Cuba
La réforme du modèle économique cubain :
Causes et perspectives (2/3)
Salim
Lamrani
Salim
Lamrani
Mercredi 24 août
2011
Les facteurs internes
D’un point de vue national,
plusieurs facteurs – dont une partie
substantielle sont en lien direct avec
l’état de siège imposé par les
Etats-Unis – sont à mettre en exergue
tels que la bureaucratie, la corruption
au niveau intermédiaire – et parfois au
plus haut niveau – de la structure
étatique entrainant le renforcement du
marché parallèle, le manque de débat
critique, la faible productivité,
l’hypertrophie du secteur public, la
production insuffisante de matières
premières alimentaires, la
décapitalisation de l’industrie et de
l’infrastructure productive, ainsi que
le vieillissement de la population.
La
bureaucratie
La bureaucratie est un réel
problème à Cuba et affecte des pans
entiers de la société. La presse
cubaine, qui a longtemps éludé le sujet,
n’hésite désormais plus à en dénoncer
l’indolence, l’inefficacité et les
dérives. Le principal quotidien du pays,
Granma, porte-parole du Parti
communiste, a virulemment stigmatisé le
poids de la bureaucratie et exhorte à
« un changement de mentalité » dans une
chronique intitulée « Bureaucratisme, de
règle à exception ». Selon l’article,
« il y en a encore qui ferment les yeux
face au nouveau scénario qui se met en
place pour l’économie et la société ».
Certains ont « la bureaucratie dans les
veines, inoculée comme un virus
mortel », alors que d’autres ne
souhaitent pas que change « le système
d’obstacle, de dilation, d’impunité et
l’amende ou le bakchich pour qu’une
démarche quelconque arrive à son
terme ». Nombre de fonctionnaires
« profitent de leurs huit heures
quotidiennes de bourreaux rendant la vie
impossible » aux citoyens.
Granma appelle le gouvernement à
mettre un terme à ce « fléau parasitaire
au sein de l’administration publique »,
notamment pour l’application des
nouvelles mesures d’élargissement du
secteur privé[1].
Le quotidien
Juventud Rebelde a également dénoncé
une bureaucratie « aux méthodes
autocratiques et verticalistes »,
insensible aux problèmes de la
population. Le journal fustige son
comportement « impardonnable et
paradoxal », notamment en cette période
de grands changements à Cuba. Cette
dernière ne daigne même pas répondre aux
courriers de la population dans plus de
30% des cas et refuse « d’évaluer les
problèmes à la racine ». « Un autre
élément préoccupant est l’impunité avec
laquelle les lois, les normes et même
les droits des citoyens sont
transgressés, devant les yeux de
supérieurs[2] ».
Alfredo Guevara, père du cinéma
cubain et ami personnel de Fidel Castro,
a approuvé la volonté de réforme du
gouvernement et a appelé à mettre fin à
l’étatisation outrancière de la société
cubaine. « Nous sommes en train de vivre
un processus de destruction de
l’étatisation de la société et j’espère
que nous aurons un Etat qui s’autolimite
dans ses fonctions et qui permette à la
société de se développer[3] ».
Cela permettra d’atteindre « un niveau
d’indépendance et de maturité qui sera
un grand apport » pour le pays. Guevara
a souvent dénoncé la bureaucratie
cubaine « absurde et inefficace[4] »
ainsi que le paternalisme
contre-productif de l’Etat. D’après lui,
« la bureaucratie est représentée par
des dirigeants inutiles qui pensent que
leur tâche consiste uniquement à donner
des ordres. L’Etat, ce n’est pas la
bureaucratie, mais évidemment un Etat
disproportionné crée un phénomène
idéologique bureaucratique[5] ».
Le président de la République
Raúl Castro a mis en garde les partisans
du statu quo, qui refusent le
changement : « Nous serons à la fois
patients et persévérants face aux
résistances au changement, qu’elles
soient conscientes ou inconscientes.
J’avertis que toute résistance
bureaucratique à l’accomplissement
stricte des accords du Congrès,
massivement soutenus par le peuple, sera
inutile[6] ».
