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Cuba
Les mensonges de Reporters sans frontières
sur Cuba
Salim Lamrani
Salim Lamrani
Vendredi 29 mai 2009
Le 20 mai 2009, Reporters sans frontières a publié une
déclaration sur Cuba dans laquelle elle affirme que
« n’importe qui peut
naviguer sur Internet… sauf s’il est Cubain ». Pour étayer
son propos, RSF présente une vidéo filmée en caméra cachée d’une
scène où un Cubain se voit interdire l’accès à Internet dans un
hôtel. L’organisation ajoute qu’un
« internaute risque
jusqu'à 20 ans de prison s’il publie un article
‘contre-révolutionnaire’ (article 91) sur des sites Internet et
cinq ans s’il se connecte illégalement a Internet ». Enfin,
RSF rappelle que « Cuba
reste la deuxième prison du monde pour les journalistes après la
Chine » en soulignant que
« 24 professionnels des
médias » sont
« emprisonnés sous le prétexte fallacieux d’être ‘des
mercenaires à la solde des Etats-Unis1’ ».
Il est aisé de mettre RSF face à ses contradictions. En
effet, alors que l’organisation parisienne affirme qu’aucun
Cubain ne peut se connecter à Internet, elle met en lien…
« le texte de la
bloggeuse Yoani Sanchez », qui vit à Cuba et qui se prononce
ouvertement contre le gouvernement de La Havane à travers
Internet. Comment Sanchez fait-elle pour s’exprimer si elle n’a
pas accès à Internet ? Sa dernière intervention date du 27 mai
2009. Elle s’est également exprimée le 25 mai, le 23 mai, le 22
mai, le 19 mai, le 18 mai, le 16 mai, le 15 mai, le 13 mai, le
10 mai, le 9 mai, le 7 mai, le 6 mai, le 4 mai, le 2 mai, le 29
avril, 28 avril, 27 avril, 26 avril, 25 avril, 23 avril et 21
avril 2009. Ainsi, dans le mois précédant la publication de la
déclaration de RSF sur Internet à Cuba, Yoani Sanchez a pu se
connecter, depuis Cuba, au moins 18 fois à Internet2.
RSF n’hésite pas à se contredire d’une publication à
l’autre. Ainsi, dans un rapport de mars 2008 au sujet des
journalistes indépendants à Cuba, l’entité parisienne souligne
que « le blog de Yoani
Sánchez s’inscrit dans un portail plus vaste, Consenso/Desdecuba.com,
animé par cinq blogueurs et un conseil de rédaction de six
personnes. Son objectif est essentiellement de commenter
l’actualité politique du pays. Le site peut se targuer d’avoir
franchi la barre de 1,5 million de clics en février dernier
après un an d’existence, dont 800 000 vont au blog Generacion Y.
Plus impressionnant encore, 26% des visiteurs sont domiciliés à
Cuba, en troisième position derrière les États-Unis et l’Espagne3 ».
Une simple question : Comment
« 26%
de ses lecteurs qui sont Cubains » peuvent-ils
consulter le blog de Sanchez si Internet leur est interdit4 ?
RSF a utilisé ainsi un cas isolé d’un seul
hôtel cubain par le biais d’une caméra cachée pour généraliser
l’interdiction d’Internet à l’île tout entière et stigmatiser
les autorités cubaines. Ironie de l’histoire, dans son
intervention du 23 mai 2009, Yoani Sánchez affirme
« que nous avons mené une
enquête avec une douzaine de blogueurs dans plus de quarante
hôtels de la ville. A l’exception de l’Occidental Miramar, tous
ont affirmé ne pas avoir connaissance de la régulation qui
interdisait l’accès des Cubains à Internet ». La bloggeuse
favorite des médias occidentaux contredit ainsi de manière
flagrante les allégations de RSF5.
RSF affirme ensuite que toute personne publiant un
article critique à l’égard du gouvernement cubain est passible
de 20 ans de réclusion et cite en guise de support à ses propos
l’article 91, sans fournir davantage de précisions. Que dit
l’article 91 du Code pénal cubain ? Le voici dans son
intégralité : « celui
qui, au nom d’un Etat étranger, réalise un acte dans le but de
porter atteinte à l’indépendance de l’Etat cubain ou à
l’intégrité de son territoire, sera passible d’une privation de
liberté de dix à vingt ans ou de la peine capitale ». Comme
cela est aisément constatable, RSF n’hésite aucunement à mentir
de manière éhontée. L’article en question n’interdit nullement
la publication d’analyses au caractère hétérodoxe sur Internet.
Il ne limite aucunement la liberté d’expression. Il sanctionne
les actes de trahison à la patrie 6.
Cela reviendrait à utiliser l’article 411-2
du Code pénal français (« Le
fait de livrer à une puissance étrangère, à une organisation
étrangère ou sous contrôle étranger ou à leurs agents soit des
troupes appartenant aux forces armées françaises, soit tout ou
partie du territoire national est puni de la détention
criminelle à perpétuité et de 750000 euros d'amende ») ou
l’article 411-4 (« Le
fait d'entretenir des intelligences avec une puissance
étrangère, avec une entreprise ou organisation étrangère ou sous
contrôle étranger ou avec leurs agents, en vue de susciter des
hostilités ou des actes d'agression contre la France, est puni
de trente ans de détention criminelle et de 450000 euros
d'amende. Est puni des mêmes peines le fait de fournir à une
puissance étrangère, à une entreprise ou une organisation
étrangère ou sous contrôle étranger ou à leurs agents les moyens
d'entreprendre des hostilités ou d'accomplir des actes
d'agression contre la France ») pour accuser le gouvernement
de Nicolas Sarkozy de répression contre les internautes7.
