Opinion
Cuba ou la mondialisation de la
solidarité (1/3)
L'internationalisme humanitaire cubain
Salim
Lamrani
Lundi 3 juin 2013
Opera Mundi
http://operamundi.uol.com.br/...
Depuis le triomphe de la Révolution en
1959, Cuba a mis en place une politique
de solidarité internationale destinée à
venir en aide aux populations les plus
démunies du Tiers-monde. Les résultats
sont spectaculaires.
Depuis 1963 et l’envoi de la première
mission médicale humanitaire en Algérie,
Cuba s’est engagée à soigner les
populations pauvres à travers la
planète, au nom de la solidarité
internationaliste. Les missions
humanitaires cubaines s’étendent sur
quatre continents et revêtent un
caractère unique. En effet, aucune autre
nation au monde, y compris les plus
développées, n’a tissé un tel réseau de
coopération humanitaire à travers à la
planète. Ainsi, depuis le lancement de
cette politique humanitaire, près de
132 000 médecins cubains et autres
personnels de santé ont bénévolement
œuvré dans 102 pays[1].
Au total, près de 100 millions de
personnes ont été soignées à travers la
planète par les médecins cubains qui ont
ainsi sauvé environ un million de vies.
Actuellement 37 000 collaborateurs
médicaux offrent leurs services près de
70 nations du Tiers Monde[2].
L’aide internationale cubaine
s’étend à dix pays d’Amérique latine et
aux régions sous-développées de la
planète. En octobre 1998, l’ouragan
Mitch avait ravagé l’Amérique centrale
et la Caraïbe. Les chefs d’Etat de la
région lancèrent un appel à la
solidarité internationale. Selon le
Programme des Nations unies pour le
développement (PNUD), Cuba fut la
première à répondre positivement en
annulant la dette du Nicaragua de 50
millions de dollars et en proposant les
services de son personnel de santé[3].
Le Programme Intégral de Santé a alors
été mis en place et élargi à d’autres
continents tels que l’Afrique ou l’Asie.
Le PNUD note une amélioration de tous
les indicateurs de santé, notamment une
baisse notable du taux de mortalité
infantile, dans les régions où il est
appliqué[4].
L’Alliance bolivarienne pour les peuples
de notre Amérique (ALBA)
Le premier pays bénéficiaire du capital
humain cubain a logiquement été le
Venezuela, grâce à l’élection de Hugo
Chávez en 1998 et à la relation spéciale
établie avec Cuba.
L’universalisation de l’accès à
l’éducation élaborée depuis 1998 a eu
des résultats exceptionnels. Près de 1,5
millions de Vénézuéliens ont appris à
lire, écrire et compter grâce à la
campagne d’alphabétisation, nommée
Mission Robinson I. En décembre
2005, l’UNESCO a décrété que
l’illettrisme avait été éradiqué au
Venezuela. La Mission Robinson II
a été lancée afin d’amener l’ensemble de
la population à atteindre le niveau du
collège. A cela s’ajoutent les Missions
Ribas et Sucre qui ont
permis à plusieurs dizaines de milliers
de jeunes adultes d’entreprendre des
études universitaires. En 2010, 97% des
enfants vénézuéliens étaient scolarisés[5].
Au niveau de la santé, le Système
national public de santé a été créé afin
de garantir l’accès gratuit aux soins à
tous les Vénézuéliens. La Mission
Barrio Adentro I a permis de
réaliser 300 millions de consultations
dans les 4 469 centres médicaux créés
depuis 1998. Près de 17 millions de
personnes ont ainsi pu être soignées,
alors qu’en 1998, moins de 3 millions de
personnes avaient un accès régulier aux
soins. Plus de 1,7 millions de personnes
ont été sauvées entre 2003 et 2011. Le
taux de mortalité infantile a été réduit
à moins de 10 pour mille[6].
Au classement de l’Indice de
développement humain (IDH) du Programme
des Nations unies pour le développement
(PNUD), le Venezuela est passé du 83ème
rang en 2000 (0,656) au 73ème
rang en 2011 (0,735), intégrant ainsi la
catégorie des nations à l’IDH élevé[7].