La
corruption
La corruption est également un
phénomène endémique à Cuba et gangrène
les niveaux intermédiaires de la
structure étatique, y compris les
inspecteurs des impôts, et parfois la
plus haute hiérarchie[7].
Le marché noir s’est substantiellement
développé à Cuba depuis la chute de
l’Union soviétique. Elle est
principalement due à l’insuffisance du
revenu mensuel. Raúl Castro l’a
d’ailleurs reconnu sans ambages : « Le
salaire est encore clairement
insuffisant pour satisfaire tous les
besoins, et il a pratiquement cessé de
remplir son rôle d’assurer le principe
socialiste selon lequel chacun apporte
selon
sa capacité et reçoit selon son
travail. Cela a favorisé des
manifestations d’indiscipline sociale[8] ».
Or, toute augmentation du traitement
mensuel ne peut survenir qu’en parallèle
à une augmentation de la production,
laquelle génèrera plus de revenus.
Une étude réalisée en 2005, à la
demande expresse de Fidel Castro, avait
révélé l’ampleur du vol de combustible
dans les 2 000 stations à essence du
pays. Durant quarante-cinq jours, les
employés de ces points de vente avaient
été remplacés par des travailleurs
sociaux et renvoyés chez eux, avec le
maintien intégral de leur salaire. Le
premier rapport rendu public avait
montré que plus de 50% de l’essence
était détourné. En effet, les revenus
quotidiens générés par les 2 000 points
de ventes avaient augmenté de 100 000
dollars, soit une croissance de 115% par
rapport à la situation antérieure. Dans
la province de Santiago de Cuba, les
revenus avaient explosé de 553%,
illustrant ainsi le fait que plus de 80%
du combustible était dérobé à l’Etat et
revendu dans l’économie souterraine[9].
Un détournement d’une telle ampleur ne
peut être effectué sans la complicité
active de hauts-fonctionnaires occupant
des postes à responsabilité. Par le
passé, plusieurs ministres ont été
destitués, traduits en justice et
condamnées à de lourdes peines de prison
pour corruption et détournements de
fonds[10].
Récemment trois ministres ont été
limogés pour diverses raisons[11].
Face à ce constat alarmant, Fidel Castro
avait mis en garde contre un
effondrement total du système : « Ce
pays peut s’autodétruire lui-même ;
cette Révolution peut s’autodétruire
[…], nous pouvons la détruire, et ce
serait notre faute[12] ».
Raúl Castro, conscient que la
corruption n’épargne pas les
hauts-fonctionnaires, a envoyé un
message clair aux responsables de tous
les secteurs : « Il faut mettre un terme
définitif au mensonge et à la tromperie
dans la conduite des cadres, de tout
niveau ». De manière plus insolite, il
s’est appuyé sur deux des dix
commandements bibliques pour illustrer
son propos : « Tu ne voleras point » et
« tu ne mentiras point ». De la même
manière, il a évoqué les trois principes
éthiques et moraux de la civilisation
Inca :
« ne pas mentir, ne pas voler, ne pas
être paresseux », lesquels doivent
guider la conduite de tous les
responsables de la nation[13].
En effet, le marché noir est alimenté
par le détournement massif de
marchandises importées par l’Etat et
implique forcément de hauts dirigeants.
Raúl Castro a été explicite à ce sujet :
« Face aux violations de la Constitution
et de la légalité établie, il n’y a
d’autres alternatives que de recourir au
Procureur et aux Tribunaux, comme nous
avons déjà commencé à le faire, pour
exiger des responsabilités aux
contrevenants, quels qu’ils soient, car
tous les Cubains, sans exception, sommes
égaux devant la loi[14] ».
Gladys Berejano, vice-présidente
du Conseil d’Etat et responsable de la
lutte anticorruption du gouvernement
cubain, a reconnu que le combat contre
les malversations restait un défi majeur
et l’une des grandes priorités
nationales. Selon un récent audit
réalisé en 2011, à peine 46% des entités
publiques évaluées à Cuba présentaient
un bilan acceptable. Dans le reste des
agences et entreprises d’Etat, les
administrateurs ont falsifié les livres
de comptes afin de détourner des
articles vers le marché noir, avec la
complicité des experts-comptables
chargés d’évaluer la santé financière de
la structure[15].
