Opinion
La France soutien
Al-Qaïda en Syrie et l'affronte en
Afrique
Samer R.
Zoughaib
Mardi 15 janvier
2013
La France
fait preuve d'une affligeante
incohérence dans sa politique étrangère,
qui a de graves conséquences sur la
stabilité régionale et fait peser de
sérieuses menaces sur la sécurité de
l'Europe.
Devant le désengagement des Etats-Unis,
qui veulent clore les chapitres peu
glorieux des guerres d'Irak et
d'Afghanistan, et ne souhaitent plus se
lancer dans de nouvelles aventures
militaires, la France a décidé de
prendre le relais. Au delà du fait de
savoir si la France a réellement les
moyens de ses nouvelles ambitions
impérialistes, son interventionnisme
militaire se heurte d'emblée à
d'inexplicables incohérences. Au Mali et
en Somalie, l'armée française se bat
contre des mouvements se déclarant
ouvertement proches d'Al-Qaïda, alors
qu'en Syrie, la diplomatie française est
l'allié objectif de cette organisation,
considérée comme terroriste par tous les
pays occidentaux.
C'est d'ailleurs la politique de
l'Occident, Etats-Unis et France en
tête, qui a créé les conditions
favorables à l'émergence d'Al-Qaïda, en
Syrie. Cette organisation se développe
et prospère grâce du chaos, provoqué par
l'affaiblissement du pouvoir central,
comme au Yémen, en Somalie et au Mali,
où les gouvernements sont réduits à leur
plus simple expression. La Syrie, elle,
disposait d'un Etat fort, organisé, qui
refusait de partager la souveraineté
nationale avec des pays étrangers et
encore moins avec des acteurs
non-étatiques. Depuis presque deux ans,
le principal résultat de l'insurrection
armée en Syrie, aura été d'affaiblir
l'Etat et d'éroder le pouvoir central,
grâce au soutien politique, médiatique,
financier et militaire, fourni
directement par les pays occidentaux, ou
par les pétromonarchies du Golfe, qui
jouent depuis toujours le rôle de
sous-traiteurs pour le compte de
l'Occident.
Le déni de
l'Occident
Après avoir nié pendant des mois
l'existence d'une composante armée au
sein de l'opposition
syrienne, la France a fini par
reconnaitre cette réalité, en essayant,
à travers ses médias, de faire croire
que ces rebelles sont en majorité des
officiers et des soldats syriens
déserteurs. Et après avoir fait la
sourde oreille aux mises en garde sur la
présence d'extrémistes d'Al-Qaïda sur le
terrain, les autorités françaises
reconnaissent ce fait, depuis quelques
semaines seulement, tout en essayant
d'en minimiser l'importance et
l'influence. Pourtant, les voix se
multiplient en France et dans d'autres
pays occidentaux depuis longtemps pour
mettre en garde contre cette dérive.
Dès le 15 février 2012, Armin Arefi
publiait dans la très sérieuse revue Le
point un article intitulé "Al-Qaïda
s'empare de la révolution syrienne".
L'auteur s'interroge si le président
syrien Bachar el-Assad n'avait pas "vu
juste, répétant à l'envi que les
manifestants ne sont que des groupes
terroristes armés". Armin Arefi ajoute
que le chef de l'Etat syrien avait "été
conforté par le chef du renseignement
américain, James Clapper, qui a assuré
que les attentats de Damas des 23
décembre (2011) et 6 janvier (2012)
ainsi que le double attentat à la
voiture piégée le 10 février (2012)
contre le siège des renseignements
militaires et le QG des forces de
sécurité "ont la caractéristique des
attentats commis par Al-Qaïda".
L'article rappelle que quelques jours
plus tôt, le chef d'Al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri,
apportait dans une vidéo intitulée "En
avant, les lions de Syrie" son soutien à
la contestation à Damas, exhortant "les
musulmans de Turquie, de Jordanie et du
Liban à soutenir la rébellion et à
renverser le régime actuel".