De même, selon le PNUD, le Venezuela,
qui dispose du coefficient de Gini le
plus bas d’Amérique latine, est le pays
de la région où il y a le moins
d’inégalités.[8]
Luis Alberto Matos, économiste expert en
énergie, souligne la « coopération
emblématique » entre Cuba et le
Venezuela : « Qui peut nier l’immense
contribution de ce pays en faveur du
Venezuela dans l’amélioration des
domaines de la santé, de l’agriculture
et du sport, sans oublier la culture[9] ? »
Grâce à l’ALBA et au programme
social lancé par le gouvernement d’Evo
Morales, entre 2006 et juillet 2011, la
Brigade médicale cubaine présente en
Bolivie a soigné plus de 48 millions de
personnes et a sauvé 49 821 vies[10].
La Bolivie a ainsi pu améliorer ses
indicateurs de santé avec une baisse de
la mortalité infantile de 58 pour 1000
en 2007 à 51 pour 1000 en 2009[11],
soit une réduction de près de 14% en
trois ans. Entre 2006 et 2009, près de
545 centres de santé ont été créés à
travers le pays. Au niveau de
l’éducation, la Bolivie a été déclarée
territoire libre d’analphabétisme le 20
décembre 2008 par l’UNESCO avec
l’alphabétisation de 824 000 personnes.
Près de 1 540 établissements scolaires
ont été construits. En ce qui concerne
l’enseignement supérieur, trois
universités indigènes ont été créées. La
pauvreté extrême a été réduite de 6%,
passant de 37,8% à 31,8%[12].
Au Nicaragua, le programme « Yo,
sí puedo » a permis à l’Unesco de
déclarer le pays libre d’analphabétisme
en 2009. Grâce à l’ALBA, le Nicaragua a
également pu résoudre sa grave crise
énergétique qui provoquait parfois des
ruptures de courant 16 heures par jour.
Plusieurs hôpitaux intégralement équipés
ont été construits à travers le
territoire national avec un accès
gratuit aux soins pour toute la
population, et ils fonctionnent en
partie grâce à la présence du personnel
médical cubain[13].
En Equateur, l’arrivée au pouvoir
de Rafael Correa en 2006 a également
entraîné une révolution sociale sans
précédent. Ainsi, le budget de la santé
est passé de 437 millions de dollars en
2006 à 3,43 milliards en 2010. Le budget
de l’éducation est passé de 235 millions
en 2006 à 940,7 millions en 2010. Le
taux de scolarisation jusqu’au niveau du
baccalauréat du quintile le plus pauvre
est passé de 30% à 40% entre 2006 et
2010. La couverture du panier de la
ménagère est passée de 68% à 89%. La
pauvreté a baissé de 7% sur la même
période au niveau national et de 13%
pour les Afro-équatoriens, sortant ainsi
de la pauvreté 700 000 personnes sur les
5 millions d’indigents que comptait la
nation en 2006[14].
L’Equateur a prévu d’éradiquer
totalement la malnutrition infantile en
2015, et de rejoindre ainsi Cuba, seul
pays d’Amérique latine et du Tiers-monde
à s’être débarrassé de ce fléau selon
l’UNICEF[15].
La Brigade Henry Reeve
Le 19 septembre 2005, suite à la
tragédie engendrée par l’ouragan Katrina
à la Nouvelle-Orléans, Cuba a créé la
Brigade Henry Reeve[16],
un contingent médical composé de 10 000
professionnels de la santé, spécialisé
dans les catastrophes naturelles. La
Havane avait, à l’époque, offert à
Washington d’envoyer 1 586 médecins
secourir les victimes, mais s’était
heurté au refus du président de l’époque
George W. Bush[17].
La Brigade Henry Reeve est notamment
intervenue sur plusieurs continents.
