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1998-2008
Une révolution économique et sociale
Bilan décennal du président Hugo
Chávez
Salim Lamrani
Salim Lamrani
Samedi 21 février 2009
Depuis son élection en 1998, Hugo Chávez a entrepris une
vaste transformation économique et sociale au Venezuela dans le
but d’améliorer le niveau de vie d’une population qui cultivait
le paradoxe d’habiter dans l’un des pays les plus riches du
continent américain et d’être en même temps plongée dans une
singulière pauvreté. Retour sur les réformes du gouvernement
bolivarien depuis dix ans.
Hugo Chávez est un président apprécié par son peuple.
Lors d’un sondage réalisé en septembre 2008, il a recueilli 69%
d’opinions favorables. Chávez est également le président qui
peut se targuer de disposer de la plus forte légitimité
démocratique du continent. En effet, il a largement remporté
trois élections présidentielles successives en 1998, 2000 et
2006 avec plus de 60% des voix, et un référendum révocatoire en
2004 avec 59,1% des suffrages. La transparence de ces processus
électoraux a été saluée par les plus éminentes institutions
internationales. Seule ombre au tableau : le rejet de la réforme
constitutionnel lors du referendum de décembre 2007 qui a mis un
terme à douze victoires électorales consécutives depuis 19981.
La popularité du leader vénézuelien s’explique par les
réformes économiques et sociales spectaculaires qui ont permis
d’améliorer le niveau de vie de la population. Pourtant, rien
n’a été simple pour Chávez. Victime en avril 2002 d’un coup
d’Etat orchestré par Washington, il fut sauvé par une
extraordinaire mobilisation populaire. Par la suite, en 2003, il
a dû faire face à un sabotage des infrastructures pétrolières
qui a coûté 10 milliards de dollars à l’économie nationale, et
est toujours confronté à de multiples tentatives de
déstabilisation2.
Nationalisations
En 2003, le gouvernement bolivarien a pu reprendre le
contrôle de l’entreprise d’Etat Petróleos de Venezuela S.A.
(PDVSA), alors entre les mains de l’oligarchie, ainsi que des
ressources énergétiques du pays en nationalisant les
hydrocarbures. Désormais, PDVSA est propriétaire à
hauteur d’au moins 60% des nouvelles entreprises mixtes. Par
ailleurs, en mai 2007, le gouvernement vénézuélien a procédé à
la nationalisation de la Bande pétrolifère de l’Orénoque,
économiquement très lucrative et qui contient les plus
importantes réserves mondiales3.
Auparavant, les transnationales pétrolières
extrayaient le baril de pétrole pour un coût de production de 4
dollars et le revendaient à l’Etat vénézuelien au prix de 25
dollars pour sa commercialisation, empochant au passage une
substantielle plus-value. Ce nouveau système a permis à l’Etat
d’économiser 3 milliards de dollars pour la production de
500 000 barils par jour issus des concessions pétrolières de
l’Orénoque. Ces nationalisations permettent désormais au pays de
disposer de plus de 400 000 barils de pétrole de plus par jour4.
Le gouvernement vénézuelien a également
décidé d’augmenter l’impôt sur les bénéfices de 34% à 50%, après
avoir constaté que plusieurs firmes internationales avaient
recours à l’évasion fiscale. Un nouvel impôt sur l’extraction de
brut de 33,3% a été créé et génère des revenus supplémentaires à
la nation d’un montant d’un milliard de dollars, ainsi qu’une
taxe sur l’exportation de brut de 0,1%5.
Le gouvernement a lancé un processus de nationalisation
de certaines entreprises électriques et de télécommunications
qui se trouvent dans une situation de monopole. Les entreprises
privées Compañía Anónima Nacional Teléfonos de Venezuela S.A.
(CANTV) et Electricidad de Caracas, détenues en
grande partie par des capitaux étasuniens, sont passées sous
contrôle de l’Etat6.
Au niveau agricole, Chávez a récupéré près de 2 millions
d’hectares, soit 28,74% des terres productives, aux
latifundiaires sur les 6,5 millions d’hectares qui doivent être
nationalisés. L’objectif est de développer le domaine de
l’agriculture et d’atteindre une certaine souveraineté
alimentaire. 49% des terres récupérées ont été redistribuées aux
paysans, 40% sont destinées à des projets stratégiques et 11%
ont été remises à des coopératives7.
Ces réformes ont eu un effet bénéfique sur l’économie
vénézuelienne, qui présente 19 trimestres consécutifs de
croissance à une moyenne de 11, 2%8.
