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La Havane
Une congressiste étasunienne appelle à
l’assassinat de Fidel Castro
Salim Lamrani
L’aversion
de l’administration étasunienne et des Républicains vis-à-vis
du gouvernement de La Havane ne connaît pas de limites. « J’approuve
la possibilité de voir quelqu’un assassiner Fidel Castro ».
Voilà les propos qu’a tenus Ileana Ros-Lehtinen, la
congressiste républicaine de Floride en mars 2006 dans son bureau
à Washington, lors d’une interview pour le documentaire
britannique 638 Ways to Kill Castro. Cet appel au magnicide
d’un chef d’Etat n’est pas le fait d’un quelconque illuminé
nostalgique de l’époque de Batista : il a été lancé par
la vice-présidente du Comité des relations internationales de la
Chambre des Représentants1.
« Le jour où Fidel Castro mourra sera un jour que
tous les Cubains qui aiment la liberté célèbreront. Cela fait
des années que je dis cela et je n’ai aucune honte de mes
propos », a renchéri l’élue de Miami, d’origine
cubaine. « J’ai toujours dit la même chose, cela vient
du cœur […]. Je veux qu’il disparaisse de la scène mondiale,
[je veux le voir] six pieds sous terre […]. Si quelqu’un le
faisait [l’assassinait], je ne pleurerais pas une larme […].
[Au contraire], je serais heureuse de sa mort »,
a-t-elle ajouté2.
Originaire
de La Havane, Ileana Ros-Lehtinen a souligné qu’elle était
disposée à retourner à Cuba un jour, « même si cela
sous-entend que quelqu’un tuerait Fidel Castro ou renverserait
son gouvernement3 ».
Face au scandale suscité par ses déclarations surréalistes,
Ros-Lehtinen s’est d’abord rétractée en accusant le
directeur Dollan Cannell de s’être rendu coupable d’un
montage et d’avoir déformé ses propos. « C’est
tourné d’une façon à donner au téléspectateur une fausse
impression », a déclaré Ros-Lehtinen. « Personne
ne préconise l’assassinat », s’est-elle défendue,
soulignant qu’il s’agissait d’une fausse vidéo4.
Plusieurs
déclarations contradictoires se sont succédées et ont montré
un manque évident de coordination entre la congressiste et son
attaché de presse. Alex Cruz, son porte-parole, a affirmé
qu’elle n’avait jamais lancé d’appel au meurtre : « Ce
qui doit être clair est qu’elle ne veut pas qu’il [Castro]
vive un jour de plus […], mais elle n’appelle pas à son
assassinat ». Ros-Lehtinen se montrait plus circonspecte
en admettant avoir sans doute déjà fait référence par le passé
au magnicide du président cubain5.
Dollan Cannell a rejeté les allégations de la présidente
du groupe républicain au Comité des relations internationales
contre son intégrité professionnelle. « [Ses propos]
n’ont été altérés d’aucune façon. Je suis déconcerté
par son accusation », a-t-il certifié6. « Ileana
Ros-Lehtinen a lancé une accusation très sérieuse contre l’équipe
qui a fait le film. Vous ne pouvez pas être plus sérieux que
cela en terme d’accusation de faute professionnelle grave »,
a souligné Cannel. Pour prouver sa bonne foi, le réalisateur a
fait parvenir à la presse une version complète de l’interview
dans laquelle Ros-Lehtinen réitère deux fois son souhait de voir
le président cubain assassiné. « Son accusation est
complètement [et] totalement fausse. Je souhaiterais qu’elle
revienne sur ses propos et qu’elle présente ses excuses »,
a-t-il conclu7.
L’indignation du cinéaste britannique, célèbre pour
son œuvre et son professionnalisme qui lui ont valu un Emmy
Award, a conduit Ileana Ros-Lehtinen à reconnaître ses
propres propos. Alex Cruz a admis que la représentante républicaine
avait effectivement lancé un appel au meurtre contre Fidel
Castro. « Oui, c’est dans le documentaire, elle a dit
cela », a-t-il avoué8. Cédant aux pressions
des médias qui lui reprochaient son manque de courage,
Ros-Lehtinen a finalement accepté d’assumer personnellement ses
paroles : « Si ces mots se trouvent dans [le
documentaire], alors je les ai dits ». Elle a cependant
tenu à réaffirmer son souhait de « voir Castro mourir8 ».
Cette
nouvelle affaire a porté un sérieux coup à la crédibilité de
Ros-Lehtinen et ternie encore plus son image déjà désastreuse.
Par le passé, elle avait milité avec succès pour la libération
du terroriste notoire Orlando Bosch (gracié par le président
George H. Bush en 1989), et exige toujours la mise en liberté du
criminel international Luis Posada Carriles, responsable de
l’explosion de l’avion de Cubana de Aviación le 6
octobre 1976 qui a coûté la vie à 73 innocents. Quant à
l’administration Bush et au Parti républicain, leaders mondiaux
de la « guerre contre le terrorisme », ils
n’ont émis aucune déclaration et n’ont condamné pas les
propos de la congressiste qui a pourtant lancé un appel en faveur
de la réalisation d’un grave acte de terrorisme international.
Décidément, la double morale est devenue la norme en
politique internationale. Les capitales occidentales, si promptes
à emboîter le pas de Washington dès lors qu’il s’agit de
fustiger Cuba, ont observé un étrange mutisme au sujet de ce
scandale qui aurait pris des proportions planétaires s’il
s’agissait du président étasunien ou d’un président européen.
Aucune chancellerie européenne n’a daigné condamner les propos
inadmissibles de Ileana Ros-Lehtinen, tout comme très peu s’étaient
émus des déclarations du révérend ultraconservateur Pat
Robertson, ami intime du locataire de la Maison-Blanche, lorsque
ce dernier avait appelé, en août 2005, au magnicide du président
vénézuelien Hugo Chávez. Une question : que se
passerait-il si le président de l’Assemblée nationale cubaine
lançait un appel en faveur de l’assassinat de George W. Bush ?
L’Union européenne observerait-elle le même silence ?
Salim Lamrani
Notes
1
Lesney Clark, « Ros-Lehtinen : Kill-Castro Video a
Trick », The Miami Herald, 9 décembre 2006 ; El
Nuevo Herald, « Nombran a Ileana Ros-Lehtinen para
importante posición en el Congreso », 9 décembre 2006, p.
6A.
2
Lesney Clark, op. cit.
3
Pablo Bachelet, « Tape Contradicts Ros-Lehtinen », The
Miami Herald, 20 décembre 2006.
4
Lesney Clark, op. cit.; The New York Times, « Congresswoman
Denies Urging Killing of Castro », 11 décembre 2006,
section A, p. 23.
5
Rui Ferreira, « Ros-Lehtinen Admits Kill-Castro Remark »,
The Miami Herald, 22 décembre 2006.
6
Lesney Clark, « Castro Film Director Denies Altering
Ros-Lehtinen’s Remarks », The Miami Herald, 12 décembre
2006.
7
Pablo Bachelet, op. cit.
8
Associated Press, « Rep. Ileana Ros-Lehtinen (R-Fla.)
Acknowledges
Calling for Fidel Castro’s Assassination », 24 décembre
2006 ; El Nuevo Herald, « Ros-Lehtinen admite
llamado al asesinato de Castro », 23 décembre 2006, p. 6A.
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