L’affaire Esteban Morales est
édifiante dans la mesure où elle permet
de faire la lumière sur la lutte entre
les forces obscures et conservatrices
toujours présentes au sein du Parti
Communiste Cubain et ses secteurs plus
critiques et progressistes. Dans un
article publié sur le site Internet de
l’Union nationale des écrivains et
artistes de Cuba (UNEAC), Esteban
Morales, économiste et membre du Parti
communiste cubain à la réputation
honorable, spécialiste de la question du
racisme et des relations avec les
Etats-Unis, avait mis en garde en avril
2011 contre le principal danger qui
menaçait le processus révolutionnaire
cubain : la corruption. Il avait dénoncé
l’enrichissement illicite de certains
haut-fonctionnaires et membres du
gouvernement sans citer de noms, les
accusant de préparer le transfert des
biens publics entre des mains privées,
en cas de chute du régime, dans un
processus similaire à ce qui s’était
passée dans l’ex Union Soviétique. « Il
est indéniable que la contrerévolution
prend peu à peu des positions à certains
niveaux de l’Etat et du gouvernement ».
Il avait cité en exemple la distribution
récente de terres en usufruit et les
nombreux cas de « fraudes, illégalités,
favoritismes, lenteur bureaucratiques »
qui se sont ensuivis, ainsi que d’autres
cas de hauts-fonctionnaires qui se sont
rendus coupables de détournements de
fonds et ont ouvert des comptes
bancaires à l’étranger[16].
Suite à la publication de cette
réflexion sévère et implacable sur la
forme mais fondamentalement avérée,
Morales a été exclu du Parti Communiste
Cubain et son article retiré du site de
l’UNEAC. Néanmoins, face au large
soutien dont il a bénéficié parmi les
membres du Parti – y compris celui de
Raúl Castro –, la Commission d’Appel du
Comité Central a désavoué la décision
prise en première instance et a
réintégré Morales dans ses fonctions[17].
La
culture du débat
L’absence d’une véritable culture
du débat critique à Cuba constitue un
frein au développement de la nation. Les
plus hauts dirigeants sont conscients
cette réalité. Ainsi, Fidel Castro
regrette l’unanimité de façade trop
souvent présentée, notamment dans la
presse cubaine :
Pendant longtemps on a eu tendance ici
à supposer que les remarques critiques,
la dénonciation de ce qui n’allait pas
faisaient le jeu de l’ennemi, aidaient
la contre-révolution. Certains ont peur
parfois d’informer sur quelque chose en
pensant que cela pourrait servir à
l’ennemi. Or nous savons pertinemment
que le travail des médias est très
important dans la lutte contre les faits
négatifs. C’est pourquoi nous avons
encouragé à l’esprit critique. Nous
sommes arrivés à la conclusion qu’il
était nécessaire de développer bien
davantage l’esprit critique[18].
Raúl Castro a également fustigé
les non-dits, la complaisance et la
médiocrité. Il a appelé à plus de
franchise. « Il ne faut pas craindre les
divergences de critères […], les
différences d’opinions […], qui seront
toujours préférables à la fausse
unanimité basée sur la simulation et
l’opportunisme. Il s’agit de surcroit
d’un droit dont personne ne doit être
privé ». Castro a dénoncé l’excès de la
« culture du secret à laquelle nous nous
sommes habitués durant plus de cinquante
ans » pour occulter les erreurs, les
défaillances et les manquements. « Il
est nécessaire de changer la mentalité
des cadres et de tous nos compatriotes[19] »,
a-t-il ajouté, en proposant de limiter à
10 ans les mandats politiques « afin
d’assurer un rajeunissement systématique
de toute la chaîne de responsabilité[20] ».
A destination des médias, il a tenu les
propos suivants :
Notre presse parle assez de cela, des
conquêtes de la Révolution, et nous en
faisons autant dans les discours. Mais
il faut aller au cœur des problèmes […].
