Venezuela
Souveraineté
pétrolière, réformes sociales et indépendance financière au
Venezuela
Salim Lamrani
13 mai 2007
Le 1er mai 2007, le gouvernement vénézuélien a récupéré
sa souveraineté énergétique en procédant à la nationalisation
de la Bande pétrolifère de l’Orénoque, économiquement très
lucrative et qui contient les plus importantes réserves
mondiales. Désormais, l’entreprise pétrolière d’Etat Petroleos
de Venezuela SA (PDVSA) contrôlera au moins 60% des opérations
de la région. Les multinationales étrangères auparavant en
charge du domaine, telles que la British Petroleum PLC, Exxon
Mobil, Chevron, ConocoPhillips, Total et Statoil ASA, pourront
participer à l’extraction de pétrole mais seulement en tant
que partenaires minoritaires1.
L’ouverture pétrolière au capital étranger, initiée
il y a plus de 10 ans, avait entraîné une saignée économique
sans précédent au sein du pays, avec des conséquences sociales
désastreuses. Les profits faramineux effectués par les
transnationales étaient constamment rapatriés et ne servaient
nullement au développement de la nation. De plus, l’Etat a
perdu plusieurs dizaines de millions de dollars car les
entreprises pétrolières privées ne payaient pratiquement aucun
impôt. En effet, la taxe sur le profit pendant les années 1980
et 1990 était incroyablement basse et ne dépassait pas 1%. A
titre de comparaison, au début du 20ème siècle, sous
le gouvernement de Juan Vicente Gómez, l’impôt était déjà
de 3%2.
« Les gouvernements de la quatrième République,
l’élite qui a gouverné le Venezuela dans les années 1980 et
1990 [qui] a offert ces zones où il n’y a aucun type de risque
pour l’exploitation du pétrole » sont les principaux
responsables de la spoliation du pays et de la violation de la « souveraineté
nationale », a dénoncé le Président Hugo Chávez3.
« Nous avons enfin enterré 10 ans d’ouverture pétrolière »,
a-t-il ajouté. Dorénavant, les ressources naturelles de la région
ne seront plus destinées à enrichir les actionnaires des
multinationales mais à construire le « socialisme du 21ème
siècle ». « Aujourd’hui, c’est la fin de
l’époque où nos richesses naturelles finissaient toujours dans
les mains de tous sauf du peuple vénézuelien4 »,
a conclu le leader bolivarien, ajoutant qu’il ne pouvait y avoir
de projet national si le pays n’avait pas le contrôle de ses
richesses, de ses ressources naturelles et de son économie5.
Le président du Venezuela a également annoncé que les
multinationales pourraient être traduites en justice pour avoir
violé les accords signés en procédant à l’extraction du pétrole
hors des zones définies, et en n’utilisant pas la vapeur
d’eau à cet effet. Ces infractions ont « causé un préjudice
très grave au patrimoine national » selon le
gouvernement. PDVSA ne peut désormais plus extraire du pétrole
dans certains puits car les conditions initiales de pression et de
températures n’existent plus. Les transnationales étrangères « puisaient
7% [du pétrole présent] et changeaient de puits, et ainsi de
suite, occupant même dans certains cas plus du double de
l’extension territoriale convenue dans le contrat, sans en
informer personne, sans payer un centime », a souligné
Chávez6.
Ces nouvelles nationalisations permettent désormais au
pays de disposer de plus de 400 000 barils de pétrole de
plus par jour produit la Bande pétrolifère de l’Orénoque,
dont la capacité est de 600 000 barils quotidiens. « Jusqu’à
présent, nous ne pouvions pas disposer de ces barils. Ces
entreprises nous payaient une misère et emportaient le pétrole »,
notait le président, indiquant au passage que ce temps était désormais
révolu. Ces nouvelles ressources énergétiques renforcent considérablement
le pouvoir économique du pays et vont substantiellement améliorer
le niveau de vie de la population7.
Lutte contre le latifundio et promotion de
l’agriculture
Depuis sa première élection en 1998 et conformément à
la Constitution, le gouvernement Chávez a récupéré près de 2
millions d’hectares, soit 28,74% des terres productives, aux
latifundiaires sur les 6,5 millions d’hectares qui doivent être
nationalisés. L’objectif est de développer le domaine de
l’agriculture et d’atteindre une certaine souveraineté
alimentaire. 49% des terres récupérées ont été redistribuées
aux paysans, 40% sont destinées à des projets stratégiques et
11% ont été remises à des coopératives. Le pays dispose
d’une superficie agricole globale de 30 millions d’hectares
dont la majeure partie est concentrée entre les mains de gros
propriétaires8.
