Opinion
Moyen-Orient :
L'utilisation de la religion pour des
objectifs stratégiques cachés
Roger
Akl
Roger Akl
Lundi 30 avril 2012
Depuis que j’écris
sur la Syrie je dérange beaucoup de mes
camarades français, à tel point que l’un
d’eux m’a blessé au plus profond de
moi-même en m’écrivant :
« Mais comment, toi qui est chrétien,
peux-tu défendre ce ”dictateur” qui
massacre son propre peuple ».
J’ai
beaucoup réfléchi à toutes ces questions
de religions et de politique au
Moyen-Orient, d’instrumentalisations
religieuses à buts stratégiques et
politiques par des États occidentaux
supposés chrétiens, qui agissent en
États athées, excitant les fanatismes et
s’alliant avec les théocraties
islamiques du Golfe pour renverser des
chefs d’État arabes laïques, tandis
qu’en Occident, ils excitent les
populations contre l’Islam présenté
comme religion fanatique. Tout en
encourageant parallèlement les riches
autorités du Wahhabisme pétrolier à
envahir le monde occidental et arabe et
à y répandre les thèses extrémistes de
l’Islam [1]
Révoltes arabes,
intégrismes et prix du pétrole
Il
faut se rappeler que, depuis que Nixon a
annulé la couverture or du dollar, la
valeur de cette monnaie est assurée par
le pétrole que le monde entier doit
payer en dollars et donc en avoir des
réserves suffisantes. Bien sûr, les
États-Unis n’ont qu’à faire marcher leur
planche à billets pour s’approvisionner
en énergie. C’est pour cela que, dès le
début, ils s’étaient assuré que les pays
du Golfe ne vendraient leur pétrole
qu’en dollars. Ils avaient en plus
promis de protéger leurs monarchies
contre toute tentative de les renverser.
Ils avaient même, dans les années
cinquante, renversé la seule démocratie
de la région en Iran pour y installer le
Shah et monopoliser ainsi la vente du
pétrole au monde entier. À ce moment-là,
l’Islam des théocraties extrémistes
pétrolières les dérangeait si peu que le
fait qu’ils foulaient aux pieds les
droits de l’Homme était secondaire à
leurs yeux et à ceux de leurs alliés
européens.
La guerre du Liban
et l’utilisation de la religion pour des
buts stratégiques
En
1948 et 1967, Israël, avec l’aide de
l’Occident et surtout des chefs d’États
arabes, sous protectorat ou influence
restante des mandats anglais et
français, avait chassé les Palestiniens
de leurs maisons, leurs terres et leurs
villages et les avait chassés dans les
pays environnants ; un grand nombre dans
le pays le plus faible, car le plus
pacifique et le plus démocratique, le
Liban, où le pouvoir était partagé entre
ses différentes communautés, mais
surtout entre les chrétiens et les
sunnites. Les réfugiés palestiniens y
étaient nombreux ; et de plus en plus
révoltés contre le comportement de tous
les États arabes qui ne les avaient
jamais vraiment protégés, car dirigés
par des gens asservis aux puissances
coloniales, qui avaient planifié l’exode
des Palestiniens, en leur commanditant
une tragi-comédie de guerre
israélo-arabe qu’ils devaient perdre sur
ordre. La présence de ces réfugiés
palestiniens, en quasi totalité
musulmans sunnites, déstabilisa le Liban
en divisant les Libanais, entre
partisans sunnites des Palestiniens d’un
côté et chrétiens libanais de l’autre.
Ces derniers sous prétexte de protéger
l’indépendance du pays, étaient
encouragés par les Occidentaux à
s’allier avec l’ennemi israélien pour
« se défendre ».
Tout
cela permettait de susciter une guerre
de religion à la frontière Sud de
l’Union Soviétique athée, tandis
qu’Israël, allié du Shah d’Iran, allait
profiter du chaos général, pour
s’attaquer aux Palestiniens réfugiés
dans le Sud du Liban et bombarder en
même temps les villages chiites de la
région.
Le
Shah fut renversé et remplacé par la
République Islamique d’Iran.
Ainsi, les États-Unis firent d’une
pierre deux coups. La guerre contre le
Liban avait réussi, d’une part à
susciter des guerres religieuses dans
tout le Moyen-Orient, au Sud des
républiques musulmanes de l’Union
Soviétique, et d’autre part à créer un
ennemi islamique chiite iranien pour
alimenter les peurs et la haine des
populations sunnites du monde arabe
contre lui, de façon à ce qu’Israël
n’apparaisse plus comme l’ennemi
principal.
C’est
ainsi qu’Al-Qaeda fut créé en s’appuyant
sur l’Arabie saoudite et le Pakistan, et
que Saddam Hussein, homme de main de la
CIA, déclencha la guerre contre l’Iran
et souleva encore plus les peurs et les
haines entre les deux rives du Golfe.
Saddam Hussein fut encouragé par
l’ambassadrice des États-Unis elle-même
à envahir le Kuwait. Ainsi Al Qaeda,
après avoir contribué à déstabiliser
l’Union soviétique, se serait retournée
contre les États-Unis, ceux-ci se «
vengeant » en intervenant en Afghanistan
et, surtout, en occupant l’Irak avec
pour objectif de le diviser en petits
États communautaires rivaux ; ce qui
devait permettre aux États-Unis de
contrôler la ligne de fractures
eurasiatique allant de la Chine à la
Méditerranée, en passant surtout par le
Golfe pétrolier. À cette époque, il
n’était question ni de droits de
l’Homme, ni de protection des innocents.