Je suis un défenseur à outrance de la
fin de la culture du secret car derrière
ce tapis doré se cachent nos manquements
et ceux qui ont intérêt à ce que rien ne
change. Je me souviens de quelques
critiques apparues dans la presse il y
quelques années avec mon soutien [...].
Immédiatement, la grande bureaucratie
s’est mise en branle et a commencé à
protester : « Ces choses n’aident pas et
démoralisent les travailleurs ». Quels
travailleurs vont être démoralisés ? De
même, dans une grande entreprise
laitière de l’Etat de Camagüey, Le
Triangle, pendant des semaines, on
donnait le lait produit à des cochons du
coin car le camion citerne était en
panne. J’ai alors demandé à un
secrétaire du Comité Central de dénoncer
cela dans
Granma. Certains sont venus me voir
pour me dire que ce genre de critiques
était contreproductif car cela
démoralisait les travailleurs, etc.
Mais, ce qu’ils ne savaient pas, c’est
que j’en étais à l’origine[21].
Le 1er août 2011, lors
de son discours de clôture de la VIIe
Législature du Parlement Cubain, Raúl
Casto a réitéré la nécessité du débat
critique et contradictoire au sein d’une
société : « Toutes les opinions doivent
être analysées, et quand il n’y a pas
consensus, les divergences seront
portées auprès des instances supérieures
habilitées à prendre une décision ; de
plus, personne ne dispose des
prérogatives pour l’empêcher[22] ».
Il a appelé à mettre fin « à l’habitude
du triomphalisme, de l’autosatisfaction
et du formalisme dans le traitement de
l’actualité nationale et à générer des
matériaux écrits et des programmes de
télévision et de radio qui par leur
contenu et leur style captent
l’attention et stimulent le débat au
sein de l’opinion publique », afin
d’éviter les matériaux « ennuyeux,
improvisés et superficiels » au sein des
médias[23].
Granma a également fustigé la
culture du secret de la part des
fonctionnaires qui empêchent la presse
cubaine d’informer correctement la
population. Ainsi, la collecte
d’information devient un véritable
parcours du combattant dans un
labyrinthe bureaucratique où les
autorisations pour tout reportage sont
nécessaires. Le quotidien dénonce
« l’incompréhension de nombreux
fonctionnaires administratifs qui
semblent vivre insensibles au droit des
citoyens et à l’irritation que cause à
la population le fait de ne pas
expliquer à temps les raisons d’un
phénomène ou d’une mesure ». Les
obstacles sciemment érigés dans l’accès
à l’information violent « les principes
démocratiques » établies par la
Constitution de la République. « Offrir
une information systématique, véritable,
diverse, qui permette d’aborder la
réalité dans toute sa complexité, ne
constitue pas une faveur mais un droit
du peuple », conclut le journal[24].
Le
sectarisme
A Cuba, certaines pratiques
discriminatoires sont toujours
persistantes au plus haut niveau de
l’appareil étatique, malgré les efforts
déployés par le président de la
République lui-même pour y mettre un
terme. Raúl Castro a ainsi publiquement
dénoncé à la télévision certaines
atteintes à la liberté religieuse dues à
l’intolérance « encore enracinée dans la
mentalité de nombreux dirigeants à tous
les niveaux ». Il a évoqué le cas d’une
femme, cadre du Parti communiste, au
parcours exemplaire, qui a été écartée
de ses fonctions, en février 2011, en
raison de sa foi chrétienne et dont le
salaire a été réduit de 40%, en
violation de l’article 43 de la
Constitution de 1976 qui interdit tout
type de discrimination. Le président de
la République a ainsi dénoncé « le mal
occasionné à une famille cubaine par des
attitudes basées sur une mentalité
archaïque, alimentée par la simulation
et l’opportunisme ». Rappelant que la
personne victime de cette discrimination
était née en 1953, date de l’attaque de
la caserne Moncada par les partisans de
Fidel Castro contre la dictature de
Fulgencio Batista, Raúl Castro a tenu
les propos suivants :
Je ne suis pas allé au Moncada pour ça
[…]. J’ai évoqué cette affaire lors de
la réunion du 30 juillet, qui marquait
également le 54ème
anniversaire de l’assassinat de Frank
País et de son fidèle compagnon Raúl
Pujol. J’ai connu Frank au Mexique, je
l’ai revu dans la Sierra, et je ne me
souviens pas avoir connu une âme aussi
pure que la sienne, aussi courageuse,
aussi révolutionnaire, aussi noble et
modeste, et m’adressant à l’un des
responsables de cette injustice qui a
été commise, je lui ai dit : Frank
croyait en Dieu et pratiquait sa
religion, que je sache il n’avait jamais
cessé de la pratiquer, qu’auriez-vous
fait de Frank País[25] ?
