Opinion
La capitale du sud
Pr Salman
Abu Sitta
Mercredi 16 janvier
2013 La ville de Beer
Sabaa est la capitale de la région
la plus étendue de la Palestine, sur
une superficie de 12.577 mille
dunums. Son histoire remonte bien
loin dans le temps, comme le
rapportent les anciens auteurs. Mais
l’importance de son passé reste
incomparable au rôle crucial qu’elle
a joué dans l’histoire moderne de la
Palestine. En 1882, la
Grande-Bretagne a installé sa
domination sur l’Egypte, de la même
manière qu’elle continue à le faire
dans nos pays arabes, jusqu’à
présent, profitant qu’un gouverneur
tyran réclame une force étrangère
pour le protéger, contre son peuple
révolté qui réclame la justice. Le
Khédive Toufic avait réclamé l’aide
de la Grande-Bretagne pour maintenir
son trône, face aux officiers
égyptiens, et à leur tête Ahmad
Arrabi Bacha, qui réclamaient la
justice et l’égalité avec les
officiers turcs et tcherkesses. La
Grande-Bretagne profita de
l’occasion, détruisit Alexandrie à
partir de la mer, s’empara du Canal
de Suez et s’installa en Egypte.
Elle ne l’évacua définitivement que
75 ans plus tard, grâce à Jamal
Abdel Nasser. Cet épisode de
l’histoire est important, car la
Grande-Bretagne avait fondé en
Egypte une base militaire et
politique, à partir de laquelle elle
parvint à coloniser le Machreq arabe
après la première guerre mondiale. Au début du
vingtième siècle, ressentant la
menace britannique contre le pays du
Sham, sous domination ottomane, les
Turcs se mirent à fortifier les
frontières sud-est de la Palestine,
qui s’étendaient loin dans le Sinaï,
et d’al-Arich jusqu’à une ligne
méridionale vers le golfe
d’al-Aqaba. La ville moderne de Beer
Saba’ fut construite en 1900, selon
un plan moderne formé de quatre
carrés, et dans chacun d’eux des
bâtiments administratifs,
transformés en hôpital, école,
mosquée, gare de chemin de fer et
jardin public. La terre (2000 dunums)
fut achetée à ses propriétaires, la
tribu des Azazmeh. Non seulement le
site de Beer Saba’ était un lieu
historique, mais il était le point
de rencontre des terres dépendantes
des tribus Azazmeh, Tarabin et
Tayaha. Dans cette nouvelle ville,
provisions et armes furent déposés
en vue de défendre la Palestine.
Puis les Turcs relièrent Beer Saba’
à al-Qods par voie de chemin de fer,
puis à Awja al-Hafir, le point
devenu plus tard à la frontière
entre l’Egypte et la Palestine.
Définition des
frontières Le grand intérêt
accordé par le pouvoir turc à la
ville de Beer Saba’, au point de
construire une ligne de chemin de
fer sur une terre désertique vers le
sud (les zones fertiles se trouvant
au nord), témoigne d’une grande
perspicacité. En effet, la
Grande-Bretagne qui gouvernait
l’Egypte par le biais de Lord
Cromer, a manœuvré, grâce à
l’inspecteur anglais au Sinaï,
Jengins Bramley, pour obliger les
Turcs à accepter l’accord de « la
ligne administrative » en octobre
1906 qui sépare l’Egypte de la
Palestine. Cette « ligne
administrative », qui n’était pas
une ligne frontalière officielle,
fut la première division de terres
arabes, dans l’histoire, à partir
d’accords conclus entre deux Etats.
Cette ligne devint plus tard la
ligne frontalière internationale,
lorsque Sadate signa « l’accord de
paix » avec Israël en 1979. Mais l’intervention
de la Grande-Bretagne n’était qu’à
son début. Celle-ci déclare la
guerre à la Turquie en 1914, et au
début de 1917, les forces
britanniques occupent la Palestine,
et paradoxalement, ces forces
avaient pour nom « la Force
expédionnaire Egyptienne ». Elles se
sont arrêtées à Gaza en avril 1917,
commandées par le général Murray qui
ne put occuper Gaza, malgré deux
attaques, malgré ses lourdes pertes.
C’est pourquoi le général Murray fut
démis de ses fonctions et remplacé
par Allenby qui se fit aider par ses
officiers australiens, qui le
conseillèrent de simuler une
troisième attaque contre Gaza, mais
de s’infiltrer massivement à l’Est
et attaquer Beer Saba’. La ville de
Beer Saba’ fut occupée le soir du 31
octobre 1917. Le lendemain, Allenby
transmet une dépêche à Londres,
disant : « Nous avons pris Beer
Saba’, votre cadeau de Noël sera al-Qods
». Le lendemain, soit
le 2 novembre 1917, Lord Balfour,
ministre britannique des Affaires
Etrangères, sort des tiroirs un
document qu’il avait préparé avec
les sionistes quelques mois plus
tôt, et cette sinistre déclaration
inaugura un siècle d’exil, de
tueries, de destructions et de
guerres. 31 années plus tard,
pendant le même mois, les forces
israéliennes occupent Beer Saba’ :
ainsi commence un nouvel épisode
d’exil pour les habitants de la
ville et de la région de Beer Saba’.
