Opinion
Post mortem
électoral - Le dessous des cartes
Robert Bibeau
Robert
Bibeau
Mercredi 19
septembre
2012
Après neuf années de
corruption
Les sondeurs, les éditorialistes, les
analystes et les columnistes politiques
ont pour coutume d’invoquer qu’après
neuf années d’iniquité un Conseil des
ministres est usé, corrompu et inapte à
gouverner. Pourquoi cet anathème ?
Évidemment, si ce gouvernement a
profité de la proximité de
l’assiette fiscale pour s’en mettre
plein les poches, favoriser le
copinage, organiser le patronage,
trafiquer les permis de garderies,
récolter les pots de vin, engraisser
ses caisses électorales légale et
occulte, transférer le fardeau de la
crise sur le dos des pauvres, des
démunis, de la classe ouvrière
couper dans les services destinés à
la population, laisser les listes
d’attente s’allonger dans les salles
d’urgence, abandonner les chômeurs
toujours plus désespérés, privatiser
les services publics en faveur des
entreprises de services privées,
subventionner les multinationales
pharmaceutiques, aéronautiques,
minières, papetières, forestières,
les alumineries et les entreprises
alimentaires milliardaires tout en
haussant les taxes, les impôts, les
tarifs d’électricité, les permis et
les assurances, les tickets de
transport en commun et les droits de
scolarité pour les déshérités,
alors, bien entendu un tel Conseil
des ministres au service des riches
est usé et discrédité.
Évidemment, un tel gouvernement
ne parvient plus à mystifier la
population et il faut relancer le
jeu de la chaise musicale afin de
laisser croire que l’opposition qui
était aux commandes neuf ans
auparavant, et qui a été chassée du
pouvoir exactement pour les mêmes
tourments, fera mieux une décennie
plus avant. Dans neuf ans il sera
temps d’alterner et de changer
d’attelage gouvernemental. Terminée
la confiance envers ces politiciens
gouailleurs que les riches doivent
se résigner à remplacer, histoire
d’hypothéquer la « virginité
retrouvée » du parti d’alternance
revampé.
Selon Charest, il était temps cet
été d’organiser une nouvelle foucade
électorale, et de demander à
l’électorat québécois de trancher
entre son gouvernement et les
étudiants, de trancher entre son
Conseil des ministres et celui de
l’un ou l’autre de ses deux
concurrents, Pauline Marois (Parti
Québécois) ou François Legault
(Coalition Avenir Québec). Lequel de
ces trois partis politiques
identiques présente la plus
obséquieuse des équipes
gouvernementales, la moins
sulfureuse et la moins compromise
dans les scandales ? Ceci résume le
dilemme d’un électeur usurpé, le
citoyen avisé, quant à lui,
s’abstient de voter pour l’un ou
l’autre de ces faux jetons
désemparés, fourbes, impuissants ou
incompétents.
Pourquoi des élections
anticipées ?
Trois motifs impératifs poussaient le
premier Ministre québécois à se lancer
dans la mêlée deux ans avant
l’échéancier. Premièrement, la meute
étudiante militante bloquait de nombreux
établissement d’enseignement, résistait
aux policiers, aux juges, à la justice
des riches, à l’inique loi spéciale
78-12, soutenue en cela par des
centaines de milliers de pauvres gens,
payeurs de taxes et travailleurs enragés
de voir leurs enfants matraqués. La loi
et l’ordre bourgeois étaient défiés,
menacés; il était temps d’appeler tous
les Martineau, les Dubuc et les Pratte
du Québec à la rescousse pour soulever
l’opinion des commerçants, des
professionnels, des petits bourgeois et
des bien pensants contre ce valeureux
contingent d’étudiants révoltés.
Deuxièmement, la commission
d’enquête Charbonneau sur les
malversations dans l’industrie de la
construction, finalement instituée,
s’apprêtait à commencer ses
audiences et tous les gouvernements
prévaricateurs, le sien comme celui
d’avant, étaient assurés d’être
éclaboussés…autant devancer cette
calamité.
Troisièmement, le Plan Nord
promettait des milliers d’emplois,
et tout autant d’investissements
gouvernementaux à la charge des
payeurs d’impôts, mais la crise
économique anticipée s’approchant à
grands pas plus le temps passait et
plus l’arnaque des pseudo emplois
par milliers serait démasquée. Mieux
valait devancer l’élection faute de
pouvoir retarder la crise
économique.