Résultat : il y eut plus d’un million de
morts et de sans-abris innocents
victimes des guerres menées par les
États-Unis.
Pourquoi les États-Unis ont-ils renversé
en Irak un dictateur, ancien homme de
main de la CIA, qui leur avait rendu le
service d’attaquer l’Iran ? Parce que
Saddam Hussein a par la suite désobéi en
voulant vendre son pétrole en une autre
monnaie que le dollar.
Et
pour l’Iran, comme disent les
militaires, même motif, même punition.
Il voulait vendre ou vend déjà son
pétrole en d’autres monnaies que le
dollar, empêchant ainsi le dollar d’être
la monnaie de réserve du monde entier.
Mais ce n’est pas la seule raison. Il
fallait susciter au sein des populations
sunnites arabes la peur d’une prétendue
menace qui les jetterait dans les bras
de leurs monarques alliés aux États-Unis
et, bien sûr, dans les bras d’Israël,
selon le dicton « l’ami
de mes amis est mon ami » et de son
pendant « l’ennemi de
mes ennemis est mon ami ».
Tout
le battage médiatique et gouvernemental
des pays occidentaux, sur la prétendue
bombe nucléaire iranienne et la
prétendue « défense des
droits de l’Homme », dans les pays
du Printemps arabe, n’est qu’un rideau
de fumée cachant des intérêts beaucoup
plus matériels.
La Syrie, le Liban,
leurs champs de gaz et la lutte pour la
mainmise sur l’énergie
Qui
peut encore croire que l’Occident combat
pour défendre les droits de l’Homme en
Syrie, au Liban, en Palestine ou dans le
monde ?
Car,
comment peut-on défendre les droits de
l’Homme quand on manipule des peuples
anciennement colonisés en les
assujettissant à des régimes criminels,
qui, dès 1948 et en accord avec les pays
occidentaux, ont planifié la défaite et
l’exode subséquent des Palestiniens et
la victoire d’Israël ; et quand on
s’allie avec les pires dictatures
théocratiques et fanatiques du Golfe ;
et quand on qualifie la Turquie de
« démocratie »,
alors qu’elle a nettoyé et nettoie
toujours ethniquement ses minorités et
qu’on veut lui faire reprendre pied et
assurer les droits de l’Homme dans les
territoires où elle a autrefois perpétré
ses crimes ?
Ceux
qui se demandent ce qui pousse
l’Occident à lancer les théocraties
contre la Syrie ont pensé que son
objectif était d’affaiblir l’Iran et le
Hezbollah libanais, et de construire un
oléoduc pour le pétrole du Golfe, lui
permettant d’éviter le Détroit d’Hormuz
rendant ainsi l’Europe moins tributaire
de la Russie pour ses approvisionnements
énergétiques.
Tout
cela est vrai. Mais le plus important
est que le Liban et la Syrie détiennent
des réserves gazières énormes dans leurs
eaux territoriales, et que le Sud-Liban
regorge d’un pétrole que l’Occident et
Israël convoitent en secret depuis des
décennies et dont ils interdisent
l’exploitation. Or, il se trouve que la
Russie et la Chine sont aujourd’hui aux
côtés de ceux qui veulent aider ces deux
pays à exploiter leurs richesses et que
cela ne fait pas l’affaire de
l’Occident, de la Turquie et des
théocraties du Golfe.
Kofi
Annan et les 300 observateurs de l’ONU
arriveront-ils à calmer le jeu ? Ou
tragiquement les bandes armées et les
livraisons d’armes continueront-elles à
déferler sur ces deux pays, subissant la
malédiction de l’Or Noir ?
Roger Akl
30 avril 2012
[1]
Alain Chouet, dans
“Au
Cœur des Services Spéciaux”, La
Découverte, Paris, 2011, compare
l’extrémisme des wahhabites, de la
Qaeda, des Frères Musulmans et des
Salafis à celui des Evangélistes
américains. J’ajouterai qu’ils se
comparent aussi aux extrémistes
israéliens du parti
Shass et autres
extrémistes, alliés à ceux qui
gouvernent aujourd’hui Israël, tous ne
reculant pas devant l’utilisation de la
violence pour arriver à leurs buts.
Roger Akl
commence
sa carrière comme officier de la marine
libanaise. Toute sa formation militaire
et stratégique a été effectuée en France
(EN58, École de spécialité, ESGI, CSI).
Il a occupé, entre autres, les postes
d’adjoint à l’Attaché des Forces Armées
à Washington DC, de Commandant en second
de la marine libanaise et de Chef du
Bureau de Liaison au Liban avec les
Forces des Etats Unis. Il quitte la
marine libanaise en 1983 et s’installe
en France comme administrateur de
sociétés, tout en conservant des
contacts avec le Proche-Orient et les
États-Unis. Il est actuellement
politologue, spécialiste des questions
stratégiques du Moyen-Orient.
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