Cuba
50 vérités sur
Eduardo Chibás
Salim Lamrani
Samedi 17 août 2013
Radio Miami
http://www.radio-miami.org/index.php/archivo/replica/518-50-verdades-sobre-eduardo-chibas
Principale figure politique de la Cuba
prérévolutionnaire, Eduardo Chibás,
guide et source d’inspiration de la
jeunesse cubaine de l’époque, fondateur
du Parti du Peuple Cubain dans lequel a
milité Fidel Castro, mérite de retrouver
sa place dans l’Histoire.
1.
Né le 15 août 1907 à Santiago de Cuba au
sein d’une famille aisée, Eduardo René
Chibás y Rivas est le fondateur du Parti
du Peuple Cubain ou Parti Orthodoxe.
2.
Dans sa jeunesse, il fréquente le
collège des jésuites à Santiago de Cuba
ainsi que le Collège de Belén, tout
comme le fera Fidel Castro, quelques
années plus tard.
3.
A l’âge de 17 ans, il intègre la Faculté
de Droit de l’Université de La Havane.
4.
Dans ses années universitaires, il
contribue aux luttes contre la dictature
de Gerardo Machado (1925-1933) et
manifeste le 17 décembre 1925 pour
exiger la liberté de Julio Antonio Mella,
fondateur du Parti communiste cubain. Il
participe solidairement à sa grève de la
faim.
5.
En 1927, alors membre Directoire
Estudiantin Révolutionnaire (DEU), il
s’oppose à la prolongation des pouvoirs
du Général Machado et est expulsé de
l’Université de La Havane.
6.
Chibás paye son engagement politique au
prix fort. En août 1931, il est
emprisonné puis est contraint de
s’exiler en 1932.
7.
A la chute de Machado en août 1933, il
rentre à Cuba et participe à la
Révolution de septembre 1933.
8.
Il devient membre du Gouvernement
révolutionnaire de Ramón Grau San Martín
et joue un rôle fondamental au sein de
la Commission Exécutive. Mené par
Antonio Guiteras, le « Gouvernement des
cent jours », qui débute le 10 septembre
1933, crée un Ministère du travail,
établit la journée de travail de 8
heures, met en place un système de
retraite et de sécurité sociale pour les
ouvriers, légalise les syndicats,
diminue les prix des articles de
première nécessité et décrète
l’autonomie universitaire.
9.
Suite au coup d’Etat de Fulgencio
Batista, qui dirigera le pays en
coulisses de 1933 à 1940, Chibás, qui
condamne avec fermeté la trahison du
nouvel homme fort, intègre le mouvement
Izquierda Revolucionaria.
10.
Il crée le programme de radio « La Voz
de las Antillas » dans lequel il
revendique la pleine souveraineté
nationale de Cuba et dénonce la violence
et la corruption.
11.
En 1934, il participe à la création du
Parti Révolutionnaire Cubain (Parti
Authentique), mené par Ramón Grau San
Martín, et affirme son appartenance à la
pensée martienne et anti-impérialiste.
12.
En 1939, il est fait partie des 76
délégués élus à l’Assemblée Constituante
et participe à la rédaction de la
nouvelle Constitution de 1940.
13.
En 1940, il est élu au Parlement cubain
et devient le porte-parole du Parti
Authentique. Il profite de cette tribune
législative pour dénoncer le
gouvernement de Fulgencio Batista, élu
Président la même année.
14.
Le 15 mai 1947, face à la corruption au
sein du Parti Authentique dont le
symbole est le Ministre de l’Education
José Manuel Alemán, le sénateur Chibás
(depuis 1944) décide fonder le Parti du
Peuple Cubain, également appelé le Parti
Orthodoxe.
15.
Le programme du Parti Orthodoxe de
Chibás est progressiste et se base sur
plusieurs piliers : la souveraineté
nationale, l’indépendance économique
avec une diversification de la
production agricole, la suppression du
latifundio, le développement de
l’industrie, la nationalisation des
services publics, la lutte contre la
corruption et la justice sociale avec la
défense des travailleurs.
16.
