Nous abordons aujourd’hui le problème
récurrent et fort complexe des déficits
publics américains et du gonflement
vertigineux de leur dette souveraine.
Nous expliquerons le mécanisme
économique qui engendre ces déficits et
qui suscite le gonflement de leur dette
souveraine, le défaut de paiement et la
dévaluation du dollar US. Nous verrons
que ce processus est inhérent au modèle
de développement impérialiste et qu’à
terme il engendre la création de
gigantesques entreprises multinationales
sans patrie, sans allégeance, sans foi
et sans loi, prêtes à flouer l’économie
américaine si nécessaire
afin
de poursuivre leur marche inexorable
vers l’accumulation de profits.
LE
MODÈLE DE LA « PLATEFORME »
Un
nouveau « modèle
de division internationale du travail »
serait en
train de se répandre sur la planète. À
commencer par les États-Unis d’Amérique,
les grandes multinationales, américaines
d’abord, canadiennes, australiennes,
israéliennes et européennes ensuite,
auraient développé une nouvelle façon de
produire et de vendre des marchandises
en accumulant des profits astronomiques.
En fait, il s’agit de l’implantation
systématique du modèle de division du
travail impérialiste mais à une échelle
jamais égalée auparavant. Selon
l’économiste Charles Gave ce nouveau
mode de division internationale du
travail, que les technologies de
l’information et de la communication
facilitent grandement, s’appelle faute
de mieux le système de la « Plateforme »
(1).
C’est la systématisation de ce modèle de
développement économique impérialiste
qui provoque les présentes perturbations
économiques, budgétaires, monétaires et
commerciales mondiales. Ce ne sont pas
les mauvaises décisions des banquiers,
des spéculateurs boursiers, des
industriels ou des politiciens qui
engendrent ces crises systémiques
répétitives qui s’abattent comme la
peste sur les peuples du monde mais
l’application mécanique des lois
inexorables du développement
impérialiste redécouvertes par Charles
Gave.
Nous savons tous que chaque pays tient
une comptabilité nationale d’où l’on
peut observer annuellement les
fluctuations de sa balance commerciale
(2), de sa balance des paiements (3), de
son PIB (4), de son endettement
cumulatif et de ses déficits budgétaires
(5), de ses emprunts et de la valeur de
sa monnaie nationale. Selon l’économiste
Charles Gave, toute cette comptabilité
nationale est de moins en moins
pertinente et elle permet de moins en
moins d’analyser et de comprendre les
crises économiques et financières
mondiales.
D'après l’éminent économiste, la logique
de la
comptabilité
nationale est sans intérêt.
En
fait, que les sociétés multinationales
se proclament « Américaines »,
« Canadiennes », « Israéliennes »,
« Européennes » ou « Chinoises », elles
domicilient où elles le veulent leurs
déficits commerciaux :
« les marchés
n’ont pas compris que nous sommes en
train d’assister à la privatisation
des balances commerciales
(nationales et internationales NDLR). »
(6).
Dans son article de macro économie
Charles Gave donne l’exemple de la
société de micro-informatique DELL dont
le siège social est situé au Texas.
Tous leurs ordinateurs sont
conceptualisés de façon « virtuelle »
dans leurs centres de recherche. Aucune
de leurs machines vendues aux États-Unis
n’est construite sur place. Elles sont
toutes montées au Mexique ou en Chine,
et importées en Amérique après coup.
L’originalité est dans le fait que Dell
ne possède pas les usines dans
lesquelles ses machines sont assemblées
(ce qui est différent de la
délocalisation industrielle). La seule
chose que fait l’entreprise Texane est
de préciser les caractéristiques
techniques que devront avoir ses
ordinateurs. Ensuite, des industriels
indépendants de Dell s’engagent à les
produire au coût fixé par Dell.
Des trois fonctions nécessaires à la
commercialisation d’un produit –
conceptualisation, fabrication et vente
– Dell a réussi à
externaliser la plus dangereuse
et la plus cyclique, la
fabrication. Charles Gave explique
ensuite que par une telle division
internationale du travail un ordinateur
construit en Asie, vendu 700 $ aux
États-Unis, muni d’un système
d’exploitation Microsoft (dont le siège
social est à Seattle mais la production
délocalisée), équipé d’un processeur
Intel (dont le siège social est aux USA
mais la production délocalisée), monté
d’un écran fabriqué à Taiwan dans un
boîtier – clavier fabriqué en Chine, la
part du produit de la vente empochée par
des firmes dites de
« nationalités américaines » sera de 300
$ (et leur marge bénéficiaires de 262 $
soit 87 %) et la part des entreprises
dont le siège social est en Asie de
365 $ (et leur marge bénéficiaire de
28 $ soit
7,7 %). (7).