Le verbatim de la
campagne électorale
Examinons le déroulement de ce
carnaval électoral frauduleux que les
journalistes ont tenté d’animer et de
rendre « passionné et mouvementé » alors
que jamais les politicailleurs ne
traitèrent un instant des vrais
problèmes qui confrontent le peuple
travailleur chaque jour de l’année, soit
d’accéder aux services publics de santé;
obtenir des soins à domicile ou en
institutions pour les personnes âgées;
réserver une place en garderie pour le
bambin du foyer; obtenir une éducation
accessible et de bonne qualité qui mette
le décrochage en échec plutôt que de
mettre l’élève en échec; organiser la
guerre à la pauvreté plutôt que la lutte
contre les pauvres; offrir du travail de
qualité et bien payé pour tous et chacun
avec la sécurité d’emploi et un fonds de
pension qui ne soit pas grevé quand la
nouvelle génération de retraités
arrivera à échéance de son parcours
salarié et surtout que la compagnie ne
s’éclipse pas avec la caisse de retraite
et la machinerie; que les monopoles
privés cessent de gruger le pouvoir
d’achat de tout un chacun par
l’inflation et les baisses régulières
des salaires; accéder à des logements
salubres et bon marché; fréquenter des
transports en commun accessibles et
enfin assister à l’arrêt du saccage de
l’environnement par les amis du régime,
les fouineurs de gaz de schistes, les
prospecteurs pétroliers, les harnacheurs
de rivières sauvages autochtones et les
faucheurs de forêts, tous contributeurs
volontaires et généreux aux caisses
électorales occultes.
Je sais que la plupart d’entre vous
pensent qu’il faut être fou pour tant
demander. Vous vous trompez cependant,
vous avez trop longtemps vécu sous ce
système politique décadent. Nos sociétés
industrialisées pourraient offrir tout
cela et davantage si seulement
la propriété privée des moyens
de production et d’échanges ne semait
pas l’anarchie et ne détruisait pas les
capacités productives
socialisées. C’est cela qu’il
faut changer et non pas permuter une
bande de voleurs pour une troupe de
menteurs.
Aucun de ces beaux parleurs
électoraux n’a osé aborder de front ces
questions et admettre son impuissance
devant tant de souffrance. Alors pour
donner le change chacun y est allé de
ses promesses frauduleuses et chacun
souffla le vent de ses engagements bidon
alors que les commentateurs des médias à
la solde chantaient leur félicité pour
tant de dextérité de ces prétendants à
l’Assemblée.
L’électorat piégé
En régime parlementaire britannique,
au Québec, comme au Canada, dans une
élection bourgeoise, les jeux sont
largement faits dès le début de la joute
électorale. Le Pari Libéral du Québec
peut toujours compter sur 30% du vote
exprimé. Le Parti Québécois peut
invariablement compter sur 30% des
électeurs. Un tiers parti bourgeois,
puissamment soutenu par les médias à la
solde, peut facilement rallier 25% de
l’électorat populaire désabusé.
Ce qui signifie que la bataille
électorale vise tout au plus, pour ces
trois partis bourgeois, à recruter la
plus forte proportion des 15 pour cent
de l’électorat restant. Il en
est ainsi depuis des décennies à chaque
élection bidon. Le nom des partis
politiques peut changer mais pas cette
répartition des appuis aux grandes
sections de la bourgeoisie qui se
dispute la gouvernance de l’appareil
d’État.
Au début de la foire électorale, la
maison Léger Marketing a effectué un
sondage à propos des intentions de vote
pour le choix de l’équipe des riches,
histoire de mesurer le chemin à
parcourir par leur prétendant au trône.
Il était convenu parmi l’intelligentsia,
les faiseurs d’élections et leurs
patrons, que le rejeton de l’ex-ADQ
crypto-fasciste devenu la Coalition
Avenir Québec (CAQ), dirigé par un
transfuge ex-souverainiste enragé devenu
fédéraliste déluré, muni de son
programme politique
populiste-réactionnaire devait gagner la
course à l’investiture populaire.
La question référendaire
Oubliez, je vous prie, la question
référendaire, l’Option indépendantiste
et les autres croix et fleurs-de-lys
nationalistes. Depuis 1995 le jeu du
chantage à la souveraineté est terminé
pour la grande bourgeoisie québécoise
chauvine (1).
Depuis ce temps, la section
québécoise de la grande bourgeoisie
d’affaire canadienne a sonné le glas des
référendums et comme le dit « le toupet
à Bouchard », l’ex-idole des
souverainistes chauvins, s’il s’en
tenait un il serait nécessairement
perdant (2).
La nation québécoise est dorénavant
une nation dont les capitalistes
monopolistes répressifs doivent être
renversés comme l’incident terroriste
survenu au Métropolis le soir de
l’assemblée péquiste le démontre. C’est
désormais la minorité québécoise
anglophone au même titre que les nations
autochtones qui se sentent délaissées et
opprimées et qui protestent de vilaines
façon.
