Venezuela
Une ère nouvelle s’ouvre au
Venezuela
Salim Lamrani
23
février 2007
L’éclatante victoire de Hugo Chávez lors des élections présidentielles
de décembre 2006 a renforcé la légitimité du leader vénézuelien.
Pour la première fois dans l’histoire du pays, un président
est élu pour un troisième mandat consécutif avec une majorité
écrasante. Après une phase initiale de huit ans et des résultats
spectaculaires en terme de lutte contre la pauvreté, une nouvelle
étape commence.
Le
10 janvier 2007, lors de son investiture pour un nouveau mandat de
six ans, Chávez a annoncé de nouvelles réformes économiques et
sociales avec pour objectif de mieux répartir les énormes
richesses de la nation et d’améliorer le niveau de vie des
habitants. Le président Chávez a fait part de sa volonté
d’accélérer « la construction d’un nouveau système
politique […], social […] et économique » au
Venezuela, dénommé « le projet socialiste bolivarien1 ».
Le gouvernement a lancé un processus de nationalisation de
certaines entreprises électriques et de télécommunications qui
se trouvent dans une situation de monopole. Les entreprises privées
Compañía Anónima Nacional Teléfonos de Venezuela S.A.
(CANTV) et Electricidad de Caracas, détenues en grande
partie par des capitaux étasuniens, sont passées sous contrôle
de l’Etat qui retrouve ainsi une partie de sa souveraineté économique2.
Cantv contrôle actuellement 83% du marché Internet, 70%
du marché des communications téléphoniques nationales et 42%
des appels internationaux. Elle possède près de 3 millions de
lignes et 100 000 téléphones publics. L’entreprise de télécommunications,
qui s’est concentrée sur la partie Centre-Nord, a abandonné
certaines zones du pays jugées non rentables3.
Les
citoyens vénézueliens devraient profiter de cette
nationalisation, qui mettra un terme à l’inflation des prix. De
plus, « l’Etat va investir dans des zones qui ne sont
pas rentables d’un point de vue du marché et permettre que tous
les Vénézueliens aient prochainement accès aux services téléphoniques »,
a souligné Jesse Chácon, ministre des Télécommunications et de
l’Informatique. Désormais, la qualité du service primera sur
la rentabilité4.
L’annonce de la nationalisation de l’entreprise a été
accueillie de manière positive par les employés de Cantv.
Plusieurs manifestations d’anciens salariés ont eu lieu en
faveur de l’intervention de l’Etat. En effet, de nombreux
conflits opposent la direction, qui refuse de payer certaines
prestations sociales, et les travailleurs. Près de 1 500
retraités de l’entreprise sont décédés sans avoir pu toucher
les pensions qui leur revenaient de droit5.
« La
nation doit récupérer la propriété des moyens stratégiques de
souveraineté, sécurité et de défense », a déclaré
le président Chávez, faisant allusion aux secteurs électriques,
de l’eau et des communications. « Tout ce qui a été
privatisé doit être nationalisé », a-t-il ajouté6.
Prenant exemple sur l’entreprise pétrolière PDVSA, l’Etat
souhaite allier service public et bonne gestion. « Nous
devons changer les faux paradigmes en vigueur, où l’homme était
au service de l’économie. Aujourd’hui, l’économie doit être
au service de l’homme et de la collectivité », a
souligné Alfredo Riera, président du Fond national de garanties
réciproques pour la petite et moyenne entreprise (Fompyme)7.
Le marché des télécommunications sera désormais ouvert
à des petits opérateurs privés et permettra de réduire le coût
des structures. « Nous développerons ensemble des
politiques pour la prestation du service à travers tout le pays »,
a annoncé Chacón8.
Le ministre des Télécommunications et de l’Informatique
s’est félicité du rachat de la compagnie. « Nous
avons récupéré la Cantv dans un processus transparent et peu coûteux
pour la nation », a-t-il noté. Il a déclaré que l’éthique
socialiste serait mise en avant dans le fonctionnement de la
nouvelle entreprise avec comme mot d’ordre le service au
citoyen. « Ce gouvernement a accordé l’importance due
aux secteurs stratégiques de la vie du pays et la Cantv sera de
tous les Vénézueliens », a-t-il conclu.
L’universalisation de l’accès à Internet, sans barrières géographiques
ni sociales, est l’un des premiers objectifs de Cantv9.