Dans un mémorandum confidentiel, les
Etats-Unis, maîtres de l’économie
cubaine, analysent avec préoccupation le
programme orthodoxe : « Pour ce qui est
de la politique intérieure, Chibás
favorise la ‘cubanisation’ de toute
l’activité économique, ‘pour émanciper
Cuba de l’impérialisme étranger’ ;
nationalisation graduelle, basée sur une
compensation adéquate, de tous les
secteurs et entreprises publiques de
nature monopolistique ; ‘libre marché’
basé des contrôles stricts de production
et d’exportation […] ; la distribution
forcée de terre arable, la taxation des
propriétés non cultivées, l’élimination
du système féodal et colonial,
l’utilisation massive de la machinerie
agricole, et le développement de projets
d’irrigation et de coopératives
agricoles. Chibás développerait un
système de sécurité sociale contrôlé par
le gouvernement qui offrirait aux
citoyens une protection adéquate contre
les risques économiques de la
vieillesse, la maladie, le chômage et le
décès, avec une protection particulière
pour les femmes et les orphelins. Il
établirait une structure fiscale sur une
base claire, juste et scientifique ».
17.
En termes de politique internationale,
Washington note que Chibás préconise
« une collaboration avec les
institutions internationales et une
condamnation des guerres d’agression »,
« une politique de paix et le maintien
de liens culturels et commerciaux avec
les autres nations », « une répudiation
du droit de veto aux Nations unies »,
« une défense du système régional
interaméricain et de la solidarité
hémisphérique basée sur l’égalité »,
« un accès libre et basé sur l’égalité
au commerce international et aux
matières premières », « une opposition
résolue à tous les tyrans, de ‘Staline à
Trujillo’ et de ‘Franco à Perón’ ».
18.
Farouche anticommuniste, Chibás ne cache
pas sa méfiance à l’égard du Parti
Socialiste Populaire, le parti
communiste cubain de l’époque, en raison
de sa collaboration avec Fulgencio
Batista. Au niveau international, il
dénonce régulièrement « l’impérialisme
totalitaire communiste de Moscou, le
plus despotique, cruel et agressif de
l’Histoire » et apporte même son soutien
aux Etats-Unis dans la Guerre de Corée.
19.
Les éléments les plus radicaux et
révolutionnaires de la jeunesse cubaine,
tels que Fidel Castro et Max Lesnik,
rejoignent les rangs du Parti Orthodoxe
et apportent leur soutien à Chibás.
20.
Avant le triomphe de la Révolution,
Fidel Castro n’avait jamais milité dans
un parti politique autre que le Parti
Orthodoxe. Il se présentera même à la
Chambre des Représentants en tant que
candidat du Parti du Peuple Cubain en
1952.
21.
Le Parti Orthodoxe attire également la
population afro-cubaine, jusque là
marginalisée de la vie politique.
22.
Orateur de grand talent, Chibás
intervient tous les dimanches à la radio
de 1943 à 1951. Son programme à la CMQ
est le plus populaire du pays et est
suivi par des millions de Cubains. Il y
dénonce un Etat corrompu et affirme sa
volonté d’édifier une nouvelle Cuba où
les dirigeants seraient frappés du sceau
de l’honnêteté et de la probité.
23.
Avec José Pardo Llada, Chibás est le
commentateur de radio le plus populaire
de Cuba.
24.
En 1948, il participe à l’élection
présidentielle et est battu par Carlos
Prío Socarrás, candidat du Parti
Authentique.
25.
Chibás se montre très critique à l’égard
du gouvernement de Prío, gangréné par la
corruption, comme celui de son
prédécesseur Ramón Grau San Martín.
26.
En 1949, le sénateur Chibás est
incarcéré après avoir accusé le
gouvernement de Prío de favoriser la
multinationale étasunienne
Cuban Electric Company et le
Tribunal Suprême de corruption. « C’est
un honneur d’aller en prison pour
défendre le peuple cubain »,
déclare-t-il.
27.
Le slogan du Parti Orthodoxe devient
célèbre : « Vergüenza contra dinero. A
barrer con los ladrones », avec un balai
pour symbole.