A
Hato Calleja, dans l’Etat de Barinas, un seul individu occupait
24 800 hectares de terres fertiles quasiment laissées à
l’abandon. Le président de la nation a souligné que cette
situation était inacceptable : « Ce sont des
latifundios, des terres fertiles et improductives. Ceci est un
attentat contre l’intérêt national, cela viole la Constitution
et tous les principes de la justice, du droit, de la sécurité et
de la souveraineté du pays9 ».
En mars 2007, le nouveau Plan intégral de développement
agricole a été lancé avec comme objectif d’atteindre la
pleine souveraineté alimentaire au sein du pays. L’accent a été
mis sur la culture du riz, de la canne à sucre, du cacao, du café,
de l’élevage, de la pêche et de l’apiculture, du coton, des
tubercules et des fruits et légumes. Chávez a expliqué que
l’idée était « d’impulser le nouveau modèle de
production sur la base des principes du socialisme agraire et de
la propriété sociale10 ».
Protection de l’environnement
Parallèlement à cela, le Ministère de l’Environnement
a entrepris une politique d’assainissement des bassins fluviaux
afin de généraliser l’accès à l’eau potable à
l’ensemble de la population. Les côtes et les plages seront également
nettoyées afin de favoriser le tourisme, promouvoir l’activité
économique et surtout améliorer la qualité de vie des Vénézuéliens.
Ces mesures s’inscrivent dans la continuité des réformes adoptées
depuis l’arrivée de Hugo Chávez au pouvoir. En 1998, 80% des
habitants des villes avaient accès à l’eau potable. Ils sont désormais
92% grâce aux énormes investissements effectués dans ce
secteur. Au niveau rural, des efforts ont également été
accomplis passant de 55% en 1998 à 71% en 200611.
Depuis 1998, le traitement des eaux usées est passé de
10% à 25%. Certains Etats avant-gardistes comme Nueva Esparta et
Isla Margarita atteignent un chiffre de 92% dans ce domaine. Le
Venezuela dispose désormais de plus de 100 usines de dépuration.
De plus, un grand projet a été mis en place afin de nettoyer les
grands lacs du pays tels que ceux de Valencia et Maracaibo12.
Réformes sociales
A l’occasion de la fête du travail du 1er mai
2007, le président de la République Bolivarienne du Venezuela a
annoncé une hausse spectaculaire de 20% du salaire minimum, qui
devient désormais le plus élevé du continent latino-américain
avec 286 dollars mensuels. Même au Chili, considéré comme le
modèle économique néolibéral, le salaire minimum n’est que
de 250 dollars. Dans de nombreux pays du continent, le revenu
minimum n’atteint même pas 100 dollars. Contrairement aux précédents
gouvernements, Chávez a régulièrement augmenté le revenu de
base depuis 1998 où il stagnait à 118 dollars. Puis il est passé
à 154 dollars en 2003 malgré le terrible sabotage pétrolier
orchestré par l’opposition qui a coûté plus de 10 milliards
de dollars à l’économie de la nation. Enfin, en 2005, il a
atteint 192 dollars13.
A titre de comparaison, sous la 4ème République,
le salaire de base, dans le meilleur des cas, stagnait et parfois
même diminuait. En 1996, alors que l’inflation du pays avait
atteint un taux vertigineux de 100%, le salaire minimum était de
36 dollars seulement, alors qu’en 1994, il était de 101 dollars
et en 1992 de 132 dollars14.
De plus, les adultes d’un certain âge n’ayant jamais
travaillé disposeront d’un revenu de protection équivalent à
60% du salaire minimum. Les femmes seules ainsi que les personnes
handicapées recevront une allocation équivalente à 80% du
salaire minimum. Les mères au foyer âgées de 61 ans recevront désormais
une pension complète avec une priorité donnée aux plus pauvres.
En plus de la hausse du salaire de base et des aides envers les défavorisés,
le gouvernement bolivarien a prévu de réduire le temps de
travail à 6 heures par jour et 36 heures hebdomadaires à partir
de 2010 sans diminution de salaire. Cet important progrès social
est le symbole de la volonté du gouvernement Chávez d’améliorer
le sort des plus déshérités15.
