Affaires Stratégiques
Le Hezbollah : L'incontournable acteur
libanais
Sam Razavi
Photo: AP/PETROS KARADJIAS
Mercredi 27 mai 2009
Lors d’une récente valse diplomatique, Londres a repris, puis
suspendu à nouveau ses contacts avec le Hezbollah, malgré le
fait que ce mouvement chiite soit considéré en Occident comme
une « organisation terroriste ». Pour autant, le caractère
incontournable de ce mouvement sur la scène politique libanaise
n’en avait pas moins été prouvé. Une lente
émancipation
Malgré le fait qu’ils représentent au moins
le tiers de la population nationale, les chiites ont,
historiquement, souvent été écartés des institutions politiques
et économiques libanaises, et ce au profit des chrétiens et des
sunnites. C’est ce qui les poussera, dans les années 1970, à
vouloir prendre leur revanche à travers la création du fameux « Mouvement
des déshérités ».
Puis, avec l’occupation du Sud-Liban par
l’armée israélienne (1982-2000), et suite à la Révolution
iranienne (1979), qui porta au pouvoir des religieux chiites, la
République Islamique d’Iran décida de subventionner la création
d’un mouvement chiite libanais, donnant ainsi naissance au
Hezbollah, ou « Parti de Dieu ».
Toutefois, le Hezbollah est une organisation
« indigène », c’est-à-dire qu’elle dispose
de cadres, de combattants et d’un électorat libanais. Il serait
faux de croire que le Parti de Dieu ne serait qu’un « pion »
de Téhéran. Certains experts, tels H. E. Chehabi ou A. R.
Norton, estiment même que si l’Iran venait à interrompre son
financement, le Hezbollah continuerait d’exister. En fait, c’est
un mouvement qui bénéficie de l’appui de la majorité de la
population chiite et qui est profondément enraciné dans le tissu
social du Liban.
Suite à la guerre civile libanaise
(1975-1989) et au retrait des troupes syriennes en 2005, le
Hezbollah – avec la bénédiction de Téhéran – fit preuve de
pragmatisme et entra dans le jeu politique. Néanmoins, il
refusa, et refuse toujours, de déposer les armes afin de
poursuivre son combat contre Israël. D’ailleurs, aux yeux de ses
partisans et même de certains non-chiites, la guerre entre le
Hezbollah et l’État hébreu à l’été 2006 a semblé attester, ou du
moins légitimer, ce droit de maintenir les armes.
Les accords de Doha
En mai 2008, les accords de Doha, portant sur
un nouveau partage du pouvoir politique, accordèrent au « Parti
de Dieu » un poids politique relativement équivalent à sa
réelle influence au Liban.
Cette entente entre les différentes factions
libanaises fut conclue après plusieurs mois de crise autour du
choix d’un nouveau président. Finalement, le Général Michel
Sleiman fut choisi comme président de compromis. On présente
d’ailleurs souvent l’Iran, la Syrie et le Hezbollah comme les
grands vainqueurs de cette conférence ayant eu lieu au Qatar.
Après avoir rétabli un certain degré de tranquillité, ces trois
acteurs ont en effet obtenu ce qu’ils voulaient, notamment en ce
qui concerne la question du désarmement du mouvement chiite qui
n’a pas été abordée.
Depuis Doha
Afin de consolider ses nouveaux acquis
politiques, le « Parti de Dieu » a désormais
intérêt à maintenir le statu quo et à ne pas
envenimer la situation politique, tant sur les plans interne
qu’externe.
Sur la scène locale, le Hezbollah a donc mis
un terme à son sit-in entrepris lors de « la
crise présidentielle », et il participera pacifiquement aux
élections législatives du 7 juin. En matière de politique
étrangère, le mouvement chiite ne veut plus susciter la colère
de l’État hébreu, surtout que des frappes israéliennes
remettraient en question tous ses récents acquis. Sachant
pertinemment que personne au Liban ne veut d’une autre guerre,
le Hezbollah évite donc d’entrer en conflit ouvert avec Israël,
d’où son absence dans le récent conflit opposant le Hamas et
Israël dans la bande de Gaza.
À l’heure actuelle, le Hezbollah tente donc
simultanément de maintenir sa place péniblement acquise sur le
théâtre libanais, tout en conservant son populaire statut de
seul opposant militaire de taille à Israël.
Les élections de juin 2009
Le Hezbollah détient actuellement 17 des 118
sièges du Parlement libanais et deux indices nous laissent
croire qu’il pourra accroître considérablement son influence
après les élections de juin.
Premièrement, le Hezbollah continue de
consolider son important réseau social (exemples : mosquées,
écoles, hôpitaux, entreprises privées, organisation
non-gouvernementales) lui permettant de mobiliser une majorité
de Chiites. Du même coup, il rend son électorat de plus en plus
tributaire de son « État providence ».
De plus, contrairement aux élections de 2005,
le Hezbollah a fait preuve de réalisme politique et s’est allié
avec certains partis chrétiens tels que le Courant Patriotique
Libre (CPL) du Général Michel Aoun et le Tachnak, un parti très
influent dans la communauté arménienne. Par conséquent, le « Parti
de Dieu » pourrait étendre ses appuis dans les milieux
chrétiens tout en faisant des percées à l’extérieur de son
électorat chiite.
Évidemment, une victoire de la coalition
CPL-Hezbollah ne se traduirait pas par une transformation du
pays du Cèdre en une République Islamique, une idée souvent
répandue par les médias. En fait, les partisans chrétiens du
Général Michel Aoun ont fortement défendu le Hezbollah. Par
conséquent, on discerne un certain changement de ton dans
quelques capitales occidentales.
Si l’administration Obama est sérieuse dans
son désir de stabiliser le Liban, elle ne doit pas condamner une
possible victoire du Parti de Dieu. Les États-Unis, l’Union
européenne et Israël ne doivent pas craindre l’accès du
Hezbollah à des postes ministériels, même « sécuritaires »
comme la Défense.
Selon un scénario parfois évoqué, une plus
grande place accordée au mouvement chiite pourrait mener à son
éventuelle transformation en acteur interne plutôt préoccupé par
l’élargissement de la participation des chiites au pouvoir que
par son opposition à l’État hébreu. Vu la fermeture du front
avec Israël, le « Parti de Dieu » serait en
effet alors prêt à renoncer aux armes en échange d’une
intégration à un État libanais fort avec une armée convenable
qui serait plus solidaire avec lui. Qui plus est, cette idée
semble même circuler dans les cercles décisionnels libanais du
Hezbollah ainsi que chez les alliés syriens et iraniens.
Mais pour le moment, le Hezbollah tentera
très probablement de conserver son statut de résistant tout en
participant de façon substantielle au processus décisionnel de
l’État libanais.
Malgré tout, il ne faudra pas avoir
d’attentes démesurées par rapport aux résultats des élections
législatives de juin. Il convient en effet de retenir que le
Hezbollah est un acteur si important, qu’il est devenu très
difficile pour quiconque de l’écarter de la scène politique
libanaise.
Sam Razavi, collaborateur à la
Chaire Raoul-Dandurand
Observatoire dirigé par Barah Mikaïl, chercheur à l’IRIS
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Publié le 28 mai 2009 avec l'aimable autorisation de l'IRIS.
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