Opinion
Le plan de Hariri:
détruire l'Armée libanaise
Samer R.
Zoughaib
Mercredi 6
février 2013
L'embarras et
l'ambigüité qui caractérisent la
réaction du 14-Mars à l'agression contre
une patrouille de l'Armée libanaise à
Ersal, vendredi 1er février, ne
surprennent que ceux qui ne veulent rien
voir, entendre ou comprendre.
Le massacre sauvage du commandant Pierre
Bachaalany et de l'adjudant Khaled
Zahramane, et les tortures infligées aux
autres membres de la patrouille, sont le
résultat logique de longs mois de
bourrage de crâne et d'incitation à la
haine et à la sédition. Et cette
campagne n'a rien d'innocent ou de
spontanée. Bien au contraire, elle est
réfléchie et planifiée. Son objectif est
d'affaiblir l'institution militaire afin
qu'elle baisse la garde, abandonne sa
vigilance et cède le terrain. Le vide
sécuritaire serait alors rempli par la
multitude de milices qui gravitent
autour du Courant du futur, ou des
dangereux groupes extrémistes qui ont
poussé comme des champignons, et dont
les Libanais ont découvert d'horribles
spécimens à Tripoli, dans le Akkar ou à
Ersal.
En réalité, il n'y a jamais eu de
"chimie" entre l'armée et les
principales composantes du 14-Mars. On
connait tous l'histoire de la relation
entre la troupe et les Forces libanaises
de Samir Geagea, faite de sang,
d'assassinats et de destructions. Le
Courant du futur non plus ne tient pas
dans son cœur cette institution, qu'il
n'a pas réussi à contrôler où à placer
sous sa coupe, pendant les deux
décennies où il était au pouvoir au
Liban.
Lutfallah
2, un tournant
Mais l'agacement ou l'irritation
inspirée par l'armée à ces forces
politiques s'est transformée en haine
viscérale avec le début des troubles en
Syrie. Cette armée, dernière institution
transcommunautaire du pays, symbole de
l'unité et garante de la paix civile,
gêne ceux qui ont besoin du chaos pour
se développer. Ses unités entravent
-mais n'empêchent pas- le trafic d'armes
et de combattants entre le Liban et la
Syrie; ses services de renseignements
surveillent les extrémistes et limitent
leur marge de manœuvres.
Le processus de désacralisation et de
diabolisation de l'armée -le même que
celui utilisé contre la Résistance au
Liban- s'est carrément transformé en
campagne hystérique après l'affaire du
Lutfallah 2. Ce navire, qui transportait
pour 60 millions de dollars d'armes en
provenance de Libye, avait été
arraisonné par la marine libanaise début
2012. A ce moment là, un nouveau pas a
été franchi, lorsque certains députés du
Courant du futur
ont non seulement mis en doute la
version de l'armée, mais ont aussi
accusé son commandement d'être à la
solde de la Syrie et de l'Iran, exigeant
la démission de son chef, Jean Kahwaji.
Au fil des mois, la campagne est allée
crescendo. Lors des différents rounds
d'affrontements à Tripoli, les soldats
qui s'interposaient entre les
belligérants étaient sciemment pris pour
cible, tandis que les politiciens du
Moustaqbal se chargeaient du lynchage
politique de la troupe. La sale besogne
est confiée, essentiellement, à deux
députés connus pour leurs positions
sectaires et extrémistes: Khaled Daher
et Mouïn Merhebi. Le premier n'a pas
hésité, après l'incident de Koueikhat en
mai 2012, lorsque le cheikh Ahmad Abdel
Wahed a été tué à un barrage militaire,
à appeler les soldats originaires du
Liban-Nord à faire défection. Il a
qualifié la troupe d'"armée
d'occupation" et les services de
renseignements de "chabbihas" (la force
paramilitaire du régime syrien). Il a
menacé de fonder une "Armée libanaise
libre", à l'instar de l'Armée syrienne
libre -ou, pour ceux qui ont la mémoire
courte, de l'Armée du Liban Libre du
collaborateur d'"Israël" Saad Haddad.
Merhebi, lui, a accusé le général
Kahwaji de "comploter contre la patrie",
ce qui a poussé l'armée à réclamer la
levée de son immunité parlementaire -ce
qui ne s'est jamais produit. En appoint,
les deux députés recevaient le soutien
de leur collègue de Tripoli, Mohammad
Kabbara.
Le double
jeu du Moustaqbal
Lorsque ces trois pourfendeurs de
l'institution poussent trop loin le
bouchon, au risque de choquer l'opinion
publique qui reste attachée à l'armée,
le Courant du futur s'en démarque,
soulignant que leurs propos n'expriment
que leurs positions personnelles. Mais
jamais aucune mesure n'a été prise
contre les trois députés, qui continuent
à assister normalement aux réunions du
bloc parlementaire de Saad Hariri. Les
Libanais sont rodés au jeu de la
répartition des rôles et savent que
Daher, Merhebi et Kabbara disent ce que
Hariri croit mais ne peut pas dire tout
haut, sans perdre de sa crédibilité.
Saper le moral de l'armée, défier son
autorité, mettre en doute son
patriotisme, questionner ses mesures,
tels sont les outils utilisés par le
Courant du futur pour rayer
l'institution militaire de l'équation
politico-sécuritaire interne. Ce parti
pense que si l'armée rentre dans ses
casernes, il aura alors les mains libres
pour mettre la main sur le pays. Mais il
oublie qu'une grande majorité de
Libanais continuent de soutenir leur
armée, qui reste, même aux yeux de leurs
mentors occidentaux, un besoin pour
maintenir la stabilité en cette période
trouble. L'ambassadeur des Etats-Unis,
Maura Connelly, n'a-t-elle pas salué
après les incidents de Ersal les efforts
de l'armée dans "sa lutte contre les
extrémistes"?
Encore un faux calcul politique du
Courant du futur. Ce n'est pas le
premier et ne sera sans doute pas le
dernier.
Source : moqawama.org
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