Une véritable révolution sociale
Les nationalisations des divers secteurs de l’économie,
ajoutées à la hausse du prix du pétrole, ont généré d’importants
revenus à l’Etat, qui a entrepris une véritable révolution
sociale. La politique du gouvernement a eu des résultats
spectaculaires grâce à la multiplication des programmes en
faveur des déshérités.
Grâce à la création du Fonden, un fonds spécial
destiné à financer les programmes sociaux, le taux de personnes
vivant en dessous du seuil de pauvreté est passé de 20,3% à 9,5%
en dix ans. Au niveau de chômage, le taux est passé de 16,6% en
1998 à 7,1% en 2008. L’indice d’inégalité entre riches et
pauvres a diminué de 13,7% entre 1998 et 2007. Le nombre de
bénéficiaires de pensions de retraite a augmenté de 218,4%. Les
dépenses sociales sont passées de 47,9% du budget de l’Etat en
1998 à 59,5% en 20079.
L’universalisation de l’accès à l’éducation élaborée
depuis 1998 a eu des résultats exceptionnels. Près de 1,5
millions de Vénézueliens ont appris à lire grâce à la campagne
d’alphabétisation, nommée Mission Robinson I. En décembre
2005, l’UNESCO a décrété que l’illettrisme avait été éradiqué au
Venezuela. La Mission Robinson II a été lancée afin
d’amener l’ensemble de la population à atteindre le niveau du
collège. A cela s’ajoutent les Missions Ribas et Sucre
qui ont permis à plusieurs dizaines de milliers de jeunes
adultes d’entreprendre des études universitaires. En 2007, le
Venezuela comptait près de 12,7 millions d’enfants scolarisés
sur une population de 26 millions d’habitants. Le nombre
d’inscrits n’a cessé d’augmenter depuis l’arrivée de Chávez au
pouvoir. En 2001, il était de 6,9 millions ; en 2002, il a
atteint le chiffre de 9,5 millions pour se stabiliser à 11,3
millions en 2004. En 2005, il y avait 11,8 millions de
scolarisés et 12,1 millions en 200610.
Au niveau de la santé, le Système national
public de santé a été créé afin de garantir l’accès gratuit aux
soins à tous les Vénézueliens. La Mission Barrio Adentro
I a permis de réaliser 300 millions de consultations dans
les 4 469 centres médicaux créés depuis 1998. Près de 17
millions de personnes ont ainsi pu être soignées. En 1998, moins
de 3 millions de personnes avaient un accès régulier aux soins.
Plus de 104 000 vies ont ainsi pu être sauvées. Le taux de
mortalité infantile a été réduit à moins de 10 pour mille. Par
ailleurs, grâce à l’Opération Miracle lancée par Cuba, qui
consiste à opérer gratuitement les Latino-américains pauvres
atteints de maladies oculaires, 176 000 Vénézueliens pauvres ont
ainsi pu retrouver la vue11.
Pour éliminer les problèmes de malnutrition, le
gouvernement a lancé la Mission Alimentation avec la création de
magasins alimentaires dénommés Mercal dont les articles
sont subventionnés par l’Etat à hauteur de 30%. Près de 14 000
points de vente ont été installés à travers le pays. La moitié
de la population, soit plus de 13 millions de personnes,
effectue ses achats dans ces magasins. Par ailleurs, plus de 4
millions d’enfants reçoivent une alimentation gratuite à travers
le Programme d’alimentation scolaire. En 1998, ils n’étaient que
250 000 à bénéficier de ce programme. Selon la CEPAL, le
Venezuela dispose désormais du troisième taux de malnutrition
infantile le plus bas d’Amérique latine derrière Cuba et le
Chili12.
En 1998, 80% des habitants des villes avaient accès à
l’eau potable. En 2007, le chiffre a atteint 92% grâce aux
énormes investissements réalisés dans ce secteur. Au niveau
rural, des efforts ont également été accomplis passant de 55% en
1998 à 71% en 200711. Plus de 6,5 millions de
personnes en ont bénéficié. Le Venezuela a ainsi atteint les
objectifs du millénaire fixés par l’ONU pour 2015 dans ce
domaine dès 200113.
Le salaire minimum mensuel est passé de 118 dollars en
1998 à 154 dollars en 2003, et 192 dollars en 2005. Il est
désormais de 286 dollars, le plus élevé du continent
latino-américain. A titre de comparaison, sous la IV République,
le salaire de base, dans le meilleur des cas, stagnait et
parfois même diminuait. En 1996, alors que l’inflation du pays
avait atteint un taux vertigineux de 100%, le salaire minimum
était de 36 dollars seulement, alors qu’en 1994, il était de 101
dollars et en 1992 de 132 dollars14.