28.
Dans un rapport sur le leader du Parti
Orthodoxe à destination du Département
d’Etat, l’ambassade des Etats-Unis note
que « Chibás est d’abord et avant tout
un champion de l’honnêteté dans le
gouvernement. Il est probable qu’il
ferait un effort réel pour insuffler de
l’honnêteté au sein du gouvernement ».
29.
En mai 1951, Chibás répond au défi que
lui lance le célèbre journaliste José
Pardo Llada qui lui reproche de se
montrer indulgent à l’égard du Ministre
de l’Education Aureliano Sánchez Arango,
ancien membre du Directoire de 1927,
lequel avait, tout comme Chibás, des
aspirations présidentielles.
30.
Il accuse donc ce dernier d’avoir
détourné des fonds publics et d’avoir
créé un empire immobilier au Guatemala.
Mais malgré ses affirmations, Chibás ne
présente pas les preuves promises à
l’opinion publique.
31.
Selon Max Lesnik, alors dirigeant de la
Jeunesse orthodoxe et proche
collaborateur de Chibás, ce dernier ne
disposait pas des preuves matérielles
pour étayer ses accusations.
32.
Cette polémique inutile a de graves
conséquences pour Chibás, qui devient
objet de railleries de la part d’un
segment de l’opinion publique : « Chibás,
où est la valise ? », en référence à la
valise de preuves qu’il avait promise.
33.
La direction du Parti Orthodoxe, plus
préoccupée par des considérations
carriéristes et des postes politiques au
Sénat et à l’Assemblée, abandonne Chibás
à son sort, lequel ne peut compter que
sur la partie la plus radicale de la
Jeunesse orthodoxe.
34.
Marqué par cet épisode, Chibás décide de
s’immoler en espérant réveiller la
conscience populaire. Le 5 août 1951, à
la fin de son discours à la radio, « El
último aldabonazo », il se tire une
balle de revolver.
35.
Dans son ultime discours, Chibás dénonce
une nouvelle fois la corruption : « Il y
a cinq siècles, le Tribunal de
l’Inquisition criait à Galilée :
‘Menteur ! Trompeur ! Présente les
preuves que la terre tourne autour du
soleil !’Galilée ne put présenter les
preuves matérielles de la réalité
évidente, et fut condamné, mais il a
continué à répéter, ferme dans sa
conviction morale : ‘Oui, elle tourne !
Oui, elle tourne !’ Il y a cinq ans,
j’ai accusé le Ministre de l’Education
José Manuel Alemán de voler l’argent
destiné au matériel et aux repas
scolaires et de créer à Miami un empire
de propriétés et d’immeubles. Le
Ministre Alemán et tous ses coryphées
ont surgi en criant : Menteur !
Calomniateur ! Présente les preuves ! Je
ne pus présenter les preuves matérielles
qu’ils étaient en train de voler
l’argent du Trésor national, mais je
continuai à répéter, ferme dans ma
conviction morale : Ils le volent ! Ils
le volent ! Désormais j’accuse le
gouvernement de Carlos Prío d’être le
plus corrompu de tous ceux qu’à eus la
République jusqu’à présent et à son
Ministre de l’Education, Sánchez Arango
[…] de voler l’argent du matériel et des
repas scolaires et de réaliser de grands
investissements au Guatemala et dans
d’autres Républiques d’Amérique centrale
car le gouvernement de Washington ne lui
permet pas d’entrer aux Etats-Unis en
raison de ses antécédents communistes
[…] Cuba doit se réveiller. Mais mon
appel n’a peut-être pas été assez fort
[…]. Compagnons de l’Orthodoxie, en
avant ! Pour l’indépendance économique,
la liberté politique et la justice
sociale ! Balayons les voleurs du
gouvernement ! Honneur contre argent !
Peuple de Cuba, lève-toi et marche!
Peuple de Cuba, réveille-toi! Ceci est
mon dernier appel! »
36.
Après onze jours d’agonie, Chibás meurt
le 16 juillet 1951 à La Havane.
37.
