Liban
Pourquoi la juge
Chabtini a-t-elle libéré
l'espion pro-israélien des télécoms ?
Samer R.
Zougheib
Samedi 15 décembre
2012
Le feu
vert donné par la Cour de Cassation
militaire à la libération de Charbel
Kazzi, condamné à sept ans de prison
pour espionnage au profit d'"Israël",
suscite une foule d'interrogations sur
les raisons et les conséquences d'une
telle décision.
Le verdict du tribunal militaire est
d'autant plus surprenant que Charbel
Kazzi, ancien employé de la compagnie de
téléphonie mobile alfa, a reconnu durant
son procès les crimes qui lui sont
imputés. Plus inquiétant encore est le
fait que cette même juridiction,
présidée par la juge Alice Chabtini, a
ordonné ces derniers mois la relaxation
de neuf autres espions condamnés à des
peines diverses, alors que les prisons
libanaises regorgent de prévenus qui
attendent, parfois depuis des années,
d'être jugés pour des délits mineurs...
en tout cas, pour des actes bien moins
graves que l'espionnage au profit
d'"Israël", un "Etat ennemi" avec qui le
Liban est techniquement en guerre depuis
1948, selon la législation libanaise.
Les "Israéliens" à alfa
Arrêté en juin 2010 par les services de
renseignements de l'Armée libanaise,
Charbel Daher Kazzi était responsable de
la maintenance au sein d'alfa. Il avait
été condamné par le tribunal militaire à
sept ans de prison pour avoir "collaboré
avec l'ennemi et lui avoir fourni des
informations détaillées sur les
télécommunications mobiles et filaires".
L'homme était employé du ministère des
Télécoms au début des années 1990 avant
de travailler pour le compte d'alfa. Au
moment de son arrestation, il a été
accusé d'avoir fourni aux Israéliens des
informations utiles dans le cadre de la
guerre de 2006. Devant les juges,
l'espion a avoué avoir collaboré pendant
14 ans avec les Israéliens, à qui il a
fourni des renseignements leur
permettant de "détruire la société
alfa", selon ses dires. Interrogé sur la
signification de ses propos, Charbel
Kazzi a expliqué aux magistrats: "Grâce
aux informations que j'ai livrées, les
Israéliens vivaient parmi nous à alfa.
Ils avaient la possibilité de procéder à
des écoutes et d'introduire un virus
capable de détruire la compagnie".
L'acte d'accusation précise que l'espion
a fourni à ses officiers traitants les
cartes complètes des relais alfa sur
l'ensemble du territoire libanais et les
mots de passe des serveurs. Il aurait
également installé des logiciels et des
puces électroniques facilitant les
écoutes et la localisation des usagers
du téléphone cellulaire. Certains
experts affirment que c'est grâce à lui
que les Israéliens ont pu trafiquer les
données téléphoniques, afin de permettre
au procureur du Tribunal spécial pour le
Liban (TSL) de construire un acte
d'accusation impliquant des membres du
Hezbollah dans l'assassinat de l'ancien
Premier ministre, Rafic Hariri. Il a
également reconnu s'être rendu en
"Israël" à plusieurs reprises pour y
rencontrer ses officiers traitants,
recevoir du matériel d'espionnage et
suivre des sessions de formation.
C'était donc un homme dangereux, avec
qui le tribunal aurait dû faire preuve
de sévérité en rejetant sa demande de
libération, comme le recommandait le
représentant du parquet. Mais Alice
Chabitini en a décidé autrement, en lui
rendant la liberté pour une caution de
dix millions de livres seulement.
Banaliser la collaboration
En faisant preuve d'une telle clémence,
la cour légitime la trahison nationale,
en quelque sorte. Elle adresse un signal
fort aux collaborateurs, actifs et
potentiels, leur indiquant que leurs
actes ne les exposent pas à de graves
conséquences et que même s'ils sont
condamnés un jour, ils ont de grandes
chances de ne purger qu'une petite
partie de leur peine. Il y aura toujours
quelqu'un pour leur ouvrir les portes de
la prison.
La systématisation de la libération des
collaborateurs pose la question de
savoir si l'objectif réel n'est pas de
banaliser l'espionnage au profit
d'"Israël" et de saper la culture de la
résistance, pour que le Liban soit en
phase avec la tendance encouragée dans
l'ensemble du monde arabe. Le but ultime
étant de normaliser les relations avec
les "Israéliens".
La décision de la Cour de Cassation
militaire a suscité de vives critiques
et de fortes réactions. Le Comité des
détenus et des anciens prisonniers en
"Israël" a demandé que la juge Chabtini,
qui fut un temps la candidate du chef de
l'Etat, Michel Sleiman, au poste de
présidente du Conseil suprême de la
magistrature (CSM), soit interrogée.
Après une réunion d'urgence vendredi, le
comité a réclamé que toutes les
décisions de libération de
collaborateurs prise par la magistrate
soit transférées à l'inspection
judiciaire pour y être étudiées, afin
d'en déterminer les raisons et les
motivations. "Ce genre de décision lâche
la bride aux collaborateurs afin qu'ils
agissent sans peur d'être inquiétés", a
déclaré le porte-parole du Comité, qui
demande par ailleurs que les espions
condamnés soient privés de leurs droits
civiques.
Pour une fois, il serait judicieux que
les Libanais copient les Américains, qui
ont condamné, en 1987, Jonathan Pollard
à la prison à perpétuité pour avoir
espionné les Etats-Unis au profit... d'
«Israël»
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