Le président Chávez a également annoncé que l’Etat
procèderait au paiement rétroactif des pensions pour l’année
2006. Cette mesure devrait bénéficier à près de 88 000
retraités. Le service de sécurité sociale disposait de comptes
de pensions congelés depuis 10 ans. Le leader bolivarien s’est
insurgé contre cette situation : « Cela fait partie
de la remise en ordre nationale et la lutte contre tant de vices
et de corruption existants dans le secteur public et privé16 ».
Au niveau de l’éducation, le gouvernement inaugurera près
de 2 379 nouvelles écoles bolivariennes à travers le pays
en 2007. Ces installations viendront s’ajouter aux 5 875 écoles
bolivariennes déjà existantes sur le territoire national. « Nous
devons fournir les plus grands efforts possibles pour le thème éducatif »
car, comme le soulignait Simón Bolívar, « les nations
marcheront vers la grandeur avec le même pas que marchent leur éducation »,
notait Hugo Chávez. Pour lui, l’école doit être l’épicentre
du travail social et communautaire17.
L’universalisation de l’accès à l’éducation élaborée
depuis 1998 a eu des résultats exceptionnels. En 2007, le
Venezuela compte près de 12,7 millions d’enfants scolarisés
sur une population de 26 millions d’habitants. Le nombre
d’inscrits n’a cessé d’augmenter depuis l’arrivée de Chávez
au pouvoir. En 2001, il était de 6,9 millions ; en 2002, il
a atteint le chiffre de 9,5 millions pour se stabiliser à 11,3
millions en 2004. En 2005, il y avait 11,8 millions de scolarisés
et 12,1 millions en 2006. Cette augmentation régulière et
massive souligne l’efficacité de la politique éducative du
gouvernement bolivarien. La massification de l’éducation a également
été accompagnée par une sensible amélioration de la qualité
de l’enseignement18.
La faillite du FMI et de la Banque
mondiale et l’espoir de la Banque du Sud
Le 13 avril 2007, Anoop Singh, Directeur du département
pour l’Hémisphère occidental du FMI a fait part de sa volonté
de rencontrer le gouvernement vénézuélien afin de discuter du
problème de l’inflation qui frappe le pays : « Je
voudrais non seulement faire une recommandation mais également
avoir une discussion avec les autorités ». Mais il est
peu probable que le désir de Singh soit assouvi19.
En
effet, le FMI est le principal responsable des crises dramatiques
qui ont ravagé les économies latino-américaines dans les années
1990 et 2000. Censé officiellement « lutter contre la
pauvreté », il ne fait en réalité que perpétrer la
colonisation économique dont sont victimes les pays sous-développés.
Les accords signés avec l’organisation internationale et les
plans d’ajustement structurel imposés ont ruiné les
populations du continent. Ses prêts à taux d’usurier, au lieu
de développer l’économie, ne servaient qu’à piller les
richesses de ces nations au bord de l’abîme, écrasées par une
dette illégitime et impayable.
De
plus, ses recettes draconiennes, qui constituent un affront
inacceptable à la souveraineté des nations latino-américaines,
sont la cause du désastre économique, social et humain qui
frappe le Nouveau monde. Le FMI est désormais une institution
honnie sur le continent et ne dispose quasiment plus d’aucune
influence. En effet, contrôlé en majorité par Washingon et
utilisé pour promouvoir les intérêts des multinationales étasuniennes,
il a perdu toute crédibilité.
La banqueroute du FMI et de la Banque mondiale est telle
que le Venezuela, qui a remboursé toutes ses dettes vis-à-vis de
ces institutions, vient de formaliser son retrait de ces entités.
« Messieurs de la Banque mondiale, messieurs du Fonds monétaire
international, au revoir. Le Venezuela est libre et souverain »,
a annoncé Rodrigo Cabezas, ministre des Finances. En remboursant
par anticipation sa dette qui courrait jusqu’en 2012, le pays a
économisé 8 millions de dollars. Le FMI a d’ailleurs fermé
ses bureaux au Venezuela à la fin de l’année 2006. « Nous
fermons un cycle historique d’endettement avec les organismes
multilatéraux », a ajouté Cabezas20.
Les plans d’ajustement structurel imposés par le FMI en
1989 au Venezuela avaient entraîné une inflation sans précédents
et une misère qui avait, à son tour, amené la population au désespoir.
La seule réponse du gouvernement de l’époque avait été
d’envoyer l’armée réprimer férocement le peuple, faisant
des centaines de victimes21.
