Venezuela
Hugo Chávez
et RCTV : censure ou décision légitime ?
Salim Lamrani
Dimanche 21 janvier 2007
Le gouvernement du
président vénézuelien Hugo Chávez a décidé de ne pas
renouveler la licence du groupe audiovisuel Radio Caracas
Televisión (RCTV) qui expirera le 28 mai 2007. Cette décision,
tout à fait légale, a suscité une vive polémique au sein de la
presse internationale qui s’est faite porte-parole de
l’opposition vénézuelienne et a aussitôt dénoncé un cas de « censure1 ».
RCVT est un groupe privé qui a fait du dénigrement
de la politique du gouvernement bolivarien sa principale activité.
Hugo Chávez a maintes fois accusé, non sans fondement, les
quatre principales chaînes télévisées du pays, Globovisión,
Televen, Venevisión et RCTV – qui contrôlent
près de 90% du marché et disposent d’un monopole médiatique de
facto – de mener une « guerre psychologique »
contre son administration. Ces médias ont d’ailleurs
ouvertement fait montre d’une hostilité à la limite du
fanatisme à l’égard au président vénézuelien dès son arrivée
au pouvoir en 1999. Ils n’ont eu de cesse de saper la légitimité
du gouvernement et de remettre en cause le soutien populaire dont
il bénéficie indéniablement. Les médias privés ont invité de
manière constante dans leurs programmes des opposants de
l’oligarchie et des militaires insurgés qui prônent la
subversion et le renversement de l’ordre constitutionnel2.
Marcel Granier, président du groupe 1BC qui contrôle une
quarantaine de chaînes de radio et de télévision à travers le
pays et propriétaire de RCTV, a dénoncé une violation
des droits de la chaîne. « Cette position est illégale,
viole les droits et porte atteinte à la liberté d’expression
et aux droits de l’homme », s’est-il plaint.
Pourtant, la loi vénézuelienne stipule que les fréquences d’émission
appartiennent à l’Etat, qui dispose du droit de concession,
alors que les infrastructures, le matériel et le siège des chaînes
sont de propriété privée3.
Le gouvernement vénézuelien a immédiatement répliqué
aux accusations du président de RCTV : « Marcel
Granier s’est consacré à bafouer les droits des usagers […]
se croyant au-dessus de l’Etat de droit et c’est la raison
pour laquelle il ne remplit pas les conditions pour opérer une télévision
de fréquence ouverte ». Selon ses termes, la deuxième
chaîne sera désormais le patrimoine de tout le peuple et non pas
seulement de petits groupes de « l’oligarchie médiatique4 ».
Mais ce n’est pas l’opposition affirmée de RCTV
qui a conduit les autorités du pays à prendre la décision de ne
pas renouveler la concession à la plus ancienne chaîne de la
nation. La principale raison est la suivante : RCVT a
participé au coup d’Etat contre le président Hugo Chávez le
11 avril 2002. « Le rôle déterminant de RCTV
durant [le] coup d’Etat de 2002 doit être rappelé »,
a souligné William Lara, le ministre de la Communication et de
l’Information qui a ajouté que « cette attitude
irresponsable n’a pas changé à RCTV5 ».
La
participation de RCVT à la rupture constitutionnelle
d’avril 2002 avait été telle que son responsable de
production, Andrés Izarra, opposé au putsch, avait aussitôt démissionné
pour ne pas se rendre complice du coup de force. Lors d’un témoignage
à l’Assemblée nationale, Izarra avait indiqué que le jour du
coup d’Etat et les jours suivants il avait reçu l’ordre
formel de Granier de « ne transmettre aucune information
sur Chávez, ses partisans, ses ministres ou n’importe quelle
autre personne qui pourrait être en relation avec lui6 ».
William Lara a signalé que la décision prise par le
gouvernement s’agissait « d’un fait irréversible
dont le fondement constitutionnel, légal et réglementaire est
tout à fait indiscutable ». Le ministre a tenu à
affirmer qu’aucun danger ne pesait sur la liberté de la presse :
« La croissance du nombre de stations de radio, de télévision,
de journaux, de revues, de pages Internet et leur diversité
d’orientation politique, est la garantie la plus sure que les Vénézueliens
continueront à bénéficier d’une information plurielle7 ».
