Opinion
Libye : la face
sombre de la rébellion
Sandra Titi
Mercredi 14
septembre 2011
« Un chien parmi
les chiens de Kadhafi a été
éliminé. » Ce message, écrit en
lettres de sang, a été retrouvé sur
le cadavre d’un ancien membre
présumé de la sécurité intérieure
libyenne (ISA), mort d’une balle
dans la tête, pieds et poings liés.
Exécuté, selon toute vraisemblance,
par des rebelles partisans du
Conseil national de transition (CNT)
libyen. Cet assassinat s’ajoute à la
longue liste des violences relevées
par un
rapport d’Amnesty International,
qui dénonce non seulement les crimes
atroces commis par les
troupes loyales à Kadhafi – avec
un bilan humain très lourd –, mais
aussi les
exactions perpétrées par les forces
rebelles. Même si l’organisation
reconnaît que ces dernières ont été
commises « à moindre échelle ». Pour
tourner la page de quatre décennies
de despotisme, Amnesty presse le CNT
de faire cesser la chasse aux
sorcières qui a commencé dès les
premiers jours de la « Révolution du
17 février ». « Les arrestations
arbitraires, les lynchages, les
tortures et les assassinats
extrajudiciaires se sont alors
multipliés de façon inquiétante,
perpétrés par des groupes armés qui
opéraient librement, ouvertement et
dans la plus totale impunité. »
Les Noirs visés
Premiers dans la
ligne de mire : les subsahariens. Et
de manière générale tous les hommes
à la peau noire, quand bien même ils
étaient libyens. Lorsque l’est du
pays est tombé aux mains du CNT, les
forces rebelles ont « effectué des
descentes dans des maisons et battu
à mort ou exécuté des mercenaires
supposés » à Benghazi, Derna et Al-Bayda.
Il faut dire qu’au début du conflit
le CNT avait maintes fois brandi le
spectre des chiens de guerre
recrutés en masse au sud du Sahara
par Kadhafi pour défendre ses
positions. Des accusations « très
exagérées » selon Amnesty, mais qui
n’ont jamais été démenties par le
nouveau pouvoir. Conséquence de
cette rumeur : d’après le rapport,
« entre un tiers et la moitié des
personnes enfermées dans les centres
de Tripoli et d’Al Zawiya sont des
étrangers. […] Seulement, la plupart
ne sont que des travailleurs
migrants. » Avant la chute de
Kadhafi, la Libye s’imposait comme
l’une des destinations de
prédilection pour les candidats à
l’exil en Europe, qui trouvaient
facilement un travail afin de payer
les passeurs. Aujourd’hui, leur sort
est entre les mains « de conseils
militaires et locaux, au lieu de
celles du Ministère de la justice et
des droits humains et les risques
d’abus sont élevés ». Autre
catégorie visée, les anciens fidèles
du colonel, pour la plupart membres
des services de sécurité intérieure.
Ou supposés. Désormais, la peur a
changé de camp, à tel point que les
familles de victimes ne se font même
plus connaître, craignant les
représailles si elles étaient
« labellisés antirévolutionnaires ».
Le parent d’un fonctionnaire de
l’ISA exécuté par les forces
d’opposition a confié à Amnesty
avoir fait enregistrer le décès sous
le motif « martyr de la Révolution,
tué par les pro-Kadhafi ». Sans
police ou système judiciaire
opérationnels, il lui restait peu
d’options.
Vengeance
aveugle
Dans sa première
allocution publique à Tripoli lundi
soir, Moustafa Abdjeljalil, le chef
du gouvernement intérimaire libyen,
a déclaré vouloir « installer un
Etat de droit », en appelant les
partisans du CNT à ne pas se livrer
à des représailles. Un discours qui
tranche avec la position tenue
jusqu’alors par les responsables de
l’opposition, « qui ont souvent
minimisé l’ampleur et la gravité de
tels abus » selon Amnesty. Comme
Mohamed Al Alagi, membre du CNT et
ancien président de l’Association
libyenne des droits de l’homme, qui
reconnaît « des erreurs commises,
mais (…) ne pense pas qu’il s’agisse
de crimes de guerre puisque [leurs
combattants] ne sont pas des
militaires. Juste des gens
ordinaires. »
« Islamisme
modéré » mais obligatoire Une foule de
10 000 personnes s’est réunie lundi
soir sur la place des Martyrs à
Tripoli pour le premier grand
discours de Moustafa Abdeljalil.
L’ex-ministre de Mouammar Kadhafi,
devenu chef des « autorités de
transition » libyennes n’a pas
surpris en déclarant que l’islam
serait la principale source de
législation dans la nouvelle Libye.
Diplômé de l’université libre de
Benghazi, le futur fonctionnaire de
Kadhafi y étudia de la charia et le
droit. Les rebelles, fortement
influencés par la mouvance islamiste
(lire ci-dessous), avaient déjà
inscrits cette proéminence de la
charia à l’article premier de leur
charte adoptée ce printemps. « Nous
devons instaurer un Etat de droit et
de prospérité dans lequel la charia
est la principale source
réglementaire, ce qui exige de
nombreuses conditions », a donc
déclaré lundi M. Abdeljalil. « Nous
n’accepterons aucune idéologie
extrémiste de droite ou de gauche.
Nous sommes un peuple musulman, à
l’islam modéré et nous allons rester
sur cette voie », a-t-il précisé.
« Vous serez avec
nous contre toute personne qui
chercherait à voler notre
révolution », a-t-il lancé à
l’assistance. M. Adeljalil a
qualifié la « libération de Tripoli
de miracle qui s’est produit avec un
minimum de pertes » humaines. Le
dirigeant du CNT est arrivé à
Tripoli samedi. Il se trouvait dans
la capitale libyenne pour la
première fois depuis que Mouammar
Kadhafi a été contraint de fuir la
ville en août. M. Abdeljalil
dirigeait le CNT depuis la ville de
Benghazi, berceau de la révolte qui
a conduit, avec l’aide de l’OTAN, à
la chute du « Guide » en août. Pour
l’instant, le CNT a établi un
calendrier prévoyant la rédaction
d’une nouvelle Constitution et la
tenue d’élections dans un délai de
vingt mois à partir du moment où la
Libye sera déclarée « libérée »,
sans que cette notion soit
clairement définie.
Quant à
l’ex-leader, impossible de savoir où
il se cache. Un porte-parole de
l’OTAN a dit hier ignorer s’il se
trouve toujours en Libye ou s’il a
fuit comme des centaines de nombreux
autres dirigeants de son pays. Trois
généraux libyens proches de Mouammar
Kadhafi et réfugiés dans le nord du
Niger, ont gagné la capitale Niamey,
a-t-on appris hier de source
gouvernementale.
Sur le terrain,
aucune offensive d’envergure n’a eu
lieu sur les principales villes aux
mains des pro-Kadhafi. Bani Walid
(170 km au sud-est de Tripoli),
Syrte (360 km à l’est de Tripoli) et
Sebha (centre) ont montré ces
derniers jours leur capacité à
résister et même à contre-attaquer.
Benito Perez/Le Courrier
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