Cuba
Cuba face aux
contradictions de l'administration Obama
Salim Lamrani
Salim Lamrani
Mardi 13 octobre 2009 Le 23 septembre 2009,
le président Barack Obama s’est adressé pour la première fois à
l’Assemblée générale des Nations unies lors d’un discours salué
par l’ensemble de la communauté internationale. Obama a reconnu
que l’interventionnisme à outrance des Etats-Unis dans les
affaires internes des autres pays était une grave erreur.
« Aucune nation ne doit
être forcée d’accepter la tyrannie d’une autre nation »,
a-t-il déclaré, ajoutant qu’« aucune
nation ne peut ni ne doit tenter de dominer une autre nation ».
« La démocratie ne peut
pas être imposée à une autre nation de l’extérieur. Chaque
société doit trouver sa propre voie, et aucune voie n’est
parfaite. Chaque pays doit poursuivre une voie ancrée dans la
culture de son peuple et dans ses traditions, et je reconnais
que les Etats-Unis ont, trop souvent, été sélectifs dans leur
promotion de la démocratie », a-t-il conclu1.
Le président Obama a ainsi fait preuve de lucidité et
d’intelligence en déclarant que les Etats-Unis devaient
« entrer dans une
nouvelle ère d’engagement basée sur les intérêts et le respect
mutuels ». S’adressant à ses détracteurs, il a réfuté tout
double discours et a lancé un défi à ces derniers :
« Je vous demande de
jeter un œil aux actions concrètes que nous avons prises en à
peine neuf mois2 ».
La bonne volonté de l’ancien sénateur de
l’Illinois n’est pas en cause. C’est en partie pour cela qu’il a
obtenu le prix Nobel de la paix 2009. Néanmoins, il est
impossible de ne pas relever les contradictions notables entre
la rhétorique du locataire de la Maison-Blanche et la réalité
des faits, notamment en ce qui concerne la politique de
Washington vis-à-vis de Cuba.
Les
avancées
En avril 2009, Obama avait fait part de sa
volonté de chercher « une
nouvelle approche avec Cuba3 ».
« Je crois que nous
pouvons mener les relations entre les Etats-Unis et Cuba vers
une nouvelle direction », avait-il souligné.
« Je suis ici pour ouvrir
un nouveau chapitre de rapprochement qui se poursuivra durant
mon mandat », avait-il dit, en annonçant la levée des
restrictions affectant les Cubains vivant aux Etats-Unis et
ayant de la famille sur l’île. Néanmoins, il a fallu attendre le
3 septembre 2009 pour que cette décision entre en vigueur.
Désormais, les Cubains peuvent se rendre dans leur pays
d’origine autant de fois qu’ils le souhaitent (au lieu de 14
jours tous les trois ans auparavant), et effectuer des
transferts de fonds illimités à leurs familles (au lieu 100
dollars par mois auparavant4).
L’administration Obama a également élargi
la gamme de produits qui peuvent être envoyés à Cuba aux
vêtements, produits hygiéniques et au matériel de pêche
(interdits auparavant). Elle a également permis aux entreprises
étasuniennes de télécommunication de fournir certains services à
Cuba (il convient de rappeler cependant que le cadre légal pour
cela existe depuis 1992)5.
En septembre 2009, Bisa Williams,
sous-secrétaire d’Etat aux Affaires interaméricaine, s’est
rendue à La Havane afin de s’entretenir avec le vice ministre
des Affaires étrangères Dagoberto Rodríguez. Tous deux ont
entamé des discussions au sujet de la restauration du service
postal entre Cuba et les Etats-Unis suspendu depuis 1963 et des
questions migratoires. La visite de Williams, censée être de 24
heures, a duré six jours. Il s’agit du plus haut fonctionnaire
en visite officielle à Cuba depuis 20026. La
sous-secrétaire d’Etat en a même profité pour assister au
concert historique donné par le chanteur colombien Juanes à La
Havane qui a réuni plus d’un million de personnes7.
Les
signes négatifs
Si ces initiatives positives, tout comme le
langage diplomatique beaucoup moins agressif à l’égard de La
Havane, sont à souligner, il convient de rappeler que les
relations actuelles entre les deux nations ne sont même pas
revenues au statu quo
ante sous l’administration Clinton. Par ailleurs, les
citoyens cubains vivant aux Etats-Unis et n’ayant pas de famille
dans leur pays d’origine ne peuvent toujours pas s’y rendre.
