Opinion
L'immigration en
France
De la rhétorique xénophobe à la réalité
des chiffres
Salim
Lamrani
© Salim
Lamrani
Lundi 11 juin 2012
Opera Mundi
http://operamundi.uol.com.br/...
En France, l’instrumentalisation de la
question migratoire a historiquement été
le fait de l’extrême droite. Désormais,
la digue républicaine a été rompue par
la droite traditionnelle qui n’hésite
plus à reprendre cette thématique et à
stigmatiser les immigrés. Face à ce
discours de conviction ou de
circonstance destiné à désigner un bouc
émissaire à la crise économique et
sociale qui ravage l’Europe, il est
intéressant de confronter la rhétorique
à la réalité des chiffres.
En France, en pleine campagne
électorale pour les législatives du 10
et 17 juin 2012, la droite et l’extrême
droite ont
axé leur discours sur le thème de
l’immigration et la peur de l’étranger.
Marine le Pen, présidente du Front
National (FN - extrême droite) et
l’Union pour un Mouvement Populaire (UMP
- droite) sont unanimes à ce sujet : le
principal problème de la France serait
l’immigré, responsable des difficultés
économiques et sociales du pays,
à savoir le déficit public et le
chômage.
De façon classique, Marine le Pen
accuse l’immigration, officiellement
évaluée à 200 000 entrées par an, d’être
responsable de tous les maux :
« L’immigration représente un coût
important pour la communauté nationale[1] ».
Elle s’est donc engagée à la réduire de
95%, c'est-à-dire à la limiter à 10 000
entrées par an[2].
Lors de la campagne présidentielle, le
candidat de l’UMP, Nicolas Sarkozy, dont
le conseiller privilégié Patrick Buisson
est un transfuge de l’extrême droite,
n’avait pas hésité à reprendre le
discours de l’extrême droite et à
dénoncer l’invasion migratoire en
provenance d’Afrique : « Si les
frontières extérieures de l’Europe ne
sont pas protégées contre une
immigration incontrôlée, contre les
concurrences déloyales, contre les
dumpings, il n’y aura pas de nouveau
modèle français et il n’y aura plus de
civilisation européenne. Si nous avons
fait l’Europe, c’est pour être protégés,
pas pour laisser détruire notre identité
et notre civilisation[3] ».
Pour l’UMP, les problèmes de la France
s’expliqueraient par la présence trop
nombreuse de la population étrangère en
France. Le président-candidat Sarkozy
avait insisté à ce sujet : « Nous
subissons les conséquences de cinquante
années d’immigration[4] ».
Selon l’UMP, qui s’est engagé à diminuer
par deux le chiffre de l’immigration
légale[5],
« il y a trop d’immigrés en France[6] ».
Les chiffres de l’immigration
Ainsi, selon les thuriféraires de
« l’identité nationale », le chômage et
les déficits publics seraient dus au
nombre trop élevé d’immigrés en France.
Il convient à présent d’analyser les
chiffres de l’immigration légale afin
d’évaluer la validité de cette
assertion.
Tout d’abord, contrairement à ce
qu’affirme Marine le Pen, la France
n’est pas la première destination des
immigrants en Europe mais la cinquième,
derrière le Royaume-Uni, l’Italie,
l’Espagne et l’Allemagne[7].
Par ailleurs, l’immigration européenne,
le regroupement familial et les
étudiants étrangers représentent 80% de
l’immigration totale en France. Il est
ainsi impossible pour l’Etat français
d’agir sur les deux premiers groupes
sans contrevenir aux conventions
internationales et notamment à la
Convention européenne des droits de
l’homme pour ce qui est du regroupement
familial. La seule marge de manœuvre
possible concerne le nombre d’étudiants.
Or il est difficile d’imaginer la nation
française fermer ses portes à cette
catégorie et à se priver ainsi de ce qui
fait son rayonnement international, à
savoir l’attractivité de ses
universités. En effet, 41% des
doctorants en France sont des étudiants
étrangers[8].
Selon les chiffres de l’Office français
pour l’immigration et l’intégration,
parmi les 203 017 étrangers (hors Union
européenne) accueillis en 2010, se
trouvaient 84 126 personnes concernées
par le regroupement familial (41,4%),
65 842 étudiants (32,4%) et 31 152
immigrés économiques (26,2%). On
découvre ainsi que l’immigration
économique n’arrive qu’en troisième
position[9].
En réalité, l’immigration est une
nécessité économique pour la France. En
effet, les allégations concernant
l’impact négatif des flux migratoires
sur l’économie française (chômage et
déficit) sont contredites par la réalité
des statistiques. Une étude du Ministère
des Affaires sociales portant sur le
coût de l’immigration sur l’économie
nationale révèle que les immigrés, loin
de plomber le budget des prestations
sociales, rapportent chaque année aux
finances publiques la somme de 12,4
milliards d’euros, contribuant ainsi à
l’équilibre du budget national et au
paiement des retraites. Ainsi, ces
derniers reçoivent de l’Etat 47,9
milliards d’euros (retraites, aides au
logement, RMI, allocations chômage,
allocations familiales, prestations de
santé, éducation) et versent 60,3
milliards (cotisations sociales, impôts
et taxes à la consommation, impôts sur
le revenus, impôts sur le patrimoine,
impôts locaux, contribution au
remboursement de la dette sociale – CRDS
et contribution sociale généralisée –
CSG). Ce solde amplement positif détruit
l’argumentaire du FN et de l’UMP au
sujet de l’immigration[10].