Depuis, les mises en gardes sur
l'influence des extrémistes en Syrie par
des spécialistes du Proche-Orient, en
France et ailleurs en Occident, se sont
multipliées. Le 10 janvier dernier,
Fabrice Balanche, maître de conférences
à l’Université Lyon 2 et directeur du
Groupe de Recherche et d'Etudes sur la
Méditerranée et le Moyen-Orient, affirme
au site Atlantico que les combattants
extrémistes, "armés et financés par les
pétromonarchies du Golfe, s’imposent au
sein de l’opposition armée,
marginalisant les éléments laïcs de
l’Armée syrienne libre".
Désormais, dans certains quartiers
d’Alep, les extrémistes "interdisent aux
femmes de conduire une voiture. Les
arrestations et exécutions arbitraires
par les rebelles achèvent de les faire
ressembler aux Chabiha (para-militaires)
du régime", ajoute le spécialiste.
Fabrice Balanche observe "la montée en
puissance de groupes tels que le Front
al-Nosra, émanation d’Al-Qaïda".
Des
extrémistes depuis le début
Alain Chouet, ancien chef du service de
renseignement de sécurité de la DGSE (de
2000 à
2002) va plus loin. Dans un entretien au
même site, le 2 décembre 2012, l'ancien
officier accuse les rebelles syriens de
"commencer une opération d'épuration
massive, ciblant notamment des
journalistes et des comédiens qui
divergent de leurs lignes politiques".
Il s'interroge s'il est "moral de
continuer à aider la rébellion alors que
son caractère démocratique est en train
de totalement disparaître?". Selon lui,
depuis le début de la révolte syrienne,
les experts de terrain n'ont cessé de
dénoncer le fait que la rébellion armée
était essentiellement conduite par des
groupes extrémistes "d'abord locaux et
de plus en plus souvent importés
d'autres zones". Et Alain Chouet de
poursuivre: "Ces groupes, au nombre
d'une quinzaine au moins, sont désignés
improprement par les médias occidentaux
sous le nom d'ASL (Armée syrienne
libre). En majorité soutenus par le
parti islamiste au pouvoir en Turquie et
par les monarchies wahhabites du Golfe,
ils se veulent en fait autonomes et
indépendants des différents courants
politiques syriens. Ils ne reconnaissent
l'autorité ni du Conseil national syrien
(CNS) ni de la Coalition nationale
récemment constituée au Qatar et
reconnue par la France comme "seul
représentant légitime du peuple syrien".
Ces groupes armés ont publiquement
affirmé leur intention de transformer la
Syrie en "Emirat", et de vider le pays
des "infidèles" et des non arabes:
chrétiens, druzes, kurdes, alaouites,
ismaéliens, chiites, etc.".
En dépit de ces analyses, confirmées sur
le terrain par les informations selon
lesquelles le Front al-Nosra et le
groupe Ansar al-Islam, se proclamant de
l'idéologie d'Al-Qaïda, sont désormais
aux premières lignes dans les combats,
la France n'a pas modifié d'un iota sa
politique syrienne. L'"aide
non-militaire", qui consiste en des
équipements de communication
sophistiqués, continue d'affluer
officiellement aux rebelles. Sur un plan
non-officiel, c'est un armement allant
du fusil mitrailleur aux missiles Milan,
qui est livré aux groupes armés via
divers canaux. Pourtant, une grande
partie de cet arsenal atterrit entre les
mains des extrémistes d'Al-Qaïda. Et les
services de renseignement français le
savent pertinemment.
Sur le plan politique, la France
continue d'encourager l'opposition
syrienne à refuser tout les appels au
dialogue lancés par le président Bachar
el-Assad. De la sorte, Paris est
responsable du blocage de toute solution
politique, ce qui prolonge le conflit au
risque d'affaiblir l'Etat syrien et ses
institutions. Or la meilleure recette
pour favoriser l'émergence d'Al-Qaïda et
d'accélérer son implantation, c'est
justement d'affaiblir le pouvoir
central.
Il n'est pire aveugle que celui qui ne
veut pas voir.
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