Opinion
L'Iran règle la
cadence avec l'Amérique
Samer R. Zoughaib
Mardi 1er octobre 2013
L'entretien téléphonique entre les
présidents américain, Barack Obama, et
iranien, Hassan Rohani, vendredi 27
septembre, constitue un événement
historique qui illustre le début d'un
dégel entre les deux pays, après 33 ans
de rupture totale. Sur quelle base cette
reprise des contacts se déroule-t-elle
et à qui profite-t-elle?
C'est l'Iran qui a choisi le timing de
la reprise des contacts avec l'Occident
et c'est lui qui en règle la cadence. La
succession vertigineuse d'événements en
l'espace de quelques jours en apporte la
preuve.
Le président Hassan Rohani a mis à
profit sa participation à l'Assemblée
générale des Nations unies pour mettre
sa machine diplomatique en marche sur la
voie des choix stratégiques arrêtés par
le commandement iranien. Son ministre
des Affaires étrangères, Javad Zarif, a
rencontré ses homologues du groupe 5+1
(États-Unis, France, Grande-Bretagne,
Russie, Chine et Allemagne), avant une
réunion en tête-à-tête avec son
homologue américain, John Kerry,
qualifiée de positive par la cheffe de
la diplomatie européenne, Catherine
Ashton.
En revanche, cheikh Rohani a refusé une
requête présentée par la Maison Blanche
pour une rencontre avec Barack Obama, la
jugeant prématurée. Il a cependant
suggéré un entretien téléphonique
présidentiel, une occasion sur laquelle
a immédiatement sauté la partie
américaine.
Barack Obama se trouvait dans le bureau
ovale lorsqu'il a appelé son homologue
iranien, qui était à bord d'une
limousine l'emmenant vers l'aéroport de
New York. Les deux dirigeants se sont
promis de travailler à résoudre
rapidement le conflit qui les oppose sur
le nucléaire iranien.
Dans la forme, ce sont donc les Iraniens
qui règlent le rythme et le timing. Mais
qu'en est-il du fond?
Avant son départ pour New York, Hassan
Rohani a fait une série de déclarations
et de gestes apaisants, exprimant la
volonté de Téhéran d'ouvrir une page
nouvelle avec l'Occident et de reprendre
les négociations autour du dossier
nucléaire. Les médias occidentaux ont
surtout mis en avant son message de
félicitation sur Twitter à la communauté
juive à l'occasion du nouvel an juif et
son annonce que l'Iran ne souhaite pas
acquérir l'arme atomique. Ils y ont vu
une preuve de sa «modération». Pourtant,
il n'y rien de vraiment nouveau et
exceptionnel dans ces deux événements.
La communauté juive iranienne jouit de
tous ses droits depuis la révolution
islamique et dispose même d'un
représentant au Majlis al-Choura
(Parlement). Concernant l'arme atomique,
le leader suprême, l'ayatollah Ali
Khamanei, avait déjà émis une fatwa
(décret religieux) il y a plusieurs
années, prohibant cette arme en Iran et
la jugeant en contradiction avec la
religion.
Le nouveau président iranien a aussi
clairement énoncé les constantes
nationales iraniennes et elles ne sont
pas différentes de celles de la
présidence de Mahmoud Ahmadinejad, mais
ces mêmes médias font semblant de ne pas
le voir: l'Iran n'abandonnera pas son
droit à maitriser la technologie
nucléaire à des fins pacifiques et il
est déterminé à enrichir l'uranium sur
son territoire. La négociation se fera
autour du pourcentage d'enrichissement,
ce que l'Iran a toujours accepté de
faire.
Au sujet de la crise syrienne, Hassan
Rouhani a également exprimé des
positions en totale harmonie avec la
politique suivie par l'Iran depuis deux
ans et demi: soutien indéfectible à
l'Etat syrien; refus du partage de la
Syrie; opposition à toute intervention
étrangère; appui à la solution
politique... Et lorsque les Etats-Unis
ont menacé, fin août, d'attaquer
militairement la Syrie, Téhéran a envoyé
des messages forts et sévères, affirmant
qu'une telle agression risquait de
provoquer un embrasement régional,
laissant entendre, par-là, qu'il
pourrait riposter.
Une
puissance régionale reconnue
Thierry Coville, chercheur à l'IRIS,
affirme que l'Iran «défend d'abord ses
intérêts nationaux». «Les signaux
envoyés montrent que l'Iran veut
normaliser ses relations avec
l'Occident, surtout avec les Etats-Unis,
mais il est clair que tous ces signaux
sont très calculés», affirme ce
spécialiste de l'Iran.
Une source politique libanaise qui suit
de près le dossier des relations
irano-américaines estime que «l'Iran n'a
présenté aux Etats-Unis aucun certificat
de bonne conduite, aucune garantie et
encore moins des concessions pour
initier une ouverture en direction de
l'Occident».
Selon
Thierry Coville, «les Américains sont
arrivés à une conclusion où ils pensent
que la politique d'isolement et
d'agression de l'Iran de Bush ne
fonctionne pas, et qu'il faut discuter
avec Téhéran». «Les Etats-Unis sont
conscients qu'ils ne pourront pas
revenir aux mêmes relations qu'avant la
révolution, ajoute le chercheur. De
façon pragmatique, ils pensent que pour
tenter de régler les crises dans
lesquelles ils sont impliqués au
Moyen-Orient, la solution est de
discuter avec l'Iran. Ils ont également
des intérêts économiques, car avant la
révolution les entreprises américaines
avaient de gros marchés en Iran dans
l'aéronautique, l'énergie... Cela fait
deux bonnes raisons pour eux de
développer leur relation avec l'Iran»,
conclut Thierry Coville.
L'Iran a certes adopté un ton plus
conciliant, un discours plus apaisant,
affiché une volonté d'ouverture, mais
sur le fond, il n'a fait aucun pas en
arrière. C'est plutôt Washington qui
constate, avec résignation, que sa
politique d'isolement, de sanctions
économiques et de pressions, ne poussera
pas Téhéran à la reddition. Cette
politique agressive est même devenue
contre-productive dans un Moyen-Orient
en ébullition, où les Etats-Unis
risquent de se transformer en spectateur
impuissant, après l'échec de leurs paris
en Syrie et en Egypte.
Il est donc clair que Washington
reconnait, bon gré mal gré, le statut de
puissance régionale indépendante pour
lequel l'Iran a consenti tellement de
sacrifices et déployé autant d'efforts
et de moyens, ces trois dernières
décennies.
L'Iran est un acteur incontournable au
Moyen-Orient, et toutes les tentatives
d'«Israël» et de certains pays du Golfe
de le diaboliser n'auront pas abouti.
Dans le Golfe, au Levant et dans la Mer
Caspienne, Téhéran est un acteur de
premier plan, que nul ne peut plus
ignorer.
C'est en partant de ce postulat qu'il
faut imaginer les compromis qui
pourraient voir le jour entre l'Iran et
les Etats-Unis sur la question du
nucléaire et sur tous les autres
dossiers litigieux dans la région.
Source : French.alahednews
Le
dossier Iran
Les dernières mises à jour
|