Pourtant, les relations avec
l’Eglise catholique romaine n’ont jamais
été aussi bonnes depuis le triomphe de
la révolution en 1959. Le scénario de
confrontation avec les institutions
religieuses a peu à peu laissé place au
dialogue, limant ainsi les aspérités du
passé où « les deux parties ont fait
preuve d’excès ». Raúl Castro a ainsi
virulemment condamné ces pratiques « qui
portent atteinte à notre principal arme
pour préserver l’indépendance et la
souveraineté nationale, c’est-à-dire,
l’Unité de la Nation ». Selon lui, il
est urgent de briser « la barrière
psychologique formée par l’inertie,
l’immobilisme, la simulation ou la
double morale et l’insensibilité » qui
conduit à tout type d’abus. « Notre pire
ennemi n’est pas l’impérialisme et
encore moins ses salariés présents sur
notre sol, mais nos propres erreurs. Si
elles sont analysées en profondeur et
avec honnêteté, elles se transformeront
en leçons[26] ».
Une productivité faible
La productivité est également un
problème endémique dans une société
habituée à recevoir la même rémunération
quelle que soit la qualité et la
quantité du travail fourni. Les employés
du secteur public ne s’intéressent guère
aux problématiques de productivité et
d’efficience. Il y en en effet « une
absence de culture économique chez la
population ». Par ailleurs, la
soviétisation de l’économie cubaine à
partir de 1968, avec la nationalisation
de tous les petits commerces, a eu des
conséquences désastreuses pour le pays
en termes de rendement. Au lieu
d’adapter la politique économique aux
particularités nationales, Cuba avait
suivi par mimétisme le modèle russe.
Raúl Castro admet désormais l’erreur
dictée à la fois par l’inexpérience de
la direction de la nation et par le
contexte géopolitique de l’époque :
« Nous ne pensons pas copier de nouveau
quelqu’un, car cela nous a causé de
nombreux problèmes par le passé et,
par-dessus le marché, nous avions mal
copié[27] ».
Le gouvernement cubain est lucide au
sujet de ses manquements en matière
économique. Il reconnaît que « la
spontanéité, l’improvisation, la
superficialité, le non-accomplissement
des objectifs, le manque de profondeur
dans les études de faisabilité et le
manque de vision intégrale pour
entreprendre un investissement » portent
un grave préjudice à la nation[28].
Cuba dispose de terres
extraordinairement fertiles et pourrait
être un exportateur de matières
premières alimentaires. Au lieu de cela,
Cuba importe 83% des produits
alimentaires qu’elle consomme. Par
exemple, Cuba importe chaque année 47
millions de dollars de café alors qu’il
serait parfaitement possible d’en
produire à Cuba d’une excellente
qualité. En 1975, le Vietnam, au sortir
de la guerre, avait sollicité l’aide
cubaine pour produire du café. Le
Vietnam est désormais le second
exportateur de café au monde…grâce à
l’expérience et au savoir-faire cubains.
Un diplomate vietnamien a fait part de
sa surprise à son homologue cubain face
à cette contradiction : « Comment est-il
possible que vous nous achetiez du café
alors que vous nous avez appris à le
semer[29] ? ».