L’administration Obama, contrairement à ses
déclarations constructives, s’est évertuée à appliquer avec zèle
les sanctions économiques contre Cuba. Ainsi, selon le Bureau de
Contrôle des biens étrangers (Office
of Foreign Assets Control, OFAC) du Département du Trésor,
depuis l’intronisation au pouvoir d’Obama en janvier 2009, pas
moins de sept multinationales ont été sanctionnées
financièrement pour un montant total dépassant les six millions
de dollars. Pourtant, toutes les infractions avaient été
commises bien avant l’arrivée au pouvoir du sénateur de
l’Illinois. Ainsi, en août 2009, la banque australienne ANZ
s’est vue infliger une amende de 5,7 millions de dollars pour
avoir réalisé des transactions avec Cuba par le biais de ses
filiales étasuniennes entre 2004 et 2006. Une nouvelle fois, le
caractère extraterritorial de sanctions économiques s’est
appliquée avec rigueur contre une entité étrangère8.
Par ailleurs, le 14 septembre 2009, le
président étasunien a décidé de prolonger d’un an la validité de
la Loi de Commerce avec l’ennemi de 1917 qui établit les
sanctions économiques contre Cuba. Il a ainsi imité tous les
présidents étasuniens depuis 1962, évoquant des raisons
« d’urgence nationale ».
Pourtant, le renouvellement annuel n’était pas nécessaire au
maintien des sanctions économiques puisque depuis 1996 et
l’adoption de la loi Helms-Burton, seul le Congrès est habilité
à y mettre un terme. Il est regrettable que Barack Obama n’ait
pas saisi l’opportunité, somme toute symbolique, d’agir
différemment de ses prédécesseurs9.
Le 21 septembre 2009, le Département d’Etat
a refusé d’octroyer un visa au président de l’Assemblée
nationale cubaine, Ricardo Alarcón, invité par la présidente du
Black Caucus du Congrès étasunien Barbara Lee. Le lendemain,
Washington a interdit à près de 30 médecins étasuniens de
participer à un Congrès international d’orthopédie se déroulant
à La Havane. En octobre 2009, la Philarmonique de New York, qui
devait se produire dans la capitale cubaine du 30 octobre au 2
novembre, a dû suspendre son voyage après que les Départements
d’Etat et du Trésor ont refusé d’accorder une licence aux 150
mécènes qui avaient financé le projet. Pourtant, en 2008, elle
s’était produite en Corée du Nord et réalisera prochainement un
concert au Vietnam10.
Le sénateur démocrate Byron Dorgan a fait
part de sa totale incompréhension lors d’une intervention au
Sénat : « Notre politique
à l’égard des voyages à Cuba est inouïe. Nous devons nous
soumettre aux absurdités du gouvernement fédéral et du
Département du Trésor qui décident qui peut ou non voyager. Il
est à mon avis scandaleux de restreindre la liberté du peuple
étasunien11 ».
Le 1er octobre 2009, plusieurs leaders du
Congrès se sont retrouvés au siège de la Chambre des
représentants afin de promouvoir l’approbation d’une législation
présentée en mars 2009 mettant un terme à l’interdiction faite
aux citoyens des Etats-Unis de voyager à Cuba et d’exiger le
changement promis par le président Obama. Les élus démocrates
Charles Rangel, Bill Delahunt ainsi que le républicain Jeff
Flake ont exigé l’adoption de la loi – qui dispose pour
l’instant du soutien de 161 représentants et de 33 sénateurs,
qui ont paraphé le document – avant la fin de l’année 2009. Pour
être adoptée, la loi doit réunir 218 voix à la Chambre et 60 au
Sénat. Néanmoins, Barack Obama dispose des prérogatives
nécessaires pour mettre un terme à cette interdiction en signant
un simple ordre exécutif12.
Wayne S. Smith, ancien chef de la Section d’intérêts
étasuniens (SINA) à La Havane entre 1979 et 1982, a déploré le
manque d’initiatives du nouveau président.
« Il n’a rien fait »,
a-t-il regretté. Il a également fustigé l’attitude de certains
élus tels que Bob Menéndez et les représentants de Floride qui
« bloquent la
législation ». « Nous
devrions établir un dialogue et lever les restrictions aux
voyages » pour les citoyens étasuniens, qui peuvent se
rendre en Chine, au Vietnam ou en Corée du Nord, mais pas à Cuba13.
