Cuba
Les nouvelles
contradictions de la dissidente cubaine
Yoani Sánchez
Salim
Lamrani
© Salim
Lamrani
Mardi 28 août 2012
Opera Mundi
http://operamundi.uol.com.br/...
La dissidente cubaine Yoani Sánchez est
devenue en l’espace de quelques années
la principale figure de l’opposition au
gouvernement de La Havane. Égérie des
médias occidentaux, la
bloggeuse
n’échappe pourtant pas à ses propres
contradictions.
Yoani Sánchez a une vision assez
particulière de son pays, qu’elle
partage sur son blog
Generación Y, créé en 2007. Le point
de vue est acerbe et sans nuance. La
réalité cubaine est décrite de façon
apocalyptique et elle y raconte son
quotidien composé de souffrances et de
privations. Elle y critique fortement le
gouvernement de La Havane qu’elle accuse
d’être responsable de tous les maux.
« Mon fils me demande s’il y aura à
manger aujourd’hui »
« Mon fils me demande s’il y aura à
manger aujourd’hui », note-t-elle dans
une chronique du 29 juin 2012, « dans
une société où chaque initiative est
entourée d’obstacles et d’empêchements,
surtout si elle se produit de forme
indépendante[1] ».
« L’une des scènes récurrentes est de
chercher des aliments et d’autres
produits de base à cause du manque
d’approvisionnement chronique de nos
marchés[2] »,
se plaint-elle. Elle affirme lutter
quotidiennement contre « les obstacles
de la vie[3] »
En effet, elle certifie même
avoir du mal à nourrir son propre fils
« face à la verticalité d’un
gouvernement totalitaire[4] »,
qui prétexte une « éternelle menace
étrangère pour disqualifier les
insatisfaits[5] ».
Ainsi, « l’augmentation de quelques
centimes du prix d’un aliment suffit à
faire exploser le thermomètre de
l’angoisse quotidienne et les degrés
d’inquiétude augmentent[6] ».
Contradictions
A la lecture de ces lignes, la jeune
dissidente cubaine semble souffrir de la
faim et se trouver dans un dénuement
total. Mais ses affirmations résistent
difficilement à l’analyse. Loin de se
trouver dans la précarité, Yoani Sánchez
jouit de conditions de vie matérielles
privilégiées par rapport à l’immense
majorité de ses compatriotes. En effet,
on découvre dans l’édition du 23 juillet
2012 du quotidien espagnol
El País que la bloggeuse a réalisé
un reportage sur « les 10 meilleurs
restaurants de la nouvelle cuisine
cubaine[7] ».
Convertie en gastronome et critique
culinaire, Sánchez établit un classement
des dix meilleurs restaurants de la
capitale cubaine et décrit avec moult
détails les succulents menus proposés
pour un prix moyen de « 20 euros »,
c’est-à-dire l’équivalent d’un mois de
salaire à Cuba. Ainsi, le Café Laurent,
le Decamerón, le Habana Chef, La Casa,
La Mimosa, La Moneda Cubana, Le
Chansonnier, Mamma Mía, Rancho Blanco et
Río Mar remportent les suffrages.
Plusieurs questions viennent
inévitablement à l’esprit. Pour pouvoir
établir un classement un tant soit peu
sérieux, la jeune opposante a dû
fréquenter au bas mot une cinquantaine
de restaurants de La Havane dont les
menus coûtent en moyenne 20 euros.
Comment Yoani Sánchez – qui affirme
avoir du mal à nourrir son fils –
a-t-elle pu dépenser un budget de 1000€
– somme qui représente l’équivalent de 4
années de salaire moyen à Cuba ! – pour
fréquenter les restaurants les plus
sélects de la capitale cubaine ?
Pourquoi une personne qui affirme être
intéressée par le sort de ses
concitoyens réalise-t-elle un reportage
sur les restaurants de luxe à Cuba, que
peu de Cubains peuvent fréquenter ?