Les impérialistes internationaux
trouvent ce mode de division
internationale du travail très
avantageux et il se répand chaque jour
davantage. Cependant, quand l’ordinateur
vendu en ligne par Internet entre aux
États-Unis, ce pays enregistre une forte
détérioration de sa balance commerciale.
Dans
l’exemple ci-dessus l’exportation dite
« américaine » a été de 275 $ alors que
l’importation aux États-Unis a été de
670 $ (bénéfice de Dell et taxes en
sus), d’où les États-Unis enregistrent
un déficit commercial de 395 $. Malgré
cela la
rentabilité des sociétés dites
« Américaines » présente un certain
nombre d’avantages fort désirables aux
yeux de n’importe quel investisseur :
-
Elle est très stable : la partie
cyclique (la production) a été affermée
à des industriels extérieurs. - Elle est
très élevée : la recherche, le
développement et la vente par Internet
ne suscitent pas des besoins de fond de
roulement importants. La rentabilité sur
capital investi est donc forte. - Elle
ne nécessite pas d’apports de capitaux
nouveaux : Dell n’a pas besoin
d’emprunter pour son développement.
-
Elle est très transparente : si le coût
du travail augmente trop fortement au
Mexique, Dell ne renouvelle pas ses
contrats de production au Mexique pour
en signer de nouveaux au Brésil, ou en
Chine…
De ce fait, les prix à la
production demeurent sans arrêt sous
pression, d’où le peu d’inflation, du
moins jusqu’à ce que les travailleurs du
tiers-monde revendiquent des hausses
salariales afin de bénéficier eux aussi
du pactole du développement capitaliste
dans leur pays.
La
Chine avec son système policier très
répressif possède à cet égard un
avantage certain et elle maintien ainsi
les salaires de ses ouvriers aussi bas
que possible. Toutefois, ceci n’empêche
pas le Yuan chinois de subir des
pressions à la hausse que le
gouvernement chinois ne peut résorber,
ce qui entraîne une augmentation du coût
des importations américaines en Chine et
l’exportation de l’inflation chinoise
aux États-Unis.
LA
BALANCE COMMERCIALE
Tout ceci à pour effet que les
pays émergents se retrouvent avec des
excédents commerciaux considérables
vis-à-vis des États-Unis, qui pourtant
ne veulent strictement rien dire selon
l’économiste Gave, puisque la maîtrise
des flux (importations de marchandises
aux États-Unis) est à cent pourcent dans
les mains de sociétés dites
« Américaines ». De réclamer de ces pays
de réévaluer leurs monnaies contre le
dollar ne règlera rien (ce qui laisse
entendre que les sénateurs américains
pétitionnaires ne font que de la
figuration pour le public américain)
(8).
De fait, ces pays émergents en
voie d’industrialisation accélérée sont
intégrés à la
zone dollar. Ce qui veut dire en
termes simples que
la balance commerciale d’un pays où
les sociétés s’organisent selon les
principes de la « plateforme »
ne veut plus rien dire. Pour
raisonner à nouveau comme cet
économiste,
l’avantage comparatif qui crée le
déficit américain n’est pas en Chine,
mais aux États-Unis. Ce sont les
sociétés américaines qui domicilient où
elles le veulent le déficit américain.
Si le Yuan est réévalué, Wallmart
passera ses commandes au Vietnam. Le
déficit US restera le même, mais il sera
comptabilisé au Vietnam (si les
entreprises oeuvrant au Vietnam sont
vietnamiennes, ce qui n’est pas assuré)
plutôt qu’en Chine, et le chômage
augmentera en Chine.
Gave ajoute : « Les pays qui pour
des raisons politiques (rejet de la
globalisation et de la
mondialisation)
refuseront ce modèle de production
verront leurs entreprises absolument
laminées, car elles seront forcées de
conserver des activités de production
cycliques et peu rentables dans des
zones où elles n’ont rien à faire. À
terme, elles disparaîtront, et tous
leurs emplois avec elles (et pas
seulement les emplois industriels). Et
le protectionnisme ne les sauvera pas
plus qu’il n’a sauvé l’industrie textile
en France. » (9).
Le raisonnement de Gave laisse entendre
que les investisseurs étrangers
désirent détenir des actions de ces
sociétés américaines, et que les dollars
excédentaires qui entreraient ainsi aux
États-Unis serviraient à acheter des
actions de ces sociétés ou des
obligations émises par les gouvernements
des États-Unis. Ce qui signifierait que
l’équilibre des paiements américains se
ferait en prenant en compte les ventes
d’actifs américains aux étrangers.
