Opinion
Fin de régime à Québec
Ne touchez plus à nos enfants, manants !
Robert Bibeau
Robert
Bibeau
Samedi 19 mai 2012
FIN DE RÉGIME
À QUÉBEC
Jean Charest haussa le ton et sa voix
menue fut entendue jusqu’au fond du
Salon bleu par les reporters de la
presse docile. Ce n’est pas la fin de
règne qu’il avait souhaitée. La clique
de journalistes qui lui sont attachée
comprit qu’ils devaient s’ajuster, car
bientôt eux tous devraient servir un
nouveau sous-fifre.
Dans ses rêves les plus fous, Charest
s’était vu