Les professeurs Xavier Chojnicki
et Lionel Ragot, auteurs de l’étude, se
montrent même favorables à une
« politique migratoire plus ambitieuse »
laquelle « contribuerait à une réduction
du fardeau fiscal du vieillissement
démographique » :
L’immigration a bien des effets sur les
finances de la protection sociale en
France. Ceux-ci sont globalement
positifs. […] L’immigration, telle
qu’elle est projetée dans les prévisions
officielles, réduit le fardeau fiscal du
vieillissement démographique. En son
absence, le besoin de financement de la
protection sociale à l’horizon du siècle
augmente de 2 points de PIB, passant de
3% à environ 5% du PIB[11].
En outre, selon cette étude, il
convient d’ajouter à ce solde positif
net de 12 milliards d’euros par an
d’autres revenus non monétaires d’une
grande importance économique et sociale.
Ainsi, les 5,3 millions de résidents
étrangers établis en France (11% de la
population) occupent dans leur immense
majorité des emplois dont les Français
ne veulent pas. Par ailleurs, 90% des
autoroutes ont été construites et sont
entretenues avec de la main-d’œuvre
étrangère. Enfin, les prix à la
consommation pour les produits
agricoles, par exemple, seraient bien
plus élevés sans les immigrés, ces
derniers recevant souvent un salaire
inférieur à celui des citoyens français[12].
De la même manière, dans le
domaine de la santé, plus de la moitié
des médecins hospitaliers présents dans
les banlieues françaises sont d’origine
étrangère. Il en est de même dans
d’autres secteurs. Ainsi, 42% du
personnel des entreprises de nettoyage
est issu de l’immigration et 60% des
ateliers de mécanique automobile de la
région parisienne appartiennent à des
entrepreneurs étrangers[13].
Le Comité d’orientation des
retraites note, au contraire, que
« l’entrée de 50 000 nouveaux immigrés
par an permettrait de réduire de 0,5
point de PIB le déficit des retraites[14] ».
L'Organisation de coopération et
de développement économique (OCDE), qui
regroupe les 34 pays les plus
développés, estime de son côté que les
immigrés jouent un
« rôle décisif dans la croissance
économique à long terme[15] ».
Ainsi, la rhétorique xénophobe
visant à stigmatiser les populations
issues de la diversité ethnique de la
planète ne résiste pas un seul instant à
l’analyse scientifique. L’immigration,
loin d’être un fléau pour la société
française, est au contraire une
nécessité économique vitale.
Le Front de Gauche contre le Front
National
Le Front de Gauche (FDG), qui est
devenu en l’espace de trois ans la
quatrième force politique du pays,
dénonce ouvertement la stigmatisation
des populations immigrées et affronte le
FN et l’UMP sur ce terrain. Jean-Luc
Mélenchon, porte-parole du FDG, a
condamné les positions de la droite et
de l’extrême droite : « Le problème de
la France, ce n’est pas l’immigré, c’est
le financier. Ce n’est pas l’immigré qui
ferme l’usine. Ce n’est pas l’immigré
qui condamne les autres à la pauvreté.
C’est le capital financier et ses chiens
de garde du Front national[16] ».
Dans son rapport annuel, la
Commission européenne contre le racisme
et l’intolérance, organe du Conseil de
l’Europe, a dénoncé la banalisation du
discours hostile aux immigrés de la part
des hommes politiques. « La réduction
des prestations sociales, la diminution
des offres d’emploi et l’augmentation
conséquente de l’intolérance à l’égard
des groupes d’immigrés et des minorités
historiques » constituent des
« tendances inquiétantes[17] ».
Au lieu d’aborder les questions
fondamentales du partage des richesses
et de la réduction des inégalités
économiques et sociales, l’extrême
droite française – désormais rejointe
par la droite – préfère surfer sur la
haine de l’étranger. En se basant sur
des convictions racistes, elles
stigmatisent ainsi une population,
nommément celle originaire d’Afrique du
nord et d’Afrique subsaharienne, et la
rendent – à tort – responsable des
ravages engendrés par l’application
dogmatique de la doctrine ultralibérale.
Docteur ès Etudes Ibériques et
Latino-américaines de l’Université Paris
Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est
enseignant chargé de cours à
l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, et
l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée,
et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son dernier ouvrage s’intitule
État de siège. Les sanctions économiques
des Etats-Unis contre Cuba, Paris,
Éditions Estrella, 2011 (prologue de
Wayne S. Smith et préface de Paul
Estrade).
Contact :
Salim.Lamrani@univ-mlv.fr
;
lamranisalim@yahoo.fr
Page Facebook :
https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel
[2]
Samuel Laurent, « Sarkozy-Le
Pen : ce que rapproche leurs
programmes, ce qui les sépare »,
Le Monde, 26 avril 2012.
[5]
Le Point, « Sarkozy répète
qu’il y a ‘trop’ d’immigrés en
France », 1er mai
2012.
[6]
Le Monde, « ‘Il y a trop
d’immigrés en France’, a déclaré
Sarkozy sur RMC/BFMTV », 1er
mai 2012.
[7]
Cédric Mathiot, « Non, la France
n’est pas le pays d’Europe qui
accueille le plus
d’immigration »,
Libération, 28 mars 2012.
[8]
Le Monde, « Les étudiants
étrangers constituent 41% des
doctorants en France », 31 mai
2012.
[11]
Xavier Chojnicki et Lionel
Ragot, « Immigration,
vieillissement démographique et
financement de la protection
sociale : une évaluation par
l’équilibre général calculable
appliqué à la France »,
Centre d’études prospectives et
d’informations internationales,
mai 2011, n° 2011-13, p. 41.
http://www.cepii.fr/francgraph/doctravail/pdf/2011/dt2011-13.pdf
(site consulté le 2 juin 2012)
[12]
Juan Pedro Quiñonero, « Les très
bons comptes de l’immigration »,
op. cit
[17]
Le Monde, « Le Conseil de
l’Europe s’alarme de la montée
des discours xénophobes », 3 mai
2012.
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