Par ailleurs, il suffit de consulter le
blog de Yoani Sánchez, extrêmement critique à l’égard des
autorités cubaines ou de lire les écrits des opposants pour se
rendre compte du manque de fondement de l’accusation portée par
l’organisation parisienne.
RSF certifie également que tout Cubain est passible de
« cinq ans s’il se
connecte illégalement à Internet ». Ici, l’entité française
se borne à émettre une affirmation péremptoire sans même prendre
la peine de citer un texte de loi qui, bien évidemment, n’existe
pas. Une nouvelle fois, RSF assène une contre-vérité.
Enfin, RSF réitère la même rengaine en assurant que
« 24 professionnels des
médias » sont
« emprisonnés sous le prétexte fallacieux d’être ‘des
mercenaires à la solde des Etats-Unis1’ ».
L’organisation est incapable de faire preuve de cohérence et de
rigueur dans ses propres documents. En effet, dans la version
espagnole de l’article, elle ne parle plus que de
« 19 détenus8 ».
Mais les chiffres importent peu, la mystification est une
nouvelle fois double. D’une part, sur les
« 24 professionnels des
médias » cités par l’organisation, un seul dispose d’une
véritable formation de journaliste : Oscar Elias Biscet. Les
autres n’avaient jamais exercé le métier avant d’intégrer
l’univers de la dissidence. D’autre part, ces individus n’ont
pas été condamnés pour avoir émis une production intellectuelle
subversive mais pour avoir accepté les émoluments financiers
offerts par Washington, passant ainsi du statut d’opposant à
celui d’agent stipendié par une puissance étrangère, commettant
par la même occasion un grave délit sanctionné non seulement par
la loi cubaine, mais par le code pénal de n’importe quel pays du
monde. Les preuves à cet égard sont multiples : les Etats-Unis
reconnaissent financer l’opposition interne cubaine et leurs
propres documents officiels l’attestent, les dissidents
confessent recevoir une aide pécuniaire de la part de Washington
et même Amnesty
International avoue que les personnes emprisonnées ont été
condamnées « pour avoir reçu des fonds ou du matériel du
gouvernement américain pour des activités perçues par les
autorités comme subversives ou faisant du tort à Cuba9 ».
RSF n’est pas une organisation digne de crédit car son
agenda est avant tout politique et idéologique. Comme cela est
constatable, il est aisé de mettre l’organisation parisienne
face à ses contradictions et de dévoiler ses manipulations. Par
ailleurs, RSF ne peut jouir d’aucune légitimité car elle
reconnaît être financée par la
National Endowment for
Democracy (NED) qui n’est rien d’autre que l’officine écran
de la CIA selon le New York Times
qui notait en mars 1997
que la NED « a été créée il y a 15 ans pour réaliser
publiquement ce que la Central Intelligence Agency (CIA)
a fait subrepticement durant des décennies10 ».
Notes
1
Reporters sans frontières,
« ‘N’importe qui peut naviguer sur Internet… sauf s’il est
cubain’ », 20 mai 2009.
http://www.rsf.org/article.php3?id_article=31379 (site
consulté le 20 mai 2009).
2
Yoani Sánchez, Generación
Y.
http://www.desdecuba.com/generaciony/
(site consulté le 24 mai 2009).
3
Claire Vœux, Cuba. Cinq
ans après le « Printemps noir », les journalistes indépendants
font de la résistance,
Reporters sans frontières,
mars 2008.
http://www.rsf.org/IMG/pdf/Rapport_Cuba.pdf (site consulté
le 20 mai 2009).
4
Reporters sans frontières,
« Cuba : rapport 2008 »,
http://www.rsf.org/article.php3?id_article=26080 (site
consulté le 20 mai 2009).
5
Yoani Sánchez, « ‘Sentada’ blogger »,
Generación Y, 23 mai
2009.
http://www.desdecuba.com/generaciony/ (site consulté le 27
mai 2009).
6
Ley n°62, Código Penal de Cuba, Libro II, Artículo 91, 29
décembre 1987.
http://www.acnur.org/biblioteca/pdf/4417.pdf
(site consulté le 24 mai 2009).
7
Code Pénal Français, Partie législative, Livre IV, Titre 1er,
Chapitre 1er, Sections 1 & 2.
8
Reporters sans frontières,
« “Cualquiera
puede navegar por Internet...salvo los cubanos”, 20 mai 2009.
http://www.rsf.org/article.php3?id_article=31383
(site consulté le 26 avril 2009).
9
Amnesty International,
« Cuba. Cinq années de
trop, le nouveau gouvernement doit libérer les dissidents
emprisonnés », 18 mars 2008.
http://www.amnesty.org/fr/for-media/press-releases/cuba-cinq-ann%C3%A9es-de-trop-le-nouveau-gouvernement-doit-lib%C3%A9rer-les-dissid(site
consulté le 23 avril 2008).
10
Salim Lamrani, Cuba. Ce
que les médias ne vous diront jamais (Paris : Editions
Estrella, 2009), à paraître.
Salim Lamrani est enseignant chargé de
cours à l’Université Paris-Descartes et l’Université Paris-Est
Marne-la-Vallée et journaliste français, spécialiste des
relations entre Cuba et les Etats-Unis. Il a publié, entre
autres, Double Morale. Cuba, l’Union européenne et les droits
de l’homme (Paris : Editions Estrella, 2008). Son nouvel
ouvrage s’intitule Cuba.
Ce que les médias ne vous diront jamais (Paris : Editions
Estrella, 2009) et comporte un prologue de Nelson Mandela.
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr ;
salim.lamrani@parisdescartes.fr
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