Il y a une raison à cela : Sur les 6,6
millions d’hectares de surface agricole,
3,6 millions restaient en jachère ou
sous-exploités en 2008[30].
La politique agricole du gouvernement
révolutionnaire a ainsi été l’un de ses
plus graves échecs. Plusieurs facteurs
permettent d’expliquer cette dépendance
stratégiquement dangereuse. Tout
d’abord, le métier de la terre est par
définition un travail difficile et
ingrat, surtout dans une société qui a
atteint un niveau de développement
humain sans précédant dans l’histoire de
l’Amérique latine et du Tiers-monde. Il
est en effet difficile de convaincre des
citoyens ayant obtenu des diplômes
universitaires d’aller produire du café
ou du blé pour obtenir, de toute façon,
le même salaire qu’un employé de bureau.
Pour cela, il est indispensable « que
les agriculteurs obtiennent des revenus
justes et raisonnables pour leur dur
labeur[31] »,
comme l’a rappelé le président cubain.
Ainsi, depuis 2008, sur un fonds
disponible de 1,8 millions d’hectares de
terres non cultivées, plus d’un million
a été concédé – pour des surfaces allant
de 13 à 40 hectares – en usufruit
gratuit pour une période de 10 ans pour
les particuliers et de 25 ans pour les
coopératives. De la même manière, le
gouvernement a décidé de baisser de 60%
le prix du matériel et des produits
agricoles afin d’inciter la population à
investir ce domaine[32].
L’hypertrophie du secteur public
et la faiblesse de l’infrastructure
productive
L’hypertrophie du secteur public
est une réalité indéniable. En effet,
l’Etat emploie près de 84% de la
population active, qui s’élève à 5,2
millions de personnes. La fonction
publique se charge de fournir un emploi
aux Cubains, même si certains secteurs
sont saturés. Le suremploi permet
d’obtenir une certaine stabilité sociale
mais près d’un million d’emplois sont
considérés comme peu ou pas productifs[33].
La décapitalisation de
l’industrie et de l’infrastructure
productive constitue un sérieux obstacle
économique. Cuba a un besoin urgent de
nouveaux investissements, notamment en
capitaux étrangers. Néanmoins, les
menaces de sanctions en provenance des
Etats-Unis freinent les potentiels
investisseurs[34].
Une transition démographique
avancée
Cuba se trouve enfin à stade de
transition démographique avancée, tout
comme des pays tels que l’Argentine,
l’Uruguay ou le Chili, en raison de son
indice de développement humain élevée.
Le pays est donc confrontée au
vieillissement de sa population, dont
l’espérance de vie est de près de 80
ans. Selon le Bureau national des
statistiques (ONE), près de deux
millions de personnes ont plus de 60
ans, soit 17,8% de la population du
pays. Dans vingt ans, le chiffre passera
à 30%[35].
Cuba compte actuellement 1 551
centenaires et doit faire face non
seulement au problème du financement des
retraites – l’âge de départ est passé de
55 ans à 60 ans pour les femmes et de 60
ans à 65 ans pour les hommes en 2009 –,
mais également au danger de
non-renouvellement générationnel qui
affecte l’économie et la société. En
effet, le nombre d’habitants a diminué
en 2010 en raison du faible taux de
natalité[36].
A suivre :
-« Les mesures économiques et
sociales ».
Docteur ès Etudes Ibériques et
Latino-américaines de l’Université Paris
Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est
enseignant chargé de cours à
l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, et
l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée,
et
journaliste, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis.
Son dernier
ouvrage s’intitule
Etat de siège. Les sanctions économiques
des Etats-Unis contre Cuba, Paris,
Editions Estrella, 2011, avec un
prologue de Wayne S. Smith et une
préface de Paul Estrade.
Contacto:
Salim.Lamrani@univ-mlv.fr ;
lamranisalim@yahoo.fr
[1]
Félix López, « Burocratismo, de
regla a excepción »,
Granma, 29 janvier 2011 ;
EFE, « Diario oficial arremete
contra burócratas », 29 janvier
2011
[2]
José Alejandro Rodríguez,
« Menos respuestas cuando más se
necesitan »,
Juventud Rebelde, 6 juillet
2011.