Le président Chávez a souligné que RCTV ne
remplissait pas les conditions pour « recevoir de nouveau
la concession d’un Etat sérieux, responsable et engagé avec un
peuple ». Selon lui, « le bon journalisme et la
liberté d’expression » étaient menacés par des médias
tels que RCVT. La fréquence de la chaîne pourrait bénéficier
à un groupe de médias communautaires ce qui permettra de démocratiser
le spectre télévisuel et surtout, selon Chávez, de « donner
du pouvoir au peuple, du pouvoir communicationnel à ceux qui
n’ont quasiment jamais la parole8 ».
La population vénézuelienne a accueilli positivement la
nouvelle. Elle n’a jamais vraiment pardonné aux médias privés
leur tentative de renverser le président qu’elle avait démocratiquement
porté au pouvoir et à qui elle a renouvelé sa confiance lors de
12 processus électoraux consécutifs. La majorité avait
unanimement condamné le comportement des télévisions privées
qui, au lieu d’informer du retour de Chávez le 14 avril 2002,
avaient passé en boucle des films et des dessins animés. Selon Bárbara
Vecci du Comité des utilisateurs des moyens de communication (Cumeco),
la fréquence « doit s’ouvrir à des coopératives de
journalistes et de producteurs nationaux indépendants ».
Pour elle, ce sont les médias privés « qui bâillonnent
la liberté d’expression », exprimant ainsi un
sentiment largement partagé par les citoyens du pays9.
Suite aux fortes pressions émises par Washington, l’Organisation
des Etats américains (OEA) s’est rangé du côté du conglomérat
médiatique. Elle a fustigé la décision du gouvernement vénézuelien
par le biais de son secrétaire général, José Miguel Insulza,
intervenant ainsi dans les affaires internes du Venezuela et
violant, par la même occasion, l’Article 2 de la Charte de l’OEA.
« L’adoption d’une mesure administrative pour fermer
une chaîne d’information donne l’impression d’une forme de
censure contre la liberté d’expression », a affirmé
la déclaration officielle10.
Le Ministère des Affaires étrangères a condamné les
propos du secrétaire général Insulza, l’accusant de céder à
des demandes et pressions de secteurs nationaux et internationaux
opposés au président Chávez. Il a exigé de sa part de montrer
plus de respect envers les décisions légitimes du gouvernement
et a reproché à Insulza de « falsifier la réalité »
sur le cas RCTV :
« Le
secrétaire général critique indûment le fait qu’un pays
membre de l’Organisation des Etats américains exerce pleinement
ses attributions et refuse de céder au chantage des vrais ennemis
de la liberté d’expression, du droit du peuple à être
vraiment informé et de la démocratie elle-même, parmi lesquels
se trouvent les propriétaires de cette entreprise, qui ont été
les promoteurs de vaines tentatives de renverser un gouvernement légitime,
incitant à la haine et à la violence et promouvant le sabotage
économique.
Il
est inquiétant que le secrétaire général de la OEA, au lieu de
défendre un gouvernement légitime et démocratique, comme celui
du Venezuela, se fasse l’écho d’accusations infondées qui
proviennent des médias qui de toute évidence ont dénaturé leur
fonction sociale, brisant ainsi l’éthique journalistique et qui
ont attenté de manière permanente contre les institutions démocratiques
vénézueliennes11 ».
Le président Chávez a également dénoncé cette ingérence.
« Maintenant, il vient nous dire que le gouvernement vénézuelien
ne devrait pas exécuter la décision de ne pas renouveler la
concession à RCTV », a-t-il remarqué en référence à
Insulza. Il a regretté les menaces voilées de l’OEA qui avait
affirmé que la décision aurait des « implications
politiques ». « Un secrétaire général qui
s’abaisse à ce niveau devrait abandonner son poste par dignité
[…]. J’espère le croiser à Managua [lors de l’investiture
officielle du président du Nicaragua, Daniel Ortega]. Je lui
dirai ce que je pense devant les présidents et le monde »,
a-t-il ajouté en rappelant que le Venezuela était une nation
libre et souveraine12.
