Cuba
Raúl Castro, le
véritable dissident
Salim
Lamrani
Jeudi 17 janvier
2013
Opera Mundi
http://operamundi.uol.com.br/...
Contrairement à une idée largement
répandue, notamment en Occident, le
débat critique est bien présent au sein
de la société cubaine. D’ailleurs, le
critique le plus virulent du pays se
nomme Raúl Castro.
En Occident, Cuba est représentée
comme une société fermée sur elle-même,
où le débat critique est inexistant et
la pluralité des idées proscrite par le
pouvoir. En réalité, Cuba est loin
d’être une société monolithique qui
partagerait une pensée unique. En effet,
la culture du débat se développe chaque
jour davantage et elle est symbolisée
par le Président cubain Raúl Castro qui
est devenu le premier pourfendeur des
vicissitudes, contradictions,
aberrations et injustices présentes au
sein de la société cubaine.
La nécessité de changement et du débat
critique
En décembre 2010 devant le Parlement
cubain, Raúl Castro avait lancé un
avertissement : « Soit nous rectifions
[ce qui ne marche pas,] soit nous
coulons après avoir trop longtemps bordé
le précipice[1] ».
Il avait également ajouté quelque temps
plus tard : « Il est indispensable de
rompre la colossale barrière
psychologique qui résulte d’une
mentalité ancrée dans des habitudes et
des concepts du passé[2] ».
Le président Raúl Castro a également
fustigé la faiblesse du débat critique à
Cuba. Il a également fustigé les
non-dits, la complaisance et la
médiocrité. Il a appelé à plus de
franchise. « Il ne faut pas craindre les
divergences de critères […], les
différences d’opinions […], qui seront
toujours préférables à la fausse
unanimité basée sur la simulation et
l’opportunisme. Il s’agit de surcroit
d’un droit dont personne ne doit être
privé ». Castro a dénoncé l’excès de la
« culture du secret à laquelle nous nous
sommes habitués durant plus de cinquante
ans » pour occulter les erreurs, les
défaillances et les manquements. « Il
est nécessaire de changer la mentalité
des cadres et de tous nos compatriotes[3] »,
a-t-il ajouté.
A destination des médias cubains, il a
tenu les propos suivants :
Notre presse parle assez de cela, des
conquêtes de la Révolution, et nous en
faisons autant dans les discours. Mais
il faut aller au cœur des problèmes […].
Je suis un défenseur à outrance de la
fin de la culture du secret car derrière
ce tapis doré se cachent nos manquements
et ceux qui ont intérêt à ce que rien ne
change. Je me souviens de quelques
critiques apparues dans la presse il y
quelques années avec mon soutien [...].
Immédiatement, la grande bureaucratie
s’est mise en branle et a commencé à
protester : « Ces choses n’aident pas et
démoralisent les travailleurs ». Quels
travailleurs vont être démoralisés ? De
même, dans une grande entreprise
laitière de l’Etat de Camagüey, Le
Triangle, pendant des semaines, on
donnait le lait produit à des cochons du
coin car le camion citerne était en
panne. J’ai alors demandé à un
secrétaire du Comité Central de dénoncer
cela dans
Granma. Certains sont venus me voir
pour me dire que ce genre de critiques
était contreproductif car cela
démoralisait les travailleurs, etc.
Mais, ce qu’ils ne savaient pas, c’est
que j’en étais à l’origine[4].
Le 1er août 2011, lors
de son discours de clôture de la VIIe
Législature du Parlement Cubain, Raúl
Casto a réitéré la nécessité du débat
critique et contradictoire au sein d’une
société : « Toutes les opinions doivent
être analysées, et quand il n’y a pas
consensus, les divergences seront
portées auprès des instances supérieures
habilitées à prendre une décision ; de
plus, personne ne dispose des
prérogatives pour l’empêcher[5] ».
Il a appelé à mettre fin « à l’habitude
du triomphalisme, de l’autosatisfaction
et du formalisme dans le traitement de
l’actualité nationale et à générer des
matériaux écrits et des programmes de
télévision et de radio qui par leur
contenu et leur style captent
l’attention et stimulent le débat au
sein de l’opinion publique », afin
d’éviter les matériaux « ennuyeux,
improvisés et superficiels » au sein des
médias[6].
La corruption
Raúl Castro n’a pas non plus éludé le
problème de la corruption : « Face aux
violations de la Constitution et de la
légalité établie, il n’y a d’autres
alternatives que de recourir au
Procureur et aux Tribunaux, comme nous
avons déjà commencé à le faire, pour
exiger des responsabilités aux
contrevenants, quels qu’ils soient, car
tous les Cubains, sans exception, sommes
égaux devant la loi[7] ».
