Libye
Libye : Un risque
de désintégration sur le modèle somalien
Samir
Amin
Photo:
Flickr
Lundi 12 septembre
2011
Les «Libérateurs»
n’arrivent pas avec les vertus de la
démocratie en bandoulière. Ils
débarquent plutôt avec un appétit féroce
devant les ressources en eaux
souterraines et le pétrole de ce pays.
Devant la curée qui se dessine, Samir
Amin n’écarte pas une possible «somalisation»
de Libye.
La Libye n’est ni
la Tunisie ni l’Égypte. Le bloc au
pouvoir (Khadafi) et les forces qui se
battent contre lui n’ont rien
d’analogues avec ce qu’ils sont en
Tunisie et en Égypte. Khadafi n’a jamais
été qu’un polichinelle dont le vide de
la pensée trouve son reflet dans son
fameux « Livre vert ». Opérant dans une
société encore archaïque, Khadafi
pouvait se permettre de tenir des
discours successifs - sans grande portée
réelle - « nationalistes et socialistes
» puis se rallier le lendemain au «
libéralisme ». Il l’a fait « pour faire
plaisir aux Occidentaux » ! Comme si le
choix du libéralisme n’aurait pas
d’effets dans la société. Or, il en a
eu, et, très banalement, aggravé les
difficultés sociales pour la majorité.
La redistribution très large de la rente
pétrolière a laissé la place à sa
confiscation par la clientèle du régime
et la famille de Khadafi. Les conditions
étaient alors créées qui ont donné
l’explosion qu’on connaît, immédiatement
mise à profit par l’Islam politique du
pays et les régionalismes.
La Libye n’a jamais vraiment existé
comme nation. C’est une région
géographique qui sépare le Maghreb et le
Mashreq. La frontière entre les deux
passe précisément au milieu de la Libye.
La Cyrénaïque est historiquement grecque
et hellénistique, puis est devenue
mashréqine. La Tripolitaine, elle, a été
latine et est devenue maghrébine. De ce
fait, il y a toujours eu une base pour
des régionalismes dans le pays.
On ne sait pas réellement qui sont les
membres du Conseil national de
transition de Benghazi. Le président du
Conseil National de Transition n’est
autre que Moustapha Mohammed Abdeljalil,
le président de la Cour d’Appel de Libye
qui confirma la condamnation à mort des
cinq infirmières bulgares. Il fut
récompensé et nommé ministre de la
Justice en 2007, poste qu’il conserva
jusqu’en février 2011. Le Premier
ministre bulgare, Boikov, a refusé pour
cette raison de reconnaître le CNT. Les
États-Unis et les pays européens n’ont
pas donné suite à l’argument. Il y a
peut-être des démocrates parmi eux, mais
il y a certainement des islamistes, et
les pires d’entre eux, et des
régionalistes.
Dès l’origine « le mouvement » a pris en
Lybie la forme d’une révolte armée,
faisant feu sur l’armée, et non celle
d’une vague de manifestations civiles.
Cette révolte armée a par ailleurs
appelé immédiatement l’Otan à son
secours. L’occasion était alors donnée
pour une intervention militaire des
puissances impérialistes. L’objectif
poursuivi n’est certainement ni la «
protection des civils », ni la «
démocratie », mais le contrôle du
pétrole et des ressources en eaux
souterraines, et l’acquisition d’une
base militaire majeure dans le pays.
Certes, les compagnies occidentales
contrôlaient déjà le pétrole libyen,
depuis le ralliement de Khadafi au «
libéralisme ». Mais avec Khadafi on
n’est jamais sûr de rien. Et s’il
retournait sa veste et introduisait
demain dans son jeu les Chinois ou les
Indiens ? Plus important que le pétrole
: les resources en eaux souterraines de
la Lybie. Il était question de les
exploiter au bénéfice des pays du Sahel
africain. Cette page est désormais
tournée. Des multinationales françaises
bien connues auront probablement l’accès
à ces ressources (c’est sans doute la
raison de l’intervention précoce de la
France) et voudront en faire
l’exploitation « la plus rentable
financièrement », probablement pour la
production d’agro carburants.
Khadafi avait dès 1969 exigé
l’évacuation des bases britanniques et
états-uniennes mises en place au
lendemain de la seconde guerre mondiale.
Aujourd’hui, les États-Unis ont besoin
de transférer l’Africom (le commandement
militaire des États-Unis pour l’Afrique,
une pièce importante du dispositif du
contrôle militaire de la planète,
toujours localisé à Stuttgart !) en
Afrique. Or l’Union Africaine refuse de
l’accepter et jusqu’à ce jour aucun État
africain n’a osé le faire. Un laquais
mis en place à Tripoli (ou à Benghazi)
souscrirait évidemment à toutes les
exigences de Washington et de ses alliés
subalternes de l’OTAN. La base
constituera une menace permanente
d’interventions dirigées contre l’Egypte
et l’Algérie.
Le « nouveau régime » sera-t-il capable
de gérer le pays ? La désintégration de
la Lybie sur le modèle de la Somalie est
possible.
* Samir Amin est directeur du Forum du
Tiers monde
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