Ainsi, suite au tremblement de terre qui
avait ravagé le Pakistan en novembre
2005, 2 564 médecins se rendirent sur
place et portèrent secours aux victimes
pendant plus de huit mois. Trente-deux
hôpitaux de campagne furent montés et
furent ensuite offerts aux autorités
sanitaires du pays. Plus de 1 800 000
patients furent soignés et 2 086 vies
furent ainsi sauvées. Aucune autre
nation au monde n’apporta une aide aussi
importante, pas même les Etats-Unis,
principal allié d’Islamabad, qui
n’établirent que deux hôpitaux de
campagne et restèrent sur place huit
semaines[18].
Le journal britannique
The Independent souligna le fait que
la brigade médicale cubaine fut la
première à arriver sur les lieux et la
dernière à quitter le pays[19].
Antérieurement, après le tsunami qui
avait dévasté la région pacifique en
2004, Cuba a dépêché plusieurs missions
humanitaires pour porter assistance aux
victimes, souvent abandonnées par les
autorités locales. Plusieurs zones
rurales de Kiribati, du Sri Lanka ou du
Timor Oriental dépendent encore de
l’aide médicale cubaine[20].
Une école de médecine a même été
inaugurée au Timor Oriental afin de
former de jeunes étudiants du pays. Les
Iles Salomon ainsi que la
Papouasie-Nouvelle-Guinée ont sollicité
La Havane pour bénéficier d’une aide
similaire et signer des accords de
coopération[21].
Après le tremblement de terre survenu en
mai 2006 à Java, en Indonésie, Cuba a
également envoyé plusieurs missions
médicales. Ronny Rockito, coordinateur
régional indonésien pour la santé, a
fait l’éloge du travail des 135
professionnels cubains qui ont installé
deux hôpitaux de campagne. Selon lui,
leur travail a eu un impact plus
important que celui de n’importe quel
autre pays.
« J’apprécie les équipes médicales
cubaines. Leur style est très amical et
leur niveau de soins est très élevé.
Tout est gratuit et il n’y a aucun
soutien de la part de mon gouvernement
dans cela. Nous remercions Fidel Castro.
Beaucoup de villageois ont supplié les
médecins cubains de rester »,
a-t-il souligné[22].
Le cas le plus récent et le plus
emblématique de la coopération médicale
cubaine concerne Haïti. Le tremblement
de terre de janvier 2010, de magnitude
7, a causé de dramatiques dégâts humains
et matériels[23].
Selon les autorités haïtiennes, le
bilan, extrêmement lourd, a été d’au
moins 230 000 morts, 300 000 blessés et
1,2 millions de sans-abris[24].
La brigade médicale cubaine, étant sur
place depuis 1998, a été la première à
porter secours aux victimes et a soigné
près de 40% des victimes[25].
En octobre 2010, des soldats népalais
des Nations unies ont introduit par
inadvertance le virus du choléra à
Haïti. Selon l’ONU, l’épidémie a été
découverte par l’équipe médicale cubaine
du Docteur Jorge Luis Quiñones. Elle a
coûté la vie à 6 600 personnes et en a
infecté 476 000 autres, ce qui
représente près de 5% de la population
sur un total de 10 millions d’habitants.
Il s’agissait du taux de choléra le plus
élevé au monde selon les Nations unies.
Le
New York Times souligne dans un
reportage le rôle-clé des médecins
cubains : « La mission médicale cubaine
qui a joué un rôle important dans la
détection de l’épidémie est toujours
présente à Haïti et reçoit chaque jour
la gratitude des donateurs et des
diplomates pour sa présence sur les
lignes de front et pour ses efforts de
reconstruction du système de santé
délabré du pays[26] ».
De son côté, Paul Farmer, envoyé spécial
de l’ONU, a noté qu’en décembre 2010,
lorsque l’épidémie avait atteint son
sommet avec un taux de mortalité sans
précédent et que le monde avait les yeux
rivés ailleurs, « la moitié des ONG
étaient déjà parties, alors que les
Cubains étaient toujours présents ».