Les tractations des faiseurs
d’élections
Il était entendu que les
Libéraux discrédités par neuf
années au service des banquiers, neuf
années de prévarication et de
fréquentation du monde interlope,
devaient recevoir une leçon pour ne pas
avoir brisé la grève étudiante et s’être
laissé emberlificotés par un jeune
leader étudiant inexpérimenté.
Enfin, tous ces comploteurs
convenaient que le Parti
québécois devait survivre au
purgatoire de l’opposition jusqu’à ce
que ce parti bourgeois comprenne que
l’on ne mord pas la main capitaliste qui
vous nourrit et qu’il est outrancier de
prétendre taxer les compagnies minières,
forestières, papetières, alimentaires,
les alumineries et les hauts salaires
des privilégiés.
Avant même la lancée du festival
électoral, le premier sondage Léger
Marketing créditait 28% des intentions
de vote au PQ. Il
attribuait 26% au PLQ
et la CAQ pouvait compter sur 23% des
intentions de vote – indécis non
répartis – tout en suggérant une grande
volatilité de l’électorat (3). En effet,
à ce moment-là les médias tentaient de
convaincre les électeurs de voter pour
la CAQ – à l’encontre de leurs intérêts
immédiats – et la populace résistait aux
pressions qu’on lui imposait.
Suivirent deux semaines de campagne
électorale terne faites de rumeurs et de
ragots, de petites banalités, de guerre
de crucifix et autres futilités
imaginées pour décourager l’électeur le
plus acharné (4). Pendant ce temps la
CAQ présenta ses candidats soi-disant
vedettes, des « has been » sur le retour
n’ayant jamais gouverné et prétendant,
contre toute attente, régler tous les
problèmes de malversations et de
collusions qui perdurent depuis un
siècle.
Enfarger le Parti
Québécois
Les ébats télévisés sont
habituellement des moments de haute
intensité dramatique où les médias
tentent de créer un suspense et de
stimuler l’intérêt pour ces chienlits
électoraux où rien ne change. Cette
année Radio-Canada exigea que
la candidate député de Québec Solidaire
dans la circonscription de Gouin se
joigne aux chefs des trois formations
qui avaient une chance de l’emporter au
bal des élections bidon. Le Réseau
TVA s’objecta et organisa ses
propres débats télévisés.
Le soir du premier débat les
politiciens transfuges se chamaillèrent
comme des chiffonniers et l’une d’entre
elles prononça ces paroles célèbres : «
Personne ne parle de la pauvreté ». Par
la suite la candidate Solidaire présenta
sa vision référendaire-indépendantiste
sans risque. En effet, les chances de
son parti de composer le prochain
gouvernement étant nulles il n’en
coûtait rien de proposer l’escapade
rocambolesque intitulée « À la poursuite
du référendum perdu ». La polémiste
perspicace termina son laïus en
suppliant les électeurs de son comté de
l’expédier à l’Assemblée.
Aussitôt, les commentateurs payés par
la télé d’État et l’éditorialiste du
journal The Gazette, féroce
fédéraliste, saluèrent le courage
souverainiste de la voisine du député de
Mercier que tous ceux-là décrétèrent
gagnante de la joute oratoire par son
éloquence ostentatoire.
L’objectif étant ici de coincer la chef
du Parti Québécois en la forçant à
défendre ses appuis souverainistes d’une
possible hémorragie sur son flanc
soi-disant de gauche. Dans une
bataille à trois partis bourgeois, un
écart de quelques points de pourcentage
peut être fatal et faire perdre
plusieurs comtés convoités.
La dame Marois n’avait pas le choix :
qu’elle fasse la cour à l’électorat
fédéraliste ou à l’électorat allophone
ou anglophone, Québec Solidaire risquait
de s’accaparer quelques précieux comtés.
Pauline se le tint pour dit et œuvra
tout le reste de la campagne à conserver
ses appuis traditionnels.
Il fallait maintenant régler
définitivement le cas du Parti Libéral
afin d’assurer la victoire de la CAQ
revampée. Dès le lancement de la
campagne électorale, 75% de la
population québécoise se disait
insatisfaite du Gouvernement Charest. Le
Parti Libéral amorçait la joute avec
tout juste ses appuis traditionnels
(environ 30% de l’électorat). Suite aux
débats télévisés mortifiants, la
campagne de dénigrement des médias
s’intensifia à l’encontre du Parti
Libéral. Un journaliste de
Radio-Canada suggéra que le Premier
Ministre Charest était intervenu pour
abroger la filature d’un syndicaliste
relié à la mafia. Vrai ou faux, peu
importe, la rumeur eut l’effet escompté.
Le bilan de neuf années de
pouvoir libéral et de son chef étant ce
qu’ils étaient, la descente aux enfers
n’était pas difficile à orchestrer.
« Tout sauf Charest » devint le mot
d’ordre des électeurs désabusés.