Un secteur de la hiérarchie ecclésiastique lié à
l’opposition a également critiqué la décision
gouvernementale. Chávez a une nouvelle fois répondu à ces
critiques : « L’Etat respecte l’Eglise, l’Eglise
doit respecter l’Etat. Je ne veux pas revenir aux temps de la
confrontation avec les évêques vénézueliens, mais ce n’est
pas mon choix, c’est celui des évêques vénézueliens13 ».
Le président vénézuelien en a profité pour souligner les
contradictions de l’Eglise : « Comment comprendre
cette hiérarchie catholique qui est incapable de critiquer le
coup d’Etat d’avril 2002 ? Ils ne l’ont jamais critiqué
et n’ont pas non plus critiqué ce qu’ont fait ces chaînes.
Ils ne l’ont jamais critiqué. Je n’ai pas vu un seul évêque
vénézuelien critiquer le coup d’Etat14 ».
Accuser le gouvernement bolivarien de porter atteinte à la
liberté de la presse ferait sourire n’importe quel connaisseur
de la réalité vénézuelienne et du rôle pernicieux des médias
privés du pays. Depuis l’élection de Hugo Chávez au pouvoir,
une seule chaîne de télévision a été temporairement fermée
pour des raisons politiques. Il s’agit du Canal 8 qui a
été clos entre le 11 et le 13 avril 2002 par… la junte
fasciste responsable du fameux coup d’Etat de 47 heures, action
qui avait été chaleureusement applaudie à l’époque par…
RCTV.
Durant la campagne électorale de 2006, Hugo Chávez avait
lancé l’idée de soumettre le renouvellement des concessions
des chaînes privées à un référendum populaire. Au lieu d’être
saluée, cette initiative démocratique semble inquiéter les
propriétaires des médias commerciaux, la presse internationale
et Washington. Craindraient-ils la volonté populaire ? Dans
toute démocratie digne de ce nom, le peuple n’est-il pas
souverain ?
La véritable question n’est pas de se demander si
l’affaire RCTV constitue ou non un cas de censure car, au
vu des faits, une telle accusation est dénuée de tout fondement.
L’interrogation qui aurait dû faire la une de tous les médias
internationaux est la suivante : Comment est-il possible que Globovisión,
Televen, Venevisión et RCTV, qui ont toutes
participé activement au coup d’Etat contre le président Chávez
soient toujours sous le contrôle des putschistes ?
Qu’adviendrait-il de leur sort si les chaînes françaises TF1,
Canal + et M6, par exemple, soutenaient ouvertement le
renversement du président Jacques Chirac ?
Notes
1
Simón Romero, « Se abre el debate sobre la censura en
Venezuela », El Nuevo Herald / New York Times, 4
janvier 2007.
2
Ibid.
3
Fabiola Sánchez, « Piden a gobierno atender llamado de OEA
en caso de canal », Associated Press, 5 janvier 2007.
4
Agencia Bolivariana de Noticias, « Ministro Lara:
Granier patea los derechos de los usuarios », 6 janvier
2007.
5
Simón Romero, op. cit.
6
Eva Golinger, El código Chávez (La Havane: Editorial de
Ciencias Sociales, 2005), p. 125.
7
Agencia Bolivariana de Noticias, « Decisión de no
renovar concesión a RCTV es irreversible », 2 janvier 2007.
8
Associated Press, « Presidente Chávez descarta
renovarle concesión a televisora », 4 janvier 2007.
9
Agencia Bolivariana de Noticias, « Usuarios proponen
televisión pública para el espectro que ocupa RCTV », 4
janvier 2007.
10
Chris Kraul, « Chavez Denounced for Canceling TV License »,
Los Angeles Times, 6 janvier 2007.
11
Agencia Bolivariana de Noticias, « Gobierno exhortó
a Insulza a retractarse por falsear la realidad en caso RCTV »,
6 janvier 2007.
12
Agencia Bolivariana de Noticias, « Chávez anunció
que denunciará ante el mundo injerencia de Insulza », 8
janvier 2007.
13
Associated Press, « Chávez pide a la Iglesia
venezolana respetar al Estado », 10 janvier 2007.
14
Agencia Bolivariana de Noticias, « Chávez instó a
funcionarios de la Iglesia Católica venezolana a ocupar su lugar »,
8 janvier 2007.
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