Selon le Ministère de la Santé haïtien,
les médecins cubains ont sauvé plus de
76 000 personnes dans les 67 unités
médicales sous leur responsabilité, avec
seulement 272 décès, c’est-à-dire un
taux de mortalité de 0,36%, contre un
taux de 1,4% dans le reste du pays.
Depuis décembre 2010, aucun décès n’est
survenu chez les patients soignés par
les médecins cubains[27].
Une politique solidaire saluée par les
Nations unies
Selon le PNUD, l’aide humanitaire
cubaine représente proportionnellement
au PIB un pourcentage supérieur à la
moyenne des 18 nations les plus
développées. Le PNUD note dans un
rapport que
La coopération offerte par Cuba
s’inscrit dans un contexte de
coopération Sud-Sud. Elle ne poursuit
pas d’objectif lucratif mais elle est au
contraire offerte comme l’expression
d’un principe de solidarité et, dans la
mesure du possible, à partir de coûts
partagés. […]. Dans la quasi-totalité
des cas, l’aide cubaine a été gratuite,
même si à partir de 1977, avec certains
pays à hauts revenus, principalement
pétroliers, une coopération sous forme
de compensation s’est développée. Le
développement élevé atteint à Cuba dans
les domaines de la santé, de l’éducation
et du sport a fait que la coopération a
concerné ces secteurs, bien qu’il y ait
eu une participation dans d’autres
branches comme la construction, la pêche
et l’agriculture[28].
L’internationalisme humanitaire mis en
place par Cuba démontre que la
solidarité peut être un vecteur
fondamental dans les relations
internationales. Ainsi, une petite
nation du tiers-monde aux ressources
limitées, et victime d’un état de siège
économique sans précédent de la part des
Etats-Unis, arrive à dégager les
ressources nécessaires pour venir en
aide aux plus démunis et offre au monde
l’exemple, comme dirait le Héros
national cubain José Martí, que la
Patrie peut être l’Humanité.
Docteur ès Etudes Ibériques et
Latino-américaines de l’Université Paris
Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est
Maître de conférences à l’Université de
la Réunion et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son dernier ouvrage s’intitule
État de siège. Les sanctions économiques
des Etats-Unis contre Cuba, Paris,
Éditions Estrella, 2011 (prologue de
Wayne S. Smith et préface de Paul
Estrade).
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr ;
Salim.Lamrani@univ-reunion.fr
Page Facebook :
https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel
[1]
Felipe Pérez Roque, « Discurso
del canciller de Cuba en la
ONU », Bohemia Digital, 9
novembre 2006.
[8]
Programa de
Naciones Unidas para el
Desarrollo, « Objetivos de
desarrollo del Milenio en
Venezuela », 2011.
Op. cit.
[14]
Pedro Rioseco, « Ecuador.
Destacan logros de Revolución
Ciudadana en cuatro años »,
Prensa Latina, 31 mai 2011.
[16]
Citoyen étasunien devenu
Brigadier-Général de l’Ejército
Libertador durant la
première guerre d’indépendance
de Cuba entre 1868 et 1878, qui
donna sa vie pour la libération
de l’île.
[17]
Felipe Pérez Roque, « Discurso
del canciller de Cuba en la
ONU », Bohemia Digital, 9
novembre 2006.
[19]
Nina Lakhani, « Cuban Medics in
Haiti Put the World to Shame »,
The Independent, 26 décembre
2010.
[20]
Cubadebate,
« Presentan filme sobre
cooperación cubana en el
Pacífico », 10 novembre 2009.
[21]
Tom Fawthrop, « Impoverished
Cuba Sends Doctors Around the
Globe to Help the Poor », The
Syndney Morning Herald, 28
octobre 2006.
[25]
Nina Lakhani, « Cuban Medics in
Haiti Put the World to Shame »,
op. cit.
[26]
Andrés Martínez Casares, « Cuba
Tales Lead Role in Haiti’s
Cholera Fight »,
The New York Times, 7
novembre 2011.
[27]
Ibid.
Voir
également
Cuba Debate, « Brigada
Médica Cubana en Haití alcanza
records mínimos de tasa de
letalidad por cólera », 5 mars
2011.
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