De plus, les adultes d’un certain âge n’ayant jamais
travaillé disposent d’un revenu de protection équivalent à 60%
du salaire minimum. Les femmes seules ainsi que les personnes
handicapées reçoivent une allocation équivalente à 80% du
salaire minimum. Les mères au foyer âgées de 61 ans recevront
désormais une pension complète avec une priorité donnée aux plus
pauvres. Par ailleurs, le temps de travail passera à 6 heures
par jour et 36 heures hebdomadaires à partir de 2010, sans
diminution de salaire15.
Au niveau du logement, les autorités ont
entrepris une politique de grands travaux avec la construction
massive de nouveaux habitats destinés aux couches populaires et
ont initié une politique de micro-crédits. Grâce à cette
révolution sociale, le Venezuela fait désormais partie de la
liste des 70 pays disposant d’un indice de développement humain
élevé16.
Une solidarité internationale
Hugo
Chávez, qui s’est retiré de la Banque mondiale et du FMI en
remboursant par anticipation ses dettes, a étendu son aide aux
autres nations américaines en mettant en place l’Alternative
bolivarienne pour les Amériques et en créant la Banque du Sud,
destinés a promouvoir une intégration économique régionale.
Actuellement, le Venezuela offre un soutien financier direct au
continent plus important que celui fourni par les Etats-Unis.
Pour l’année 2007, Chávez a alloué pas moins de 8,8 milliards de
dollars en dons, financements et aide énergétique contre
seulement 3 milliards pour l’administration Bush. Même les
citoyens étasuniens, délaissés par leur propre gouvernement,
bénéficient également de la politique altruiste du Venezuela en
recevant du combustible subventionné17.
Le Venezuela est la preuve même qu’un gouvernement peut
rapidement contribuer à une réduction drastique de la pauvreté
et à améliorer sensiblement le bien-être de sa population, à
condition à la fois de disposer de la volonté politique
nécessaire et de destiner une partie des richesses nationales
aux plus démunis. Caracas constitue la parfaite illustration du
renouveau latino-américain où les peuples ont porté à la tête de
plusieurs nations des leaders représentatifs de l’intérêt
général, avec une réelle volonté politique de mettre un terme
aux inégalités qui dévastent le continent. A l’heure où
l’économie mondiale est frappée par une crise financière sans
précédent, le Venezuela est porteur d’une alternative crédible
au néolibéralisme sauvage.
Article publié dans Le Monde Diplomatique
(édition espagnole).
Notes
1
ABN, « Gestión presidencial tiene 69% de aceptación », 6
octobre 2008 ; ABN, « Victoria Roja, Rojita », 3 décembre
2006.
2
Salim Lamrani, « Soberanía petrolera, reformas sociales e
independencia económica en Venezuela », Rebelión, 15 mai
2007.
3
Ibid.
4
Ibid.
5
Ibid.
6
Erika Hernández, « Cantv : ícono de la privatización a la
venezolana vuelve a manos del Estado », ABN, 12 janvier
2007
7
ABN, « Casi 2 millones de hectáreas han sido recuperadas
del latifundismo », 25 mars 2007.
8
ABN, « Venezuela entre los países con mayor índice de
desarrollo Humano », 6 octobre 2008.
9
Ibid.
10
Ibid. ; Salim Lamrani, « La revolución social del
presidente Hugo Chávez », Rebelión, 9 mai 2006.
11
Ibid.
12
ABN,
« Venezuela entre los países con mayor índice de desarrollo
Humano », op. cit. ; Salim Lamrani, « La revolución
social del presidente Hugo Chávez », op. cit.
13
ABN, « Venezuela sanea las cuencas de sus ríos para
reducir escasez de agua », 21 mars 2007 ; ABN,
« Venezuela entre los países con mayor índice de desarrollo
Humano », op. cit.
14
ABN,
« Venezuela con el salario mínimo más alto de Latinoamérica »,
20 avril 2007.
15
Ibid.
16
ABN,
« Venezuela entre los países con mayor índice de desarrollo
Humano », op. cit.
17
Salim Lamrani, « Soberanía petrolera, reformas sociales e
independencia económica en Venezuela », op. cit. ;
Natalie Obiko Pearson & Ian James, « Exclusiva AP : Venezuela
ofrece miles de millones a Latinoamérica », The Associated
Press, 26 août 2007 ; The Associated Press, « Ayuda
venezolana a Latinoamérica y el Caribe en el 2007 », 26 août
2007.
Salim Lamrani est enseignant, chargé de
cours à l’Université Paris Descartes et journaliste français,
spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis. Il vient
de publier Double Morale. Cuba, l’Union européenne et les
droits de l’homme (Paris : Editions Estrella, 2008).
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr
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