Le véritable niveau de vie de Yoani
Sánchez
En réalité, Yoani Sánchez ne
souffre d’aucun problème d’ordre
matériel. En effet, depuis qu’elle a
intégré l’univers de la dissidence, sa
vie a considérablement changé. En
l’espace de quelques années, la jeune
opposante a reçu de multiples
distinctions, toutes financièrement
rémunérées. Ainsi, depuis la création de
son blog en 2007, la bloggeuse a été
rétribuée au total à hauteur de 250 000
euros, c’est-à-dire une somme équivalant
à plus de 20 années de salaire minimum
dans un pays tel que la France,
cinquième puissance mondiale. Le salaire
minimum mensuel à Cuba étant de 420
pesos, c’est-à-dire 18 dollars ou 14
euros, Yoani Sánchez a obtenu
l’équivalent de 1 488 années de salaire
minimum à Cuba pour son activité
d’opposante. Jamais aucun dissident à
Cuba – peut-être même dans le monde –
n’a obtenu autant de distinctions
internationales en si peu de temps.
Par ailleurs, le quotidien
El País a ouvert ses pages aux
chroniques de Sánchez, en échange d’une
rémunération oscillant aux alentours de
150 dollars par article, c’est-à-dire
l’équivalent de 8 mois de salaire
minimum à Cuba[8].
Yoani Sánchez, nouvelle figure de
l’opposition cubaine, est loin de vivre
dans le dénuement total. Au contraire,
elle dispose d’un train de vie qu’aucun
autre Cubain ne peut se permettre et,
contrairement à ce qu’elle prétend, son
fils ne souffre d’aucune carence
alimentaire. La dissidente, qui a
d’abord émigré en Suisse avant de
choisir de retourner à Cuba, a été assez
sagace pour comprendre qu’en adoptant un
certain type de discours, elle
satisferait de puissants intérêts
contraires au gouvernement et au système
cubains. Ces derniers, à leur tour,
sauraient se montrer généreux à son
égard.
Docteur ès Etudes Ibériques et
Latino-américaines de l’Université Paris
Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est
enseignant chargé de cours à
l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, et
l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée,
et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son dernier ouvrage s’intitule
État de siège. Les sanctions économiques
des Etats-Unis contre Cuba, Paris,
Éditions Estrella, 2011 (prologue de
Wayne S. Smith et préface de Paul
Estrade).
Contact :
Salim.Lamrani@univ-mlv.fr ;
lamranisalim@yahoo.fr
Page Facebook :
https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel
[1]
Yoani Sánchez, « A la distancia de
un CLIC »,
Generación Y, 28 juin 2012.
http://www.desdecuba.com/generaciony/
(site consulté le 26 juillet 2012).
[2]
Yoani Sánchez, « Mayorista vs
minorista »,
Generación Y, 5 juin 2012.
http://www.desdecuba.com/generaciony/
(site consulté le 26 juillet 2012).
[3]
Yoani Sánchez, « El
futuro con Mariela Castro »,
Generación Y, 28 mai 2012.
http://www.desdecuba.com/generaciony/
(site consulté le 26 juillet 2012).
[4]
Yoani Sánchez, « Fuenteovejuna »,
Generación Y, 13 juin 2012.
http://www.desdecuba.com/generaciony/
(site consulté le 26 juillet 2012).
[5]
Yoani Sánchez,
« ¿Buen talante? »,
Generación Y, 12 juin 2012.
http://www.desdecuba.com/generaciony/
(site consulté le 26 juillet 2012).
[6]
Yoani Sánchez, « Cerdo en ‘cajita’ »,
Generación Y, 16 mai 2012.
http://www.desdecuba.com/generaciony/
(site consulté le 26 juillet 2012).
[7]
Yoani Sánchez, « Los nuevos chefs de
La Habana. Los 10 mejores
restaurantes de la renovada cocina
cubana »,
El País, 23 juillet 2012.
http://elviajero.elpais.com/elviajero/2012/07/23/actualidad/1343057020_608376.html
(site consulté le 26 juillet 2012).
[8]
Yoani Sánchez, « Premios ».
http://www.desdecuba.com/generaciony/?page_id=1333
(site consulté le 26 juillet 2012).
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