L’entreprise Electricidad de Caracas, la plus
grande entité privée du secteur évaluée à 900 millions de
dollars, a également été nationalisée. La multinationale étasunienne
AES a signé un accord avec le gouvernement vénézuelien cédant
82,14% de ses actions. Le ministre de l’Energie, Rafael Ramírez,
a insisté sur l’importance et sur « l’intérêt
stratégique et national d’avoir le contrôle de tout le secteur
électrique ». Le ministre a également affirmé que les
intérêts des quelques 100 000 Vénézueliens, qui possèdent
une participation de 13% dans l’entreprise, seraient préservés10.
Le vice-président de la République, Jorge Rodríguez a
pour sa part rappelé que les privatisations des années 1990 et
2000 n’ont pas bénéficié à la population. « Venezuela
n’a pas échappé à la voracité » du néolibéralisme
qui est responsable de la pauvreté et de l’exclusion. En effet,
les richesses générées par les privatisations ont seulement
profité à une élite qui a rapidement transféré ses capitaux
à l’étranger et n’ont guère contribué au développement du
pays11.
Rodríguez a également dénoncé l’explosion des tarifs
à la fin des années 1990 « qui ont été parmi les plus
chers du monde ». La moitié des municipalités « où
réside près de 40% de la population et 75% des centres peuplés
ne disposent pas de téléphone public », a-t-il déploré,
ajoutant qu’il n’y « avait pas eu de développement
de la téléphonie dans le sud du pays12 ».
Washington n’a pas pu s’empêcher de s’immiscer une
nouvelle fois dans les affaires internes du Venezuela. La secrétaire
d’Etat Condoleeza Rice a stigmatisé « la transition négative »
prise par le Venezuela. Elle a réitéré sa volonté de subvertir
l’ordre établi en finançant l’opposition dont les Etats-Unis
« ont été l’un des plus fermes soutiens ».
Elle a rappelé l’énorme aide financière apportée à
l’organisation Súmate dont les dirigeants ont été mis
en examen pour conspiration et intelligence avec une puissance étrangère.
Rice a souligné que le Département d’Etat était en train d’élaborer
un nouveau programme de financement des syndicats vénézueliens,
dans le but évident de déclencher des grèves et déstabiliser
l’économie du pays13.
John D. Negroponte, directeur de l’Agence nationale
d’intelligence, a pour sa part tenu des propos très agressifs
à l’encontre du président Chávez. Il a accusé le
gouvernement vénézuelien de « profiter de sa popularité
pour affaiblir l’opposition et éliminer tout contrôle sur son
autorité », oubliant que l’opposition, balayée lors
des élections de décembre 2006, s’est discréditée aux yeux
du peuple par son coup d’Etat d’avril 2002, le sabotage pétrolier
de décembre 2002 et son incapacité à proposer un programme crédible
aux électeurs. Il a également affirmé que « le plus
grand risque pour la démocratie se trouv[ait] au Venezuela et en
Bolivie », stigmatisant ainsi les deux nations sud-américaines
qui ont fermement rejeté les politiques néolibérales et développé
des programmes sociaux. Negroponte est même allé jusqu’à
regretter, dans une déclaration surréaliste, que le président
bolivarien essaye « saper l’influence des Etats-Unis
[…] au Venezuela14 ».
Nicolás Maduro, ministre des Affaires étrangères, n’a
pas tardé à réagir aux propos de Negroponte. Selon lui, le
Venezuela n’a aucune leçon à recevoir d’un fonctionnaire
impliqué dans le trafic de drogue et d’armes qui a permis de
financer la guerre sale contre le Nicaragua et Le Salvador dans
les années 1980 et 1980. « Negroponte est un délinquant
qui n’a pas [d’autorité] morale pour parler du Venezuela »,
a déclaré Maduro. « Nous sommes en train de défendre
le droit de nos peuples à vivre heureux, en démocratie et en
paix. [Les Etats-Unis] doivent s’habituer à cette nouvelle réalité »,
a-t-il conclu15.
Le président Chávez a dénoncé les plans de Washington
destinés à renverser son gouvernement. L’offensive « arrive
avec une forte charge économique », a-t-il averti en référence
aux propos de George W. Bush, qui souhaite ne plus dépendre du
Venezuela en matière d’énergie pétrolière. Le leader
bolivarien a été clair à ce sujet : « S’ils ne
veulent pas acheter au Venezuela, qu’ils le disent et nous ne
leur vendons plus de pétrole ». Il a également fustigé
la tournée de Bush en Amérique latine prévue entre le 8 et 14
mars 2007, dont le but est d’isoler son pays16.