La diplomatie cubaine a fait part de sa déception à cet
égard. Le ministre des Affaires étrangères Bruno Rodríguez, qui
a salué la bonne volonté d’Obama le qualifiant d’« homme
politique moderne, intelligent et animé de bonnes intentions »,
a néanmoins regretté qu’il n’ait pu saisir
« l’opportunité
historique d’user de ses facultés exécutives et d’être à
l’origine de l’élimination du blocus contre Cuba14 ».
Contradictions
Il est inévitable de mettre le président Obama face à ses
propres contradictions. D’un côté, face à l’Assemblée générale
de l’ONU, il a tenu les propos suivants :
« Les peuples du monde
veulent du changement. Ils ne toléreront plus ceux qui se
trouvent du mauvais côté de l’histoire ». D’un autre côté,
il a dû recourir à une loi guerrière de 1917, uniquement
appliquée à Cuba, pour prolonger l’état de siège contre une
petite nation du Tiers-Monde qui n’a jamais commis la moindre
agression contre les Etats-Unis. D’un côté, il affirme que
« les divisions
traditionnelles entre les nations du Sud et du Nord n’ont aucun
sens dans un monde interconnecté, et les alignements des nations
enracinés dans les clivages d’une guerre froide révolue depuis
longtemps non plus ». De l’autre, il persiste à appliquer
une politique obsolète, cruelle et inefficace dont les premières
victimes sont les catégories les plus fragiles de la population
cubaine, à savoir les femmes, les personnes âgées et les enfants15.
Malgré l’opposition unanime de la communauté
internationale qui a condamné en 2008 pour la 17ème
fois consécutive l’état de siège économique imposé à Cuba (185
voix contre 3), du monde des affaires étasunien qui voit ses
intérêts fortement affectés car un marché naturel est entre les
mains par les multinationales européennes, asiatiques et
latino-américaines, la volonté d’une majorité de l’opinion
publique étasunienne qui souhaite une normalisation des
relations entre les deux nations, un courant favorable au
Congrès étasunien au changement de politique, l’administration
Obama persiste à appliquer des sanctions unilatérales
anachroniques qui représentent le principal obstacle au
développement économique de l’île. S’il est vrai que le
président étasunien ne peut pas éliminer définitivement
l’embargo (une décision du Congrès étant nécessaire), il peut
considérablement l’assouplir par le biais de décisions
exécutives et de licences16.
L’ancien président Bill Clinton, dont l’épouse Hillary
Clinton est actuellement secrétaire d’Etat, a pour sa part
qualifié les sanctions économiques de politique
« absurde » et d
« échec total17 ».
Ainsi, depuis leur imposition en août 1960, les sanctions
étasuniennes ont coûté la bagatelle de 96 milliards de dollars à
l’économie cubaine.
La Havane a réitéré à maintes reprises sa disposition à
résoudre tous les différends qui opposent les deux pays à
condition que le dialogue ait lieu sur une base de réciprocité,
de respect de la souveraineté et de non-ingérence dans les
affaires internes.
Si le président Obama souhaite atteindre un modus vivendi
avec le gouvernement cubain, il doit d’adopter les mesures
suivantes par ordre de priorité :
-Libération des cinq prisonniers politiques
cubains incarcérés aux Etats-Unis depuis 1998 et accusés à tort
de « conspiration en vue de commettre des actes d’espionnage ».
Aucune preuve n’a pu être présentée à leur encontre. Ils ont
néanmoins été condamnés à un total de quatre peines de prison à
vie, doublées de 77 ans d’emprisonnement. Obama dispose des
prérogatives nécessaires pour leur accorder un pardon
présidentiel18.
-Assouplissement des sanctions économiques.
Comme souligné précédemment, Obama peut considérablement réduire
leur impact par de simples ordres exécutifs.
-Extradition du terroriste Luis Posada
Carriles, ancien agent de la CIA responsable de plus d’une
centaine d’assassinats et réfugié à Miami, et que les Etats-Unis
refusent de juger19.
-Suppression de Cuba de la liste des pays
terroristes. Les Etats-Unis ont inclus arbitrairement Cuba dans
la liste des pays terroristes pour justifier leur politique
hostile à l’égard de La Havane. Cette inclusion n’est pas prise
au sérieux par la communauté internationale qui la considère
comme une simple manœuvre politique de discrédit. Il convient de
rappeler que Nelson Mandela a fait partie de cette liste
jusqu’en juillet 2008.
