Amérique latine
Pourquoi le
Venezuela se retire de la Commission
interaméricaine des droits de l'homme
Salim
Lamrani
© Salim
Lamrani
Mercredi 22 août
2012
Opera Mundi
http://operamundi.uol.com.br/...
Le 28 juillet 2012, le président Hugo
Chávez a fait part sa décision de se
retirer de la Commission interaméricaine
des droits de l’homme, suite au jugement
condamnant le Venezuela pour mauvais
traitement à l’égard d’un détenu
sanctionné pour terrorisme et désormais
en fuite aux Etats-Unis. Caracas dénonce
un verdict politique.
Le 24 juillet 2012, la Cour
interaméricaine des droits de l’homme
(CIDH) a rendu publique sa décision
condamnant l’Etat vénézuélien « d’être
internationalement responsable de la
violation du droit à l’intégrité
personnelle et de traitements inhumains
et dégradants à l’encontre de Monsieur
Raúl José Díaz Peña ». L’instance a jugé
que la « détention [de ce dernier]
aurait été illégale et arbitraire et
qu’il aurait été soumis à un régime de
détention préventive qui aurait dépassé
les limites établies dans la loi pénale,
en invoquant une présomption de risque
de fuite ». La CIDH a également condamné
l’Etat vénézuélien à verser 15 000
dollars à Díaz Peña[1].
Qui est Raúl José Díaz Peña ?
Raúl José Díaz Peña est un
fugitif vénézuélien lourdement condamné
par la justice pour terrorisme et
réfugié aux Etats-Unis. En 2003, le
Venezuela vivait une situation de
polarisation politique extrême suite au
coup d’Etat avorté d’avril 2002 contre
le président démocratiquement élu Hugo
Chávez et le sabotage pétrolier qui
avait coûté la somme de 10 milliards de
dollars à l’économie vénézuélienne. Tous
deux avaient été organisés par
l’opposition avec le soutien explicite
des Etats-Unis qui avait reconnu la
junte putschiste dirigée par Pedro
Carmona Estanga, alors président du
syndicat patronal
Fedecámaras regroupant les intérêts
économiques privés du pays, et
actuellement réfugié en Colombie.
Le 25 février 2003, une faction
radicale de l’opposition composée de
Felipe Rodríguez, José Colina Pulido,
Germán Varela López, Silvio Mérida et
Raúl José Díaz Peña, décidée à renverser
Hugo Chávez, a fait exploser plusieurs
bombes au Consulat général de la
République de Colombie et à l’Ambassade
d’Espagne. L’objectif était d’accuser
les partisans du président vénézuélien
des attentats terroristes, lesquels
auraient agi en représailles à la
décision de Bogota et de Madrid de
reconnaitre l’éphémère junte putschiste
d’avril 2002[2].
Néanmoins, le plan échoua car
Díaz Peña et ses complices furent
arrêtés le même jour par les autorités
du pays. Suite à son procès, le 29 avril
2008, il a été condamné en première
instance à 9 ans et 4 mois de prison
pour terrorisme par la justice
vénézuélienne. En mai 2010, un juge a
décidé d’octroyer un régime de
semi-liberté à Díaz Peña en lui
permettant de passer les weekends en
famille et d’exercer une activité
professionnelle. En septembre 2010, Díaz
Peña a pris la fuite et s’est réfugié
aux Etats-Unis[3].
La CIDH, une juridiction indépendante ?
Organe juridique de
l’Organisation des Etats américains,
entité sous forte influence des
Etats-Unis – à tel point que l’ensemble
des pays d’Amérique latine et de la
Caraïbe ont décidé de créer la
Communauté des Etats latino-américains
et caribéens (CELAC) en décembre 2011,
afin de s’émanciper de l’ombre tutélaire
de Washington et de son fidèle allié
canadien –, la CIDH est soupçonnée de
partialité à l’égard des gouvernements
de gauche en Amérique latine.
Ainsi, contre toute attente, la
CIDH a accepté dès 2005 d’étudier le cas
de Díaz Peña soumis par la Venezuela
Awareness Foundation, une organisation
de l’opposition à Hugo Chávez. Or, pour
pouvoir émettre un jugement, les statuts
de l’entité interaméricaine stipulent
que tous les recours juridiques doivent
avoir été épuisés dans le pays
d’origine, ce qui n’est pas le cas pour
l’affaire Díaz Peña. C’est la première
fois dans l’histoire de la justice
interaméricaine que la CIDH accepte
d’étudier le cas d’un individu condamné
pour terrorisme dans son propre pays, en
fuite aux Etats-Unis et dont le procès
est toujours en cours, en violation de
sa propre Convention. A ce jour,
l’entité juridique de l’OEA n’a pas
fourni d’explication à ce sujet[4].
Nicolás Maduro, ministre des
Affaires étrangères du Venezuela, a fait
part de sa consternation et a annoncé
que son pays se retirerait de
l’organisation. « Il est regrettable
d’en arriver là, mais le Venezuela y a
été contraint par les décisions
aberrantes et abusives qui ont été
prises contre notre pays depuis 10 ans »
par la CIDH. « Aucun pays d’Europe ni
les Etats-Unis n’accepterait que la CIDH
protège un terroriste », a-t-il ajouté[5].
La diplomatie vénézuélienne a accusé
l’entité « de complicité avec la
politique de Washington de protection
aux terroristes » et a exigé « que
soient appliques les principes
d’universalité, d’impartialité,
d’objectivité et de non-sélectivité dans
l’examen des questions des droits de
l’homme[6] ».