Raúl Castro, conscient que la corruption
n’épargne pas les hauts-fonctionnaires,
a envoyé un message clair aux
responsables de tous les secteurs : « Il
faut mettre un terme définitif au
mensonge et à la tromperie dans la
conduite des cadres, de tout niveau ».
De manière plus insolite, il s’est
appuyé sur deux des dix commandements
bibliques pour illustrer son propos :
« Tu ne voleras point » et « tu ne
mentiras point ». De la même manière, il
a évoqué les trois principes éthiques et
moraux de la civilisation Inca : « ne
pas mentir, ne pas voler, ne pas être
paresseux », lesquels doivent guider la
conduite de tous les responsables de la
nation[8].
La liberté religieuse
De la même manière, les dérives
sectaires ont été lourdement condamnées
par Raúl Castro. Il a ainsi publiquement
dénoncé à la télévision certaines
atteintes à la liberté religieuse dues à
l’intolérance « encore enracinée dans la
mentalité de nombreux dirigeants à tous
les niveaux[9] ».
Il a évoqué le cas d’une femme, cadre du
Parti communiste, au parcours
exemplaire, qui a été écartée de ses
fonctions, en février 2011, en raison de
sa foi chrétienne et dont le salaire a
été réduit de 40%, en violation de
l’article 43 de la Constitution de 1976
qui interdit tout type de
discrimination. Le président de la
République a ainsi dénoncé « le mal
occasionné à une famille cubaine par des
attitudes basées sur une mentalité
archaïque, alimentée par la simulation
et l’opportunisme ». Rappelant que la
personne victime de cette discrimination
était née en 1953, date de l’attaque de
la caserne Moncada par les partisans de
Fidel Castro contre la dictature de
Fulgencio Batista, Raúl Castro a tenu
les propos suivants :
Je ne suis pas allé au Moncada pour ça
[…]. J’ai évoqué cette affaire lors de
la réunion du 30 juillet, qui marquait
également le 54ème
anniversaire de l’assassinat de Frank
País et de son fidèle compagnon Raúl
Pujol. J’ai connu Frank au Mexique, je
l’ai revu dans la Sierra, et je ne me
souviens pas avoir connu une âme aussi
pure que la sienne, aussi courageuse,
aussi révolutionnaire, aussi noble et
modeste, et m’adressant à l’un des
responsables de cette injustice qui a
été commise, je lui ai dit : Frank
croyait en Dieu et pratiquait sa
religion, que je sache il n’avait jamais
cessé de la pratiquer, qu’auriez-vous
fait de Frank País[10] ?
La productivité, le revenu mensuel et le
livret d’approvisionnement
Concernant la productivité et la
politique économique, Raúl Castro,
reconnaissent « une absence de culture
économique chez la population » ainsi
que les erreurs du passé. « Nous ne
pensons pas copier de nouveau quelqu’un,
car cela nous a causé de nombreux
problèmes par le passé et, par-dessus le
marché, nous avions mal copié[11] ».
Tous admettent publiquement que « la
spontanéité, l’improvisation, la
superficialité, le non-accomplissement
des objectifs, le manque de profondeur
dans les études de faisabilité et le
manque de vision intégrale pour
entreprendre un investissement » portent
un grave préjudice à la nation[12].
Au sujet du revenu mensuel des Cubains,
Raúl Castro a fait preuve de lucidité :
« Le salaire est encore clairement
insuffisant pour satisfaire tous les
besoins, et il a pratiquement cessé de
remplir son rôle d’assurer le principe
socialiste selon lequel chacun apporte
selon sa capacité et reçoit selon son
travail. Cela a favorisé des
manifestations d’indiscipline sociale[13] ».
De la même manière, le Président cubain
n’a pas hésité à souligner les effets
négatifs du livret d’approvisionnement
en vigueur depuis 1960, notamment « son
caractère égalitariste nocif », lequel
est devenu « une charge insupportable
pour l’économie et ne stimulait pas le
travail, en plus de générer des
illégalités diverses au sein de la
société ». Il a également noté les
contradictions suivantes : « Etant donné
que le livret a été mis en place pour
couvrir les plus de 11 millions de Cuba
de la même façon, les exemples absurdes
ne manquent pas tel que le café prévu
est octroyé y compris au nouveau-nés. De
la même manière, les cigarettes étaient
fournies jusqu’à septembre 2010 aussi
bien aux fumeurs qu’aux non-fumeurs,
encourageant la croissance de cette
habitude malsaine au sein de la
population ». Selon lui, la
libreta « contredit en son essence
le principe de la distribution qui
devrait caractériser le socialisme,
c’est-à-dire, ‘chacun selon ses
capacités, à chacun selon son
travail’ ». Pour ces raisons, il « sera
impératif d’appliquer des mesures pour
éradiquer les profondes distorsions
existantes dans le fonctionnement de
l’économie et de la société dans son
ensemble[14] ».