[3]
Agence France
Presse,
« Figura histórica del castrismo
aplaude la ‘desestatización »,
23 novembre 2010.
[4]
Agence France
Presse,
« Transición del ‘disparate’ al
socialismo, dice Guevara », 24
juin 2011
[5]
Agence France
Presse,
« Figura histórica del castrismo
aplaude la ‘desestatización »,
op. cit.
[6]
Raúl Castro, « Toda resistencia
burocrática al estricto
cumplimiento de los acuerdos del
Congreso, respaldados
másivamente por el pueblo, será
inútil »,
Cubadebate, 1er
août 2011.
[7]
Agence France
Presse,
« Fisco cubano combatirá
corrupción de inspectores », 26
juillet 2011.
[8]
Raúl Castro Ruz, « Discurso
pronunciado por el General de
Ejército Raúl Castro Ruz,
Presidente de los Consejos de
Estado y de Ministros, en la
clausura del Sexto Período
Ordinario de Sesiones de la
Séptima Legislatura de la
Asamblea Nacional del Poder
Popular, en el Palacio de
Convenciones, el 18 de diciembre
de 2010, “Año 52 de la
Revolución” »,
op. cit.
[9]
Andrea Rodriguez, « Castro
revela cifras de robo de
combustible en Cuba »,
Associated Press, 7 décembre
2005.
[10]
Esteban Morales, « Corrupción:
¿La verdadera
contrarrevolución? »,
Progreso Semanal, 20 avril
2010 ; Mauricio Vicent,
« Corrupción al modo cubano »,
El País, 16 mai 2010 ; Agence
France Presse, « Cuba
condena a veinte años de cárcel
a empresario chileno Max
Marambio », 5 mai 2011.
[11]
Raúl Castro, « Discurso
pronunciado por el General de
Ejército Raúl Castro Ruz,
Presidente de los Consejos de
Estado y de Ministros, en la
clausura del Sexto Período
Ordinario de Sesiones de la
Séptima Legislatura de la
Asamblea Nacional del Poder
Popular, en el Palacio de
Convenciones, el 18 de diciembre
de 2010, “Año 52 de la
Revolución” »,
op.cit.,
Granma, « Electa Teresita
Romero vicepresidenta de la
Asamblea Provincial del Poder
Popular en Sancti Spíritu », 2
avril 2011 ;
EFE, « Destituciones por
corrupción en gobierno de Sancti
Spíritu », 2 avril 2011.
[12]
Fidel Castro Ruz, « Discurso
pronunciado por Fidel Castro
Ruz, Presidente de la República
de Cuba, en el acto por el
aniversario 60 de su ingreso a
la universidad, efectuado en el
Aula Magna de la Universidad de
La Habana », 17 novembre 2005.
http://www.cuba.cu/gobierno/discursos/2005/esp/f171105e.html
(site consulté le 2 avril 2011).
[13]
Raúl Castro, « Discurso
pronunciado por el General de
Ejército Raúl Castro Ruz,
Presidente de los Consejos de
Estado y de Ministros, en la
clausura del Sexto Período
Ordinario de Sesiones de la
Séptima Legislatura de la
Asamblea Nacional del Poder
Popular, en el Palacio de
Convenciones, el 18 de diciembre
de 2010, “Año 52 de la
Revolución” »,
op.cit.
[14]
Raúl Castro, « Toda resistencia
burocrática al estricto
cumplimiento de los acuerdos del
Congreso, respaldados
másivamente por el pueblo, será
inútil »,
Cubadebate, 1er
août 2011.
[15]
Juan O. Tamayo, « Régimen cubano
reconoce aumento de
corrupción », 22 juin 2011.
[17]
Andrea Rodriguez, « Cuba :
comunistas reincorporan a
académico expulsado por
críticas »,
The Associated Press, 8
juillet 2011.
[18]
Ignacio Ramonet,
Fidel Castro. Biographie à deux voix, Paris, Fayard/Galilée, 2007,
p. 516.