La fourberie
britannique Les Arabes ont
combattu avec la Grande-Bretagne, en
vue d’obtenir leur indépendance,
mais la Grande-Bretagne les a
trompés. Dans Beer Saba’, se trouve
un cimetière pour les soldats
britanniques tués au cours de la
bataille qui s’était déroulée dans
la ville en 1917. Le visiteur
trouvera aujourd’hui à sa porte une
dalle en marbre où il est écrit : «
cette terre fut offerte par le
peuple palestinien », probablement
en remerciement pour l’indépendance
et la liberté promises. Où se trouve alors
le paradoxe ? En octobre 2010, la
ville israélienne de Beer Saba’
organise des festivités en invitant
une délégation de cavaliers
australiens, pour parader dans les
rues de la ville. Le maire israélien
dit que ces festivités «
représentent la foi et la lutte
continue en faveur de l’indépendance
et de la liberté », sans citer
évidemment le peuple palestinien qui
était désigné par les promesses
d’indépendance et de liberté. Et
pour comble, le rabbin australien
venu avec les cavaliers dira : «
Israël mérite le prix Nobel pour sa
lutte permanente et continue en
faveur de l’humanité ». La ville de Beer
Saba’ a résisté à l’attaque
israélienne en 1948, en mobilisant
le peu de volontaires et de soldats
égyptiens, mais le commandant des
forces égyptiennes dans cette région
n’avait pas réussi à lui assurer de
forces supplémentaires pour sa
défense. Après sa chute, les
Israéliens commirent un
massacresanglant parmi les civils
refugiés dans la grande mosquée. Les
sionistes prirent plus de 100
détenus vers le camp de travail
forcé. Quant au reste, femmes et
enfants, mais aussi les soldats
égyptiens faits prisonniers, les
sionistes les entassèrent dans des
camions et les jettèrent aux abords
de Gaza. Parmi eux, se trouvait
l’enfant qui devint plus tard un
médecin réputé à Gaza, dr. Iyad
Sarraj. Une ville pour
tous Depuis que la ville
de Beer Saba’ fut fondée en 1900,
elle fut habitée par des gens venus
de Gaza ou d’al-Khalil, pour le
commerce, le travail dans
l’administration ou l’enseignement
dans les écoles pour filles et
garçons. Bien qu’elle fut le centre
administratif et commercial de la
région, elle ne fut pas habitée de
manière régulière par les fils des
tribus de Beer Saba’. Le premier
maire de la ville fut sheikh Freyh
Abu Madyan, sheikh de la tribu des
Hanajra, qui possédait une vaste
demeure, qui existe toujours. Le
dernier maire fut Shafiq Mushtaha,
et la période de service la plus
longue fut celle de Hajj Tajeddine
Shaath, tous les deux de Gaza. Parmi
les personnalités connues ayant
occupé un poste gouvernemental,
l’historien Aref Al-‘Aref, qui fut
préfet de la région pendant dix ans. Le tribunal des
tribus se réunissait une fois par
semaine pour régler tous les
conflits, y compris les crimes, mais
ses prérogatives en matière
d’enregistrement des terres étaient
limitées, cette tâche étant
contrôlée par le gouverneur
britannique, au service du sionisme.
Quant à l’école élémentaire pour
garçons, elle comprenait deux
sections, l’externat pour les élèves
de la ville et l’internat pour les
fils des sheikhs des tribus. Près du
tribunal, était situé le marché de
la ville, le lieu approprié pour les
fils des tribus qui venaient à la
ville, traversant près de 60 kms,
pour faire leurs achats, assister au
tribunal ou mener d’autres affaires.
Le gouvernement mandataire avait
enrôlé des jeunes pour la police,
répartie sur 9 centres, reliés entre
eux et avec al-Qods par TSF.
Chiffres et
renseignements En 2008, le nombre
des habitants de la ville s’élève à
53.000 personnes, en majorité
réfugiés, répartis à présent entre
al-Aqaba et Az-Zarqa en Jordanie.
Quant aux fils des tribus, leur
nombre s’élève en 2008 à 760.000
personnes, parmi eux 425.000
réfugiés, dont 200.000 en Jordanie
et 200.000 à Gaza, les autres vivant
en Cisjordanie, et peu d’entre eux
en Syrie et au Liban. Près de
190.000 sont restés en Israël, la
majorité de la tribu de Tayaha,
soumis quotidiennement aux formes
les plus abjectes de la
discrimination raciale et de la
dépossession de leurs terres. Les
habitants de la région de Beer Saba’
se distinguent par leur
participation à la résistance, et le
nombre de martyrs tombés représente
le pourcentage le plus élevé par
rapport au nombre d’habitants.
Gaza et Beer
Saba’ Le nombre de colons
vivant à Beer Saba’ en 2008 s’élève
à 170.000 personnes, la plupart des
Juifs orientaux, rejoints dans les
années 90, par un grand nombre de
juifs russes. Il y existe une grande
université dénommée « Ben Gourion »,
enterré dans la colonie Sedi Boukir,
au sud de Beer Saba’, pour favoriser
l’émigration des juifs vers la
région de Beer Saba’. Mais cela n’a
pas été aussi motivant, puisque
moins de 75.000 colons, à
l’exception de la ville de Beer
Saba’, habitent la région. La description
historique de la ville et de la
région de Beer Saba’ ne peut être
séparée de Gaza. Tout au long des
siècles avant 1900, Gaza, Beer Saba’
et sa région étaient connus par «
Bilad Gaza », avant son partage au
début du XXème siècle, pour raisons
militaires. Le site de Gaza
ressemble à celui de Damas. Les deux
villes représentent le centre
portuaire pour une grande superficie
de terres, en majorité désertique.
Le désert peut être comparé à la
mer, et la ville au port vers lequel
les gens se dirigent pour conclure
leurs affaires et revenir à « leurs
mers ». C’est pourquoi la bande de
Gaza fut le premier refuge de ceux
qui furent expulsés de la région de Beer Saba’. De par la résilience de
Gaza et de sa population réfugiée
depuis 1948, nous espérons que la
bande de Gaza devienne le point de
départ vers le retour à la patrie
occupée. As-Safir,
Beyrouth, 15 janvier 2013. (Traduit par Fadwa Nassar)
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