Les 100 jours de François
Un carnaval électoral comporte
toujours un moment de vérité où le
candidat choisi par la bourgeoise doit
faire la preuve de ses capacités à
grimper sur le trône tant convoité.
Dans les cent premiers jours
après son accession au pouvoir le
prétendant François Legault promettait
: 1) d’attaquer des milliers de
pharmaciens trop payés selon lui; 2)
d’agresser 8000 médecins généralistes
accusés de ne pas assez travailler; 3)
puis, de monter à l’assaut des 295 000
étudiants post-secondaires et de leur
imposer 200$ de droits scolaires,
prétention sur laquelle Charest s’était
précédemment brisé le menton; 4) de
congédier des milliers d’employés
d’Hydro-Québec; 5) de démantibuler les
Commissions scolaires et de mettre en
colère leurs milliers d’employés; 6) de
chambarder tout le système de santé déjà
moult fois chamboulé; 7) d’allonger la
journée de classe de 75 000 enseignants
et de leurs centaines de milliers
d’étudiants; 8) de relancer l’animosité
contre les centaines de milliers
d’employés de la fonction publique
québécoise déjà fragilisée…
Excepté les chroniqueurs chevronnés,
les analystes politiques expérimentés et
les éditorialistes surpayés, la
plupart des québécois comprirent que
François Legault mentait ou « troublait
». Si Jean Charest n’était pas
venu à bout de 165 000 étudiants
militants, qu’en serait-il de ce
politicien fou, innocent ou dangereux
devant mâter et humilier presque 2
millions de travailleurs, de
professionnels, d’étudiants,
d’enseignants, de directeurs, de
fonctionnaires et d’employés tous unis
dans l’adversité ?
Les électeurs indécis (s’il en
restait), les discrets silencieux, les
dépités qui effectivement souhaitaient
du changement, comprirent à l’instant
que celui-là n’était pas conscient et se
briserait les dents avant d’avoir réussi
son pari de malappris. Plusieurs
se résignèrent et retournèrent à leur
ancien amour électoral.
Les libéraux récupèrent leurs
appuis
Nous connaissons la suite, le
Parti Libéral ressuscita comme par magie
après avoir senti les flammes de l’enfer
le brûler en effigie (50 comtés
sauvegardés). Le Parti Québécois contrit
sauva tout juste sa partie (54 comtés
conquis). La Coalition « Héritage »
Québec malmenée s’effondra (19 comtés
sauvés) et la candidate de Québec
Solidaire fut élue dans le comté de
Gouin comme si la campagne de ce parti
avait eu pour objectif de consolider
l’EGO de la co-porte-parole.
Le lendemain de la foire d’empoigne
électorale (5.09.2012) quelques bouffons
s’empressèrent de faire le post mortem
de cette escroquerie électorale
téléguidée. François Legault répondit
publiquement aux reproches de son mentor
Charles Sirois – Président de la
deuxième banque canadienne (CIBC)
– « On doit dire la vérité à
l’électorat », s’excusa le candidat
devant les caméras. Qui
poursuit les forfanteries électorales
sait que toute vérité n’est pas bonne à
dire comme Sirois lui a certainement
appris : « Il n’est pas de bonne guerre
de demander à un fonctionnaire ou à un
employé de voter en faveur de celui qui
menace de le congédier ». Il
vaut toujours mieux plagier le Premier
ministre Trudeau qui en 1974 avait juré
de ne jamais imposer le gel des prix et
des salaires, puis une fois élu,
s’empressa d’imposer le gel des prix et
des salaires. Idem pour «
ti-poil » Lévesque qui en 1981 récupéra
les hausses de salaires accordés aux
fonctionnaires après le référendum raté.
Nul doute que François Legault aura le
temps d’apprendre les astuces de la
fraude électorale bourgeoise sur les
banquettes de la deuxième opposition
officielle.
Pour nous ouvriers et employés nous
savions à l’avance qu’aucun de ces
partis politiques ne représentait ni a
classe ouvrière ni la vraie opposition
que nous avons commencé à forger à
l’usine et dans le quartier où elle se
poursuivra.
Robert Bibeau
(1) Impérialisme
et question nationale. 2012.
http://www.robertbibeau.ca/commadevolume.html
(2)
http://www.archambault.ca/lettres-a-un-jeune-politicien-ACH003106443-fr-pr?gclid=CN7S6s3isrICFUhN4AodQQgAdw
(3) Jean-Marc Léger.
Élections 2012 : 35 jours après le
départ. 6.09.2012. Le Devoir.
(4) La patente
à François Legault. Vie et mort d’un
avatar. 15.06.2011.
http://www.legrandsoir.info/la-patente-a-francois-legault-vie-et-mort-d-un-avatar.html
Publié sur
Les 7 du Québec
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