La relève générationnelle
Par ailleurs, le Président cubain a
également mis en avant un problème
crucial à Cuba : la relève
générationnelle et le manque de
diversité. Il a dénoncé « l’insuffisante
systématicité et volonté politique pour
assurer la promotion à des postes à
responsabilité de femmes de noirs, de
métis et de jeunes, sur la base du
mérité et les conditions personnelles ».
Il a fait part de son dépit sans éluder
sa propre responsabilité : « Ne pas
avoir résolu ce problème en plus d’un
demi-siècle est une véritable honte que
nous aurons sur la conscience durant de
nombreuses années ». Par conséquent,
Cuba subit « les conséquences de ne pas
compter sur une réserve de remplaçants
dûment préparés, avec l’expérience et la
maturité suffisantes pour assumer les
tâches nouvelles et complexes de
direction au sein du Parti, de l’Etat et
du Gouvernement[15] ».
Toutes ces déclarations ont été
faites en direct à la télévision cubaine
à une heure de grande écoute. Elles
permettent d’illustrer la présence du
débat critique à Cuba au plus haut
niveau de l’Etat. Ainsi, Raúl Castro est
non seulement le Président de la nation,
mais également – semble-t-il – le
premier dissident du pays et le plus
farouche critique des dérives et des
imperfections du système.
Docteur ès Etudes Ibériques et
Latino-américaines de l’Université Paris
Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est
Maître de conférences à l’Université de
la Réunion, et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son dernier ouvrage s’intitule
État de siège. Les sanctions économiques
des Etats-Unis contre Cuba, Paris,
Éditions Estrella, 2011 (prologue de
Wayne S. Smith et préface de Paul
Estrade).
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr ;
Salim.Lamrani@univ-reunion.fr
Page Facebook :
https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel
[1]
Raúl Castro Ruz, « Discurso
pronunciado por el General de
Ejército Raúl Castro Ruz,
Presidente de los Consejos de
Estado y de Ministros, en la
clausura del Sexto Período
Ordinario de Sesiones de la
Séptima Legislatura de la
Asamblea Nacional del Poder
Popular »,
República de Cuba,
18 décembre 2010.
http://www.cuba.cu/gobierno/rauldiscursos/2010/esp/r181210e.html
(site consulté le 2 avril 2011).
[2]
Raúl Castro Ruz, « Intervención
del General de Ejército Raúl
Castro Ruz, Presidente de los
Consejos de Estado y de
Ministros de la República de
Cuba en la Clausura del X
Periodo de Sesiones de la
Séptima Legislatura de la
Asamblea Nacional del Poder
Popular », 13 décembre 2012.
http://www.cubadebate.cu/raul-castro-ruz/2012/12/13/raul-todo-lo-que-hagamos-va-dirigido-a-la-preservacion-y-desarrollo-en-cuba-de-una-sociedad-socialista-sustentable-y-prospera-fotos/
(site consulté le 1er
janvier 2013).
[3]
Raúl Castro, « Discurso… »,
18 décembre 2010,
op.cit.
[4]
Ibid.
[5]
Raúl Castro, « Toda resistencia
burocrática al estricto
cumplimiento de los acuerdos del
Congreso, respaldados
másivamente por el pueblo, será
inútil »,
Cubadebate, 1er
août 2011.
[6]
Raúl Castro, « Texto íntegro del
Informe Central al VI Congreso
del PCC », 16 avril 2011.
http://www.cubadebate.cu/opinion/2011/04/16/texto-integro-del-informe-central-al-vi-congreso-del-pcc/
(site consulté le 20 avril
2011).
[7]
Raúl Castro, « Toda
resistencia… »,
op. cit.
[8]
Raúl Castro, « Discurso… »,
18 décembre 2010,
op.cit.
[9]
Raúl Castro, « Toda
resistencia… »,
op. cit.
[10]
Ibid.
[11]
Raúl Castro, « Discurso… »,
18 décembre 2010,
op.cit.
[12]
Partido
Comunista de Cuba,
« Resolución sobre los
lineamientos de la política
económica y social del partido y
la Revolución »,
op. cit.
[13]
Raúl Castro Ruz, « Discurso… »,
18 décembre 2010,
op. cit.
[14]
Raúl Castro, « Informe central
al VI Congreso del Partido
Comunista de Cuba », 16 avril
2011.
http://www.cuba.cu/gobierno/rauldiscursos/2011/esp/r160411e.html
(site consulté le 1 janvier
2013).
[15]
Ibid.
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