En effet, depuis l’arrivée d’Hugo
Chávez au pouvoir en 1999, la CIDH a
multiplié les décisions et rapports
défavorables au Venezuela, dans des
proportions largement supérieures au
reste de l’Amérique latine. Ainsi,
depuis sa création en 1959 et jusqu’à
l’arrivée d’Hugo Chávez au pouvoir en
1999, la CIDH n’avait émis que cinq
jugements condamnant des violations de
droits de l’homme au Venezuela. En
revanche, entre 2000 et 2012, la CIDH a
condamné Caracas à 36 reprises. Ainsi,
en l’espace de 12 ans, la CIDH a
condamné le Venezuela 7 fois plus que
durant les 40 années précédentes,
marquées par des exactions de toute
sorte et notamment le
Caracazo du 27 et 28 février 1989,
révolte populaire contre la vie chère
réprimée dans le sang par l’armée et la
police et qui a coûté la vie à près de
3 000 civils[7].
Par ailleurs, lors de coup d’Etat
d’avril 2002, la CIDH, à l’instar des
Etats-Unis, a ouvertement reconnu la
dictature de Pedro Carmona dans une
lettre adressée à ce dernier et signée
de la main de Santiago Antón, alors
secrétaire exécutif de la CIDH[8].
Maduro n’a pas manqué de rappeler cet
épisode qui jette une ombre sur la
crédibilité et la réputation de l’entité
interaméricaine : « La Commission a
reconnu les putschistes et a refusé de
soutenir le président Hugo Chávez[9] ».
Le président Chávez a confirmé
que son pays se retirerait de la CIDH[10].
« Le Venezuela se retire de la Cour
interaméricaine des droits de l’homme
par dignité et nous l’accusons aux yeux
du monde d’être indigne de porter ce nom
de droits de l’homme en apportant son
soutien au terrorisme », a-t-il souligné[11].
La CIDH « ne nous a même pas
appelé pour nous consulter. Ici [au
Venezuela], il y a eu un jugement, une
condamnation, il y a des témoins qui ont
affirmé que ce terroriste a fait
exploser des bombes à l’ambassade
d’Espagne et de Colombie. Cela a été
prouvé », a-t-il ajouté[12].
La réaction des Etats-Unis
De son côté, Washington a fustigé
la décision de Caracas. Victoria Nuland,
porte-parole du Département d’Etat a
déclaré que « le Venezuela enverrait un
message lamentable au sujet de ses
engagements envers les droits de l’homme
et la démocratie » au reste du
continent, en se retirant de la
juridiction de la CIDH. Nuland a fait
l’éloge de l’entité interaméricaine, et
a fait part de son respect pour cette
dernière[13].
Néanmoins, la position des
Etats-Unis n’est pas exempte de
contradictions. En effet, contrairement
à l’ensemble des pays de l’Amérique
latine, les Etats-Unis, tout comme le
Canada, ont toujours refusé de se
soumettre à la juridiction de la CIDH et
ne reconnaissent pas son autorité,
estimant qu’elle viole leur souveraineté
nationale.
La récente décision de la CIDH
concernant le Venezuela suscite de
nombreuses interrogations. Pourquoi la
CIDH a-t-elle accepté d’étudier le
dossier Ruiz Peña avant la fin de son
procès au Venezuela, violant ainsi sa
propre Convention ? Quelles ont été les
motivations qui ont amené les magistrats
à rendre un jugement favorable à un
individu lourdement condamné par la
justice vénézuélienne pour terrorisme et
en fuite aux Etats-Unis ? Sont-elles
politiques ou bien juridiques ?
Aurait-elle étudié le cas si Ruiz Peña
avait été colombien, mexicain ou
chilien ? Quel a été le rôle de la CIDH
lors du coup d’Etat contre Hugo Chávez
et la démocratie vénézuélienne en avril
2002 ? En un mot, la CIDH est-elle
impartiale vis-à-vis du Venezuela ?
Docteur ès Etudes Ibériques et
Latino-américaines de l’Université Paris
Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est
enseignant chargé de cours à
l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, et
l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée,
et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son dernier ouvrage s’intitule
État de siège. Les sanctions économiques
des Etats-Unis contre Cuba, Paris,
Éditions Estrella, 2011 (prologue de
Wayne S. Smith et préface de Paul
Estrade).
Contact :
Salim.Lamrani@univ-mlv.fr ;
lamranisalim@yahoo.fr
Page Facebook :
https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel
[2]
Agencia
Venezolana de Noticias,
« Venezuela rechaza el fallo de
CIDH a favor del terrorista Díaz
Peña », 24 juillet 2012.
[5]
Agence France-Presse,
« Venezuela denunciará a la CIDH
‘en las próximas horas’ », 26
juillet 2012.
[9]
Agence France-Presse,
« Venezuela denunciará a la CIDH
‘en las próximas horas’ »,
op.cit.
[10]
Agence France-Presse,
« Chávez dice que ya dio ‘las
instrucciones’ para que
Venezuela salga de CIDH », 28
juillet 2012.
[11]
EFE,
« Insulza confís en que
Venezuela no dejo la Corte
IDH », 27 juillet 2012.
[12]
Alejandro Montiel, « Doble
rasero de CIDH evidenciado con
fallo que favorece a terrorista
que atentó contra embajadas en
Caracas »,
Prensa Presidencial,
República Bolivariana de
Venezuela, 26 juillet 2012.
[13]
Agence France-Presse,
« EEUU estima que si Venezuela
abandona Corte IDH enviará
mensaje ‘lamentable’ », 25
juillet 2012.
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