-Abrogation de la loi d’ajustement cubain
qui fomente l’émigration illégale à destination des Etats-Unis.
En effet, tout Cubain entrant légalement ou illégalement aux
Etats-Unis obtient automatiquement au bout d’un an le statut de
résident permanent et diverses aides pour obtenir un logement et
un emploi. Cette législation, unique au monde, favorise la fuite
des cerveaux et prive Cuba d’un capital humain considérable20.
-Elimination de tous les programmes de
subvention à destination de l’opposition interne à Cuba. Obama
peut décider de mettre un terme au financement des groupuscules
internes, illégal aux yeux du code pénal cubain et de la
législation internationale21.
-Suppression des émissions subversives de
Radio et TV Martí, destinées à déstabiliser le gouvernement
cubain.
-Dévolution de la base navale de Guantanamo
occupée illégalement par les Etats-Unis depuis 1902, contre la
volonté souveraine du peuple cubain.
La bonne volonté du président Obama doit se traduire
rapidement par des actes concrets afin de normaliser les
relations entre La Havane et Washington. Il doit prouver aux
yeux du monde qu’il mérite effectivement le prix Nobel de la
Paix.
Notes
1
Barack Obama, « Remarks
By the President of the United States to the United Nations
General Assembly », The
White House, 23 septembre 2009.
http://www.whitehouse.gov/the_press_office/Remarks-by-the-President-to-the-United-Nations-General-Assembly/
(site consulté le 24 septembre 2009).
2
Ibid.
3
The Associated Press,
« Obama Seeks ‘New Beginning’ With Cuba », 17 avril 2009.
4
Macarena Vidal, « Obama ofrece ‘un nuevo comienzo’ en las
relaciones con Cuba »,
EFE, 17 avril 2009.
5
John Dorschner & Monica Hatcher, « Liberan a los viajes a
Cuba », El Nuevo Herald,
13 avril 2009.
6
Matthew Lee & Paul Haven, « US, Cuba Held Unannounced Talks »,
30 septembre 2009.
7
El Duende, « Una
americana cantando con Juanes », 30 septembre 2009.
8
Office of Foreign Assets
Control (OFAC), « Release of Civil Penalties Information »,
septembre 2009,
www.treas.gov/offices/enforcement/ofac/actions/index.shtlm
(site consulté le 5 octobre 2009).
9
Ginger Thomson, « U.S. Official Meets With Cuban Authorities »,
The New York Times,
30 septembre 2009.
10
Oficina de Ricardo Alarcón de Quesada, 22 septembre 2009 ;
Agence France Presse,
« Cuba asegura que EEUU impidió viaje de 30 científicos », 23
septembre 2009 ; Agencia
Cubana de Noticias, « Washington Bans Orthopedics Doctors
From Attending Event in Cuba », 22 septembre 2009 ; Jim Abrams,
« Senador intercede por permiso de viaje para la Filarmónica de
NY », The Associated
Press, 5 octobre 2009.
11
Jim Abrams, « Senador intercede por permiso de viaje para la
Filarmónica de NY », op.
cit.
12
María Pena, « Piden al Congreso eliminar restricciones de viajes
de estadounidenses a Cuba »,
EFE, 1er
octobre 2009.
13
Ibid.
14
Mauricio Vicent, « Cuba
dice que Obama no ha tocado el embargo »,
El País¸ 16 septembre
2009.
15
Barack Obama, « Remarks
By the President of the United States to the United Nations
General Assembly », op.
cit.
16
Salim Lamrani, Cuba : ce
que les medias ne vous diront jamais (Paris :
Editions Estrella, 2009), pp. 121-133.
17
Christopher Hitchens, « What Was Bill Thinking ? »,
Newsweek, 24
septembre 2009.
http://www.newsweek.com/id/216052/
(site consulté le 5 octobre 2009).
18
Salim Lamrani, Cuba : ce
que les medias ne vous diront jamais,
op. cit., pp.
145-154.
19
Ibid., pp. 135-144.
20
Ibid.,
pp. 107-120.
21
Ibid.,
pp. 79-105.
Salim Lamrani est enseignant chargé de
cours à l’Université Paris-Sorbonne-Paris IV et l’Université
Paris-Est Marne-la-Vallée et journaliste français, spécialiste
des relations entre Cuba et les Etats-Unis. Son nouvel ouvrage
s’intitule Cuba. Ce que
les médias ne vous diront jamais (Paris : Editions Estrella,
2009).
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr
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