[19]
Raúl Castro, « Discurso
pronunciado por el General de
Ejército Raúl Castro Ruz,
Presidente de los Consejos de
Estado y de Ministros, en la
clausura del Sexto Período
Ordinario de Sesiones de la
Séptima Legislatura de la
Asamblea Nacional del Poder
Popular, en el Palacio de
Convenciones, el 18 de diciembre
de 2010, “Año 52 de la
Revolución” »,
op.cit.
[21]
Raúl Castro, « Discurso
pronunciado por el General de
Ejército Raúl Castro Ruz,
Presidente de los Consejos de
Estado y de Ministros, en la
clausura del Sexto Período
Ordinario de Sesiones de la
Séptima Legislatura de la
Asamblea Nacional del Poder
Popular, en el Palacio de
Convenciones, el 18 de diciembre
de 2010, “Año 52 de la
Revolución” »,
op.cit.
[22]
Raúl Castro, « Toda resistencia
burocrática al estricto
cumplimiento de los acuerdos del
Congreso, respaldados
másivamente por el pueblo, será
inútil »,
Cubadebate, 1er
août 2011.
[24]
Anneris Ivette Leyva, « El
derecho a la información »,
Granma, 8 juillet 2011.
[25]
Raúl Castro, « Toda resistencia
burocrática al estricto
cumplimiento de los acuerdos del
Congreso, respaldados
másivamente por el pueblo, será
inútil »,
Cubadebate, 1er
août 2011.
[27]
Raúl Castro, « Discurso
pronunciado por el General de
Ejército Raúl Castro Ruz,
Presidente de los Consejos de
Estado y de Ministros, en la
clausura del Sexto Período
Ordinario de Sesiones de la
Séptima Legislatura de la
Asamblea Nacional del Poder
Popular, en el Palacio de
Convenciones, el 18 de diciembre
de 2010, “Año 52 de la
Revolución” »,
op.cit.
[28]
Partido
Comunista de Cuba,
« Resolución sobre los
lineamientos de la política
económica y social del partido y
la Revolución »,
op. cit.
[29]
Raúl Castro, « Discurso
pronunciado por el General de
Ejército Raúl Castro Ruz,
Presidente de los Consejos de
Estado y de Ministros, en la
clausura del Sexto Período
Ordinario de Sesiones de la
Séptima Legislatura de la
Asamblea Nacional del Poder
Popular, en el Palacio de
Convenciones, el 18 de diciembre
de 2010, “Año 52 de la
Revolución” »,
op.cit.
[30]
Andrea Rodriguez, « Rebajan
precios de insumos agrícolas en
Cuba »,
The Associated Press, 5 août
2011.
Voir également le témoignage
d’un agriculteur : Ventura de
Jesús, « Un buen agricultor
suburbano »,
Granma, 21 mai 2011.
[31]
Raúl Castro, « Discurso
pronunciado por el General de
Ejército Raúl Castro Ruz,
Presidente de los Consejos de
Estado y de Ministros, en la
clausura del Sexto Período
Ordinario de Sesiones de la
Séptima Legislatura de la
Asamblea Nacional del Poder
Popular, en el Palacio de
Convenciones, el 18 de diciembre
de 2010, “Año 52 de la
Revolución” »,
op.cit.
[32]
Andrea Rodriguez, « Rebajan
precios de insumos agrícolas en
Cuba »,
op. cit.
[33]
Paul Haven, « Cuba : Pequeños
empresarios, factor clave de
reformas económicas »,
The Associated Press, 31
janvier 2011.
[34]
Partido
Comunista de Cuba,
« Resolución sobre los
lineamientos de la política
económica y social del partido y
la Revolución »,
op. cit.
[35]
EFE,
« El envejecimiento poblacional
en Cuba continuó en aumento en
2010 », 7 juillet 2011.
[36]
Agence France
Presse,
« Aumenta cantidad de
centenarios y disminuyen
nacimientos en Cuba », 20 mai
2011. Voir également
EFE, « Centenarios cubanos
develan secreto de la
longevidad », 27 mai 2011.
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