Opinion
Comment mettre fin
à l'exil fiscal
Salim
Lamrani
© Salim
Lamrani
Mardi 23 octobre 2012
Opera Mundi
http://operamundi.uol.com.br/...
Le souhait de magnat français Bernard
Arnaud d’acquérir la nationalité belge a
relancé le débat sur l’exil fiscal et le
refus des gros patrimoines de
s’acquitter de leur devoir tributaire.
Pourtant, il existe une solution simple
et efficace pour mettre fin à l’évasion
fiscale légale.
Bernard Arnaud, première fortune
européenne et quatrième fortune mondiale
avec 40 milliards d’euros, dont le
salaire annuel s’élève à 10 millions
d’euros et dont les placements lui
rapportent chaque année 200 millions
d’euros, a effectué une demande de
naturalisation afin d’obtenir la
nationalité belge[1].
D’aucuns soupçonnent l’homme le plus
riche de France de vouloir échapper
ainsi à son devoir de citoyen, comme
plusieurs dizaines de milliers d’exilés
fiscaux qui ont choisi de s’installer
dans des pays étrangers tels que la
Suisse, la Belgique, le Royaume-Uni ou
autre, qui offrent des avantages non
négligeables pour les plus aisés[2].
Entre 1988 et 2006, 0,01% des
Français les plus riches, environ 3 500
foyers fiscaux, ont vu leur revenu réel
augmenter de 42%. En guise de
comparaison, sur la même période, les
90% les moins aisés ont bénéficié
seulement d’une hausse de 4,6%[3].
Ainsi, l’évasion fiscale légale et
illégale coûte chaque année 50 milliards
d’euros à l’Etat français. Avec une
telle somme, 500 000 logements sociaux à
100 000 euros pourraient être construits
chaque année, ou bien on pourrait créer
plus de 1,5 millions de postes dans
l’éducation, la santé, le social ou la
culture.
En Suisse, dans certains cantons, les
résidents étrangers ne sont pas imposés
sur leurs revenus et leur patrimoine,
mais uniquement sur leur train de vie,
ce qui rend ses territoires très
attractifs pour les plus fortunés. Dans
ce pays, où résident près de 2000 exilés
fiscaux français, les 43 familles les
plus aisées cumulent à elles seules une
fortune de 36,5 milliards d’euros[4].
Pour répondre à la problématique
de l’exil fiscal, l’argument dominant en
France, défendu par les milieux
économiques, la droite et une certaine
partie du centre-gauche, consiste à
préconiser une baisse du taux
d’imposition pour les catégories les
plus aisées. D’ailleurs, dès son
élection en 2007, l’ancien président
Nicolas Sarkozy avait fait adopter le
bouclier fiscal – dispositif tributaire
selon lequel les revenus d’un
contribuable ne peuvent pas être taxés à
plus de 50%[5].
Pourtant, il existe un mécanisme
applicable et efficace pour mettre un
terme à l’évasion fiscale légale.
Actuellement, l’imposition est liée au
lieu de résidence. Ainsi, un exilé
fiscal français qui choisit de vivre
plus de six mois par an en Suisse
devient automatiquement un contribuable
suisse et bénéficie ainsi de sa
législation avantageuse. Il en est de
même pour le ressortissant français qui
s’installerait au Luxembourg, au
Royaume-Uni ou en Belgique.
Pour mettre un terme à cette dérive qui
prive l’Etat français, et donc les
citoyens, de ressources conséquentes, il
suffirait simplement de lier
l’imposition à la nationalité et non pas
au lieu de résidence, et d’appliquer une
taxation différentielle. Ce dispositif
mettrait automatiquement un terme à ce
fléau. Ainsi, un contribuable français
réfugié en Suisse qui ne serait imposé
qu’à hauteur de 35% dans son nouveau
lieu de résidence, au lieu de 41% en
France par exemple, serait légalement
contraint de payer la différence à
l’Etat français, c’est-à-dire 6%,
rendant ainsi inutile toute expatriation
pour des raisons d’ordre fiscal.
Cette pratique existe déjà dans
des pays tels que les Etats-Unis. Les
citoyens étasuniens installés à
l’étranger payent exactement le même
montant d’impôts que leurs compatriotes
restés sur le territoire national, et
sont taxés à raison de leurs revenus
mondiaux. D’un point de vue technique,
tous les pays du monde remettent chaque
année au Département du Trésor une liste
des ressortissants étasuniens établis
chez eux. Ainsi, l’exil fiscal n’est
plus possible, la seule alternative pour
échapper à l’impôt étant l’évasion
fiscale illégale.
Pour contrer ce type de délit, le
Congrès étasunien a adopté une loi qui
permet à toute personne – en particulier
les employés des grandes banques – qui
fournirait des informations sur des cas
de fraude fiscale d’obtenir jusqu’à 30%
des sommes récupérées par l’Etat. Ainsi,
Bradley Birkenfeld, ancien employé de la
banque suisse UBS, s’est vu remettre la
somme de 104 millions de dollars pour
avoir livré des informations
« exceptionnelles à la fois par leur
ampleur et leur étendue », sur les
délits d’évasion fiscale commis par les
clients étasuniens de la Banque. Cette
information a permis au fisc étasunien
de récupérer une somme de cinq milliards
de dollars et d’obtenir la liste de tous
les fraudeurs ayant un compte bancaire
chez UBS[6].
La France et l’ensemble des
nations européennes et du monde seraient
bien avisées d’adopter un modèle
tributaire qui permettrait d’appliquer
une taxation différentielle, en liant
l’imposition à la nationalité et non au
simple lieu de résidence. De la même
manière, pour lutter contre l’évasion
fiscale illégale, qui constitue une
spoliation caractérisée de la
richesse nationale et citoyenne, les
délinquants en col blanc doivent être
plus sévèrement sanctionnés, à la
hauteur du préjudice causé. Les plus
fortunés devront alors faire un choix :
leur nationalité et leur argent.
Docteur ès Etudes Ibériques et
Latino-américaines de l’Université Paris
Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est
Maître de conférences à l’Université de
la Réunion, et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son dernier ouvrage s’intitule
État de siège. Les sanctions économiques
des Etats-Unis contre Cuba, Paris,
Éditions Estrella, 2011 (prologue de
Wayne S. Smith et préface de Paul
Estrade).
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr
Page Facebook :
https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel
[1]
Ivan Letessier, « Bernard
Arnault, première fortune de
France »,
Le Figaro, 9 septembre 2012.
[2]
France
Info »,
Exilés fiscaux : de quoi
parle-t-on ? », 13 mars 2012.
[3]
L’Humanité,
« C’est la loi qui autorise
l’évasion fiscale, elle peut
donc aussi l’empêcher », 9 mars
2012.
[4]
Bilan,
« Les Français, réfugiés
politiques en Suisse ? », 14
décembre 2011.
[5]
Le Figaro,
« Bouclier fiscal : 750 millions
d’euros en 2012 », 4 juillet
2012.
[6]
20 minutes,
« Récompense record de 104
millions de dollars pour le
dénonciateur d’UBS », 11
septembre 2012.
Le sommaire de Salim Lamrani
Les dernières mises à jour
|