L’exemple vénézuélien
La décision du Venezuela constitue sans aucun doute un
exemple pour l’Amérique latine et les nations endettées du
Tiers-monde. Le Brésil, l’Argentine et l’Uruguay ont suivi
Caracas en réglant par anticipation leurs dettes au FMI. L’Equateur
est en passe de suivre le même chemin. En plus de cela, le
Venezuela a lancé l’idée de créer à partir de juin 2007 une
Banque du Sud destinée à développer les nations latino-américaines
et à promouvoir une intégration économique régionale.
Contrairement au FMI et à la Banque mondiale, la logique ne sera
plus financière, destructrice et spoliatrice mais émancipatrice,
constructive et solidaire22.
Le président brésilien, Luiz Inacio Lula Da Silva, a
rendu hommage à Hugo Chávez qu’il a qualifié « d’allié
exceptionnel au niveau politique et commercial ». Les
tentatives de l’administration Bush de créer des tensions entre
les deux grandes nations sud-américaines se sont soldées par un
échec. « Avant Chávez, le Venezuela était quasiment
totalement dépendant des Etats-Unis. Hugo Chávez est un président
latino-américain visant à donner une priorité à la question
latino-américaine. Le Venezuela se montre aux yeux du monde comme
un pays souverain, avec un potentiel et une plus grande capacité
d’aider », a salué Lula23.
Le Venezuela constitue la parfaite illustration du
renouveau latino-américain où les peuples ont porté à la tête
de plusieurs nations des leaders représentatifs de l’intérêt
général, avec une réelle volonté politique de mettre un terme
aux inégalités qui dévastent le continent. Au-delà des résultats
extraordinaires qu’a obtenus le gouvernement bolivarien depuis
1998, Chávez est porteur d’une alternative crédible au néolibéralisme
sauvage défendu par Washington. Son influence et son exemple dépassent
les frontières du continent pour inonder le reste du monde et même
certains secteurs des pays développés. C’est ce qui explique
l’obsession frénétique et extrêmement inquiétante de
l’administration Bush vis-à-vis de Caracas.
Notes
1
Associated Press, « Chávez reta a transnacionales
petroleras », 13 avril 2007 ; Agencia Bolivariana de
Noticias, « Venezuela recupera soberanía petrolera
sobre convenios en Faja del Orinoco », 25 avril 2007.
2
Agencia Bolivariana de Noticias, « Apertura petrolera
provocó pérdida de millones de dólares al país », 1 mai
2007.
3
Ibid.
4
Agencia Bolivariana de Noticias, « Venezuela recupera
plena soberanía petrolera », 1 mai 2007.
5
Natalie Obik Pearson, « Gobierno venezolano toma control de
faja petrolera », Assiociated Press, 1 mai 2007.
6
Ibid.
7
Agencia Bolivariana de Noticias, « Chávez: El petróleo
es nuestro gracias a la Revolución Bolivariana », 1 mai
2007.
8
Agencia Bolivariana de Noticias, « Casi 2 millones de
hectáreas han sido recuperadas del latifundismo », 25 mars
2007.
9
Agencia Bolivariana de Noticias, « Chávez: Combate
al latifundio se intensifica con intervención de 16 hatos »,
25 mars 2007.
10
Agencia Bolivariana de Noticias, « Chávez anunció
ejecución de Plan Integral de Desarrollo Agrícola 2007-2008 »,
25 mars 2007.
11
Agencia Bolivariana de Noticias, « Venezuela sanea
las cuencas de sus ríos para reducir escasez de agua », 21
mars 2007.
12
Ibid.
13
Agencia Bolivariana de Noticias, « Venezuela con el
salario mínimo más alto de Latinoamérica », 20 avril
2007.
14
Ibid.
15
Agencia Bolivariana de Noticias, « Jornada laboral de
6 horas a partir de 2010 », 30 avril 2007.
16
Agencia Bolivariana de Noticias, « Presidente anunció
el pago retroactivo de las pensiones del año 2006 », 30
avril 2006.
17
Agencia Bolivariana de Noticias, « Más de 2 mil 300
nuevas escuelas bolivarianas creará el Gobierno en 2007 »,
24 avril 2007.
18
Agencia Bolivariana de Noticias, « Matrícula escolar
llegó a 12,7 millones de estudiantes en 2007 », 24 avril
2007.
19
Nestor Ikeda, « FMI: Argentina y Venezuela deben combatir
inflación », Associated Press, 13 avril 2007.
20
Associated Press, « Venezuela dice ‘chao’ al FMI
y Banco Mundial », 14 avril 2007.
21
Ibid.
22
Ibid.
23
Associated Press, « Lula : Chávez es un aliado
excepcional », 26 avril 2007.
|