Ce
dernier raisonnement de l’éminent
économiste est totalement faux
cependant. La preuve en est que depuis
2008 les investissements étrangers
(directs et de portefeuilles) ne cessent
de diminuer aux États-Unis à cause de
l’instabilité du dollar américain (10).
Le
modèle de division internationale du
travail appelé « plateforme » entraîne
la relocalisation de la production dans
les pays pauvres ce qui réduit d’autant
le pouvoir d’achat des travailleurs des
pays riches car l’augmentation des
emplois du secteur tertiaire ne compense
pas la destruction des emplois dans le
secteur secondaire, et qui plus est, les
emplois tertiaires créés sont parfois si
mal payés (MacDonald et Tim Horton) que
les capacités de consommation des
travailleurs d’occident sont réduits à
presque rien, ce que les banques
compensent pour un temps par
l’élargissement du crédit à la
consommation qui ne fait qu’accroître
l’endettement des ménages jusqu'à la
prochaine crise des « subprimes ».
Plus loin Gave explique que
les constructeurs asiatiques sont
totalement dépendant du marché nord
américain pour survivre et que donc
ils ne peuvent pas refuser de vendre
leurs marchandises aux firmes ayant
siège social aux États-Unis contre des
dollars dont la masse internationale est
toujours plus importante et la valeur
marchande toujours plus réduite (le
dollar ne vaudra bientôt plus qu’un demi
euro). Ce raisonnement est également
faux. À court terme le constat est
exact, mais à moyen terme
la Chine et l’Inde ont commencé à
développer leurs immenses marchés
domestiques et ils se rendront ainsi
de plus en plus indépendants du marché
nord américain et alors ils refuseront
les dollars plombés et c’en sera fini
pour cette devise.
PRIVATISATISATION DES BALANCES
COMMERCIALES
L’économiste Gave ajoute : « Les marchés
n’ont pas compris que
nous sommes en train
d’assister à la privatisation des
balances commerciales nationales. Ce
qui veut dire en termes simples que
quiconque reste enfermé dans la logique
de la comptabilité nationale pour
effectuer ses investissements va tout
droit à la ruine. » (11).
Le développement impérialiste
signifie la totale intégration du
capital industriel et du capital
bancaire en un capital financier
international « off shore », sans
patrie, sans intérêt national et voué
exclusivement à l’accumulation de
profits et de dividendes internationaux.
En cela Gave a raison de souligner que
pour ces puissants spéculateurs
boursiers et pour ces grandes
entreprises multinationales la seule
comptabilité globale qui vaille est la
comptabilité internationale. C’est
d’ailleurs pourquoi ces ploutocrates
réclament
l’internationalisation des organismes de
gestion et des mécanismes de régulation
économique.
Ce
qui provoque la présente crise
budgétaire américaine (défaut de
paiement de leur dette souveraine
gigantesque de 15 000 milliards de
dollars) est du au fait que les dépenses
du gouvernement fédéral et des États
américains sont croissantes alors que
les revenus étatiques sont en baisses.
Nous savons déjà pourquoi les
dépenses américaines sont si importantes
– guerres d’agression incessantes,
subventions aux entreprises privés et
aux banques soit - 1 200 milliards en
2008 seulement (12) – mais pourquoi les
revenus des impôts sont-ils en baisse
alors que les firmes américaines sont
prospères et font des profits records ?
Même si Barak Obama augmentait le taux
d’imposition des entreprises américaines
cela ne changerait rien.
C’est que les entreprises dites
« Américaines », c’est-à-dire ayant leur
siège social aux États-Unis (alors que
leurs manufactures et leurs centres
d’affaires sont répartis un peu partout
dans le monde)
ne rapatrient plus leurs profits aux
États-Unis afin d’éviter de les « dollariser »
et de les voir dévaloriser par
l’inflation et la dévaluation de
cette monnaie. Les trusts et les
entreprises multinationales Américaines
choisissent de localiser leur profits
dans des centres bancaires « off
shore », dans des paradis fiscaux
(Caïmans, Bahamas, Monaco, Macao,
Israël, etc.) où ils se mélangent aux
capitaux du monde interlope et une fois
blanchies ils sont réinvestis dans les
pays émergents ou dans des fonds
boursiers spéculatifs.
