vers les
mêmes buts, faisait partie d’un tout.
[9]
Que cela soit bien clair : nous ne
mettons pas sur un même plan les
atrocités et attentats contre des civils
perpétrés par les groupes affiliés à
l’ASL et les morts entraînés par la
lutte des forces régulières qui les
combattent.
[10]
Un peu interloquée, je me disais que M.
Piccinin ne pouvait ignorer que l’ASL
est en possession depuis belle lurette
d’un armement lourd et très sophistiqué,
capable de détruire des chars.
[11]
À notre connaissance, il n’a jamais dit
publiquement qu’il s’opposait à une
intervention
[12]
Hussein, un sunnite membre de la brigade
Farouq, une unité de l’ASL, a raconté (Der
Spiegel du 26 mars) comment il avait
égorgé à Homs des soldats tombés dans
les mains de l’ASL en octobre 2011
[13]
Pouvait-il ignorer, pensais-je, que les
rebelles sunnites de l’ASL, soutenus par
les Frères musulmans dans le monde,
financés et armés notamment par le
Qatar, ne considèrent plus aujourd’hui
Israël comme un ennemi et qu’ils font
désormais un front uni avec Israël, et
les puissances de l’OTAN, contre les
forces de résistances chiites/alaouites,
au Liban, en Iran et en Syrie ?
[14]
Après vérification, nous devons à la
vérité de dire que M. Piccinin ne
désignait pas nommément l’ASL dans le
passage de sa page
Facebook :
« je me
rallie à « leur » appel pour une
intervention militaire en Syrie (…) ».
Le 4 juin toutefois, il dira sur LCP
explicitement :
« Aussi
bien l’armée syrienne libre que les
prisonniers politiques que j’ai
rencontré en prison attendent cette
intervention » Voir :
http://www.lcp.fr/emissions/ca-vous-regarde-le-debat/vod/136195-syrie-la-guerre-est-elle-la-bonne-solution
[15]
Comparer la résistance contre l’occupant
allemand avec les attaques menées en
Syrie par des opposants armés par une
coalition extérieure est plus que
choquant !
[16]
« À Bengazi »,
écrit-il sur son blog,
«
en août, j’ai eu l’opportunité
d’assister à une réunion de diplomates
étrangers et de membres du CNT. C’était
juste avant l’assaut sur Tripoli. »
Et encore :
« J’ai réussi, grâce à
quelques connaissances, à avoir une
chambre à l’hôtel Tibesti, le grand
hôtel de Benghazi où se trouve le siège
de la mission de l’Union européenne et
où logent tous les journalistes. Mais,
quand on sort de Benghazi pour suivre
les rebelles, il est très difficile de
pouvoir passer les check-points qui
barrent régulièrement la route qui mène
au front. On pouvait arriver jusqu’à
Brega, avec une autorisation ou une
carte de presse (…) C’est ainsi que j’ai
pu continuer vers la zone de guerre,
(avec les miliciens), à bord de leur
pick-up, traversant tous les
check-points jusqu’à la ligne de front ».
[17]
Sur les rebelles libyens, que nous
voyions commettre des actes de barbarie
inqualifiables M. Piccinin écrivait sur
son blog :
« Je n’ai
constaté aucun signe d’hostilité et je
ne peux que parler en bien de ces
personnes. Ce sont des gens généreux,
qui partagent tout ce qu’ils ont, des
gens sympathiques ».
[18]
Voir :
« Le chercheur belge, dont les écrits
servaient le régime… » par Armin Arefi,
Le Point.fr, 5 juin
2012.
« Les mésaventures de “Tintin” au pays
de Bachar », par Christophe Ayad,
Le Monde, 6 juin
2012.
[19]
Russia
Today (RT)
est considérée aujourd’hui par les
nouveaux médias comme une alternative à
la désinformation. Un récent rapport de
Nielsen indique que
RT,
est devenue en 2011 la chaîne étrangère
d’information la plus regardée sur les
cinq principaux marchés aux États-Unis.
RT a battu
France 24, Euronews UE,
Deutsche Welle, Al
Jazeera,
etc
Le sommaire de Silvia Cattori
Le
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