La vraie guerre commence
aujourd’hui au Liban. Il se peut que le monde croie - et qu’Israël
croit - que le cessez-le-feu de l’Onu, devant prendre effet
pour 6 heures du matin (GMT) marquera le début de la fin de la
dernière sale guerre au Liban après que près de 1 000 civils
libanais et plus de 30 civils israéliens ont été tués. Mais
la réalité est plutôt différente et ne supportera aucun
aveuglement : l’armée israélienne, titubant sous
l’attaque du Hezbollah de ces dernières 24 heures, se
retrouve, à présent, face à la guerre de guérilla la plus
dure de son histoire. Et c’est une guerre qu’ils pourraient
bien perdre.
En tout, au moins 39 - peut-être
43 - soldats israéliens ont été tués ce dernier jour alors
que les guérilleros du Hezbollah, lançant toujours des
missiles sur Israël, ont repoussé l’invasion terrestre
massive d’Israël à l’intérieur du Liban.
Les autorités militaires israéliennes
parlaient d’opération de "nettoyage" et de
"balayage" par leurs soldats, au sud du fleuve Litani,
mais, au Liban, il semble que ce soit le Hezbollah qui a effectué
le "balayage". À la nuit dernière, les Israéliens
n’avaient même pas réussi à atteindre l’équipage mort
d’un hélicoptère - abattu samedi soir - qui s’est écrasé
dans une vallée libanaise.
Officiellement, à présent, Israël
a accepté le cessez-le-feu qui appelle à la fin de toutes les
opérations militaires offensives israéliennes et des attaques
du Hezbollah, et le Hezbollah a déclaré qu’ils
respecteraient le cessez-le-feu - pourvu qu’aucune troupe israélienne
ne reste au Liban. Mais 10 000 soldats israéliens - les Israéliens
prétendent même 30 000, bien que personne à Beyrouth ne
prenne cela au sérieux - sont désormais entrés dans le pays
et chacun d’eux constitue une cible pour le Hezbollah.
À partir de ce matin, les opérations
du Hezbollah seront dirigées uniquement contre la force
d’invasion. Et les Israéliens ne peuvent se permettre de
perdre 40 hommes par jour. Incapables d’abattre les F-16 israéliens
qui ont dévasté une grande partie du Liban, le Hezbollah,
pendant des années, a prié, espéré et attendu le moment où
ils pourraient affronter l’armée israélienne sur le terrain.
À présent, ils sont prêts à
mettre leur campagne, planifiée depuis longtemps, en
application. Des milliers de leurs membres sont encore en vie et
armés, dans les villages en ruine sur les collines du sud-Liban.
Ils attendent justement ce moment et samedi, seulement quelques
heures après que leur chef, Sayed Hassan Nasrallah, a averti
Israël que ses hommes les attendaient sur les berges du fleuve
Litani, le Hezbollah a refermé son piège, tuant plus de 20
soldats israéliens en moins de trois heures.
Israël lui-même, selon des
rapports de Washington et de New York, avait prévu depuis
longtemps sa campagne actuelle contre le Liban - provoquée le
12 juillet par la traversée de la frontière israélienne par
le Hezbollah, le meurtre de trois soldats et la capture de deux
autres - mais les Israéliens apparaissent n’avoir tenu aucun
compte du plan opérationnel le plus évident de cette armée de
guérilla : que s’ils pouvaient endurer des jours
d’attaques aériennes, ils finiraient par forcer l’armée
israélienne de ré-entrer au Liban par la voie terrestre et de
les combattre à égalité.
Samedi, les missiles à guidage
laser du Hezbollah - fabriqués par l’Iran, de la même manière
que les armes israéliennes sont fabriquées aux Etats-Unis -
semblent avoir provoqué des dégâts dans les troupes israéliennes,
et qu’ils aient abattu un hélicoptère israélien était sans
précédent dans leur longue guerre contre Israël.
En théorie, les convois d’aide
humanitaire pourront se déplacer aujourd’hui en direction du
sud, vers les milliers de Chiites libanais pris au piège dans
leurs villages. Mais personne ne sait si le Hezbollah attendra
plusieurs jours - comme les Israéliens, ils sont physiquement
fatigués - pour permettre à cette aide d’atteindre les
villes broyées.
Les atrocités se poursuivent dans
tout le Liban. La dernière étant l’attaque d’un convoi de
voitures transportant 600 familles chrétiennes, de la ville méridionale
de Marjayoun. Conduit par des soldats de l’armée libanaise,
samedi, ce convoi se traînait vers le nord en direction de la
vallée de la Bekaa, seulement pour se faire attaquer par
l’aviation israélienne. Au moins sept personnes y ont trouvé
la mort, dont la femme du maire, une Chrétienne qui a été décapitée
par un missile qui a touché la voiture.
À Beyrouth-ouest hier,
l’aviation israélienne a détruit huit immeubles
d’appartements dans lesquels vivaient six familles. Douze
civils ont été tués au sud-Liban, dont une mère, son enfant
et sa bonne.
Un Israélien a été tué par le
tir continue des Katioucha au-dessus de la frontière. L’armée
de guérilla - "des terroristes" pour les Israéliens
et les Américains, mais de plus en plus des héros dans tout le
monde musulman - ont beaucoup de morts à venger, bien que leur
dirigeant semble moins intéressé à rendre œil pour œil et
dent pour dent et qu’il soit plus enthousiaste à l’idée de
frapper l’armée israélienne.
À ce moment fatal dans
l’histoire du Proche-Orient - et personne ne devrait
sous-estimer l’importance de ce moment pour la région -
l’armée israélienne semble aussi impuissante à protéger
son pays que le Hezbollah à protéger le Liban.
Mais si le cessez-le-feu s’écroule,
comme cela semble certain, ni les Israéliens, ni les Américains
semblent n’avoir de plan pour échapper aux conséquences. Les
Etats-Unis avaient vu cette guerre comme une occasion
d’humilier les sponsors iranien et syrien du Hezbollah mais il
semble déjà que les rôles se soient inversés. L’armée
israélienne semble efficace pour détruire des ponts, des
centrales électriques, des stations services et des immeubles
d’appartements - mais elle est inefficace, de façon notable,
à écraser l’armée de "terroristes" qu’ils
avaient jurés de liquider.
"Le
gouvernement libanais est notre adresse pour tous les problèmes
ou violation des accords [de cessez-le-feu]", a dit
hier le Premier ministre israélien, Ehoud Olmert, comme s’il
réalisait que la trêve ne tiendrait pas.
Et cela fournit, bien sûr, encore
une autre excuse à Israël pour attaquer les infrastructures du
Liban.
Beaucoup plus inquiétant,
cependant, sont les termes vagues de la résolution du Conseil
de Sécurité des Nations-Unies sur la force multinationale censée
occuper la terre entre la frontière israélienne et le fleuve
Litani.
Puisque les Israéliens et le
Hezbollah sont en guerre dans tout le Sud pendant les semaines
à venir, quel pays oserait envoyer ses troupes dans la jungle
que le sud-Liban est devenu ?
De façon tragique
et fatale pour tous ceux qui sont impliqués, la véritable
guerre du Liban commence vraiment aujourd’hui.
publié dans The Independent, le 14 août
2006,
article original : ’As the 6am
ceasefire takes effect... the real war begins’
http://questionscritiques.free.fr/e...
Traduction [JFG-QuestionsCritiques] - Reçu de Nadine Ghys