Selon Max Lesnik, le véritable débat
historique et politique n’est pas de
savoir si Chibás disposait des preuves
matérielles au sujet d’Aureliano Sánchez
Arango, mais de se questionner au sujet
de la présence de ce dernier dans « un
gouvernement de voleurs » : « Que
faisait l’honorable Aureliano dans un
gouvernement de voleurs, défendant les
voleurs ? »
38.
Son enterrement au cimetière de Colón de
La Havane est suivi par plus d’un
million de personnes, dans ce qui
restera comme la plus importante veillée
funèbre de l’Histoire de Cuba.
39.
A l’aube des élections présidentielles
de juin 1952, Chibás, adulé par le
peuple, était le candidat favori du
scrutin. Selon un sondage du 20 mai 1951
réalisé par la revue
Bohemia, le leader orthodoxe avait
plus de 10 points d’avance sur les
autres candidats, et était le favori de
toutes les catégories sociales.
40.
Un mémorandum confidentiel de
l’ambassade des Etats-Unis du 11 juillet
1951 souligne que « Chibás est le
candidat favori ».
41.
Le 10 mars 1952, sept mois à peine la
disparition de Chibás et à trois mois
des élections présidentielles, le
général Fulgencio Batista brise l’ordre
constitutionnel en renversant le
gouvernement de Prío. La dictature
militaire durera six ans, jusqu’au
triomphe de la Révolution cubaine en
1959.
42.
Sans la mort de Chibás, la rupture
constitutionnelle n’aurait sans doute
pas eu lieu. Selon Fidel Castro, « Si
Chibás était vivant, il [Batista]
n’aurait pas pu organiser le coup d’Etat
car le fondateur du Parti du Peuple
Cubain (Orthodoxe) l’observait de
près ».
43.
Dès le mois de mars 1952, Fidel Castro
lance un appel « aux courageux militants
du Parti glorieux de Chibás » pour
lutter contre la dictature militaire de
Batista.
44.
La plupart des membres du Mouvement 26
Juillet fondé par Fidel Castro pour
lutter contre Batista était affiliée au
Parti Orthodoxe. « Presque tous les
membres […] qui ont perdu la vie au
Moncada ou dans la Sierra venaient des
files orthodoxes », rappelle le leader
de la Révolution cubaine.
45.
L’héritage moral, révolutionnaire,
anti-impérialiste et martinien de Chibás
a été la principale source d’inspiration
de la Révolution cubaine.
46.
Le 16 janvier 1959, après la chute de
Batista, Fidel Castro va se recueillir
sur la tombe d’Eduardo Chibás et lui
rend hommage.
47.
« L’histoire de la Révolution,
l’histoire du 26 Juillet, est intimement
liée à l’histoire de cette tombe. Car je
dois dire que sans le prêche d’Eduardo
Chibás, sans l’action d’Eduardo Chibás,
sans le civisme et la révolte qu’il a
suscités au sein de la jeunesse cubaine,
le 26 Juillet n’aurait pas été possible.
Le 26 Juillet a été la continuation de
l’œuvre de Chibás ».
48.
D’après Fidel Castro, les idées de
Chibás sont devenues « la cause, l’idée
et l’espoir de tout un peuple ».
49.
Chibás a été un personnage politique
d’une indiscutable probité, symbole de
l’honnêteté dans un pays marqué par la
corruption.
50.
Tout comme José Martí, Antonio Maceo,
Julio Antonio Mella, Antonio Guiteras et
Fidel Castro, la figure et les idées
d’Eduardo Chibás ont marqué l’Histoire
de Cuba, et font partie de l’héritage
politique et anti-impérialiste du peuple
cubain.
Docteur ès Etudes Ibériques et
Latino-américaines de l’Université Paris
IV-Sorbonne, Salim Lamrani est Maître de
conférences à l’Université de La
Réunion, et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son nouvel ouvrage s’intitule
Cuba. Les médias face au défi de
l’impartialité, Paris, Editions
Estrella, 2013 et comporte une préface
d’Eduardo Galeano (à paraître en
septembre 2013).
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr ;
Salim.Lamrani@univ-reunion.fr
Page Facebook :
https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel
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