Le Venezuela a trouvé une manière originale de répondre
aux déclarations hostiles de Washington et à ses tentatives avérées
de déstabilisation. Depuis 2005, Hugo Chávez vient en aide aux
pauvres des Etats-Unis, abandonnés par l’administration Bush,
en leur vendant du combustible à bon marché. Joseph Kennedy,
ancien congressiste pour le Parti Républicain, en a profité pour
remercier ses « bons amis du Venezuela » pour
leur solidarité. Répondant aux critiques du républicain de la
Floride, Connie Mack, – qui souhaite éliminer ce programme qui
plonge le gouvernement étasunien dans un profond embarras –,
Kennedy a proposé à ce dernier de « promouvoir une
interdiction à tout le pétrole vénézuelien et non pas la
petite quantité [utilisée] pour aider les pauvres à chauffer
leur logis17 ».
Il
ajouta dans sa lettre de réponse : « Une fois que
nous aurons adopté la Doctrine Mack et refusé le pétrole en
provenance de chaque pays qui refuse de satisfaire nos standards
moraux, je suis sûr que vous apprécierez de rentrer à pied à
Washington, parce qu’il n’y aura certainement pas de
combustible pour vous y rendre en avion18 ».
Et
de conclure : « J’aimerais vous rencontrer pour
aborder la menace réelle pour ce pays qui est notre système
d’un type de socialisme pour les riches et de libre marché pour
les pauvres, un système qui a accordé des milliards de dollars
aux entreprises pétrolières et à leurs dirigeants19 ».
La population vénézuelienne est la principale bénéficiaire
de ces nationalisations. Désormais, le service passe avant la
rentabilité et les profits éventuels, au lieu d’être expatriés
à l’étranger comme cela était le cas auparavant, seront réinvestis
et permettront de développer le pays. Contrairement au reste de
l’Amérique latine, à quelques exceptions près, les Vénézueliens
ont la chance d’avoir un président qui sait tenir ses
promesses.
Notes
1
Casto Ocando, « Chávez proclama el ‘socialismo o muerte’ »,
El Nuevo Herald, 11 janvier 2007.
2
Fabiola Sánchez, « Gobierno negociará nacionalizaciones en
Venezuela », Associated Press, 10 janvier 2007.
3
Agencia Bolivariana de Noticias, « Queremos que Cantv
sea una empresa tan eficiente como Pdvsa », 11 janvier 2007 ;
Agencia Bolivariana de Noticias, « Gobierno nacional
dio primer paso hacia nacionalización de la Cantv », 12 février
2007.
4
Fabiola Sánchez, « Descartan nacionalizar
telecomunicaciones en Venezuela », Associated Press,
11 janvier 2007.
5
Erika Hernández, « Cantv : ícono de la privatización
a la venezolana vuelve a manos del Estado », Agencia
Bolivariana de Noticias, 12 janvier 2007.
6
Ibid.
7
Agencia Bolivariana de Noticias, « Nacionalización
de Cantv demostrará eficiencia del Estado como gerente »,
12 janvier 2007.
8
Agencia Bolivariana de Noticias, « Chacón se reunirá
con Chávez para definir proceso de nacionalización de Cantv »,
11 janvier 2007.
9
Agencia Bolivariana de Noticias, « Recuperación de
Cantv fue proceso transparente y de bajo costo », 12 février
2007.
10
Associated Press, « Chávez estatiza la Electricidad
de Caracas », 9 février 2007.
11
Agencia Bolivariana de Noticias, « Vicepresidente
Rodríguez garantizó que habrá un mejor servicio telefónico »,
12 février 2007.
12
Ibid.
13
El Nuevo Herald, « Rice dice que Chávez lleva a
Venezuela hacia la destrucción », 8 février 2007.
14
Néstor Ikeda, « Inteligencia de EEUU preocupada por
Venezuela, Bolivia », Associated Press, 11 janvier
2007.
15
Agencia Bolivariana de Noticias, « Negroponte no
tiene moral para hablar de Venezuela », 12 janvier 2007.
16
Agencia Bolivariana de Noticias, « Presidente denunció
nuevo plan del imperialismo para atacar a Venezuela », 14 février
2007.
17
Agencia Bolivariana de Noticias, « Ex congresista
estadounidense defendió ayuda de Venezuela a pobres de EEUU »,
13 février 2007.
18
Ibid.
19
David Brooks, « El envío de petróleo venezolano para los
pobres en EE.UU. suscita un debate entre políticos », Rebelión,
15 février 2007.
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