« Pour prendre la mesure du choc qui se
prépare, il est utile de savoir que même
les banques
américaines commencent à réduire leur
utilisation des bons du trésor US pour
garantir leurs transactions par crainte
des risques croissant pesant sur la
dette publique US. Le groupe GEAB croit
qu’un autre 15 000 milliards
d’actifs-fantômes spéculatifs vont
s’envoler en fumée dans les prochains
mois de 2011 et 2012. En ce moment les
grandes entreprises accumulent de la
trésorerie en prévision de ce choc
financier qui verra les trésoreries
gouvernementales
s’effondrer. »
(13).
INFLATION ET DÉVALUATION DE LA MONNAIEo:p>
Au
milieu de ce salmigondis la Fed (banque
fédérale américaine) songe à un
troisième épisode d’assouplissement
quantitatif…Comprendre ici que la Fed
songe à émettre de nouveaux dollars pour
acheter les obligations d’épargnes des
gouvernements américains que de moins en
moins de spéculateurs (y compris les
banques américaines) désirent acquérir
car l’investissement est trop risqué.
Cette troisième émission de monnaie
engendrera
la dévaluation du dollar et une
inflation importante aux États-Unis;
méthodes par lesquelles le gouvernement
américain transfert le coût de la crise
de la dette souveraine sur le dos des
petits salariés, des retraités, des
pauvres et des démunis qui verront leur
maigre pouvoir d’achat s’éroder encore
davantage (14).
Pour le gouvernement américain les
bénéfices combinés de
l’inflation et de
l’émission de monnaies est double
puisque d’une main il décharge le
fardeau de la dette sur le peuple (par
la hausse des prix et des recettes
fiscales de l’État) et de l’autre il
réduit d’autant sa dette extérieure en
dévaluant les créances en dollars de ses
créanciers. C’est la raison pour
laquelle de nombreux pays dans le monde
cherchent à transiger avec d’autres
monnaies que le dollar américain, ce que
nous avions déjà souligné dans une étude
antérieure (15).
Pendant ce temps, les immenses trusts
internationaux, les multinationales de
tout acabit, les spéculateurs boursiers
et les banquiers internationaux
observent l’économie mondiale,
spéculent, jouent avec les actifs du
monde entier et cherchent à tirer leur
épingle de ce jeu macabre dont les lois
inéluctables les entraînent
inévitablement vers la catastrophe
économique. Mais attention, ce système
économique moribond ne s’effondrera pas
de lui-même, il imposera encore et
toujours plus de sacrifices aux peuples
du monde entier afin de se maintenir à
flot. Seule une révolte généralisée
pourra l’abattre et construire un monde
nouveau…Qu’attendons-nous pour le
construire sur ses ruines ?
(1)
http://www.geostrategique.net/viewtopic.php?p=77356&sid=053e0aaefedc212a4a462d98f84517c2
(2)
http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMTendanceStatPays?langue=fr&codePays=USA&codeTheme=7&codeStat=NE.RSB.GNFS.ZS
(3)
http://www.wikiberal.org/wiki/Balance_des_paiements
(4)
http://fr.wikipedia.org/wiki/Produit_int%C3%A9rieur_brut
(5)
http://lexpansion.lexpress.fr/economie/etats-unis-vers-un-deficit-budgetaire-record-en-2011_247745.html
(6)
http://www.geostrategique.net/viewtopic.php?p=77356&sid=053e0aaefedc212a4a462d98f84517c2
(7)
http://www.geostrategique.net/viewtopic.php?p=77356&sid=053e0aaefedc212a4a462d98f84517c2
(8)
http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/etats-unis-chine-la-grande-87177
(9)
http://www.geostrategique.net/viewtopic.php?p=77356&sid=053e0aaefedc212a4a462d98f84517c2
(10)
http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMTendanceStatPays?langue=fr&codePays=USA&codeStat=BX.KLT.DINV.CD.WD&codeStat2=x
(11)
http://www.geostrategique.net/viewtopic.php?p=77356&sid=053e0aaefedc212a4a462d98f84517c2
(12)
http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/329846/crise-financiere-de-2008-le-soutien-de-la-fed-aux-grandes-banques-a-atteint-1200-milliards?utm_source=infolettre-2011-08-23&utm_medium=email&utm_campaign=infolettre-quotidienne
(13)
GEAB
no 56 Spécial été 2011. Crise systémique
globale – dernière alerte avant le choc
de l’automne 2011. in L’Étoile du Nord,
vol 9 no 3. Mai-juin 2011.
(14)
Aux Etats-Unis la
Fed est poussée à injecter des
liquidités dans l’économie.
Le Monde, 17.08.2011. Page 11.
(15)
http://www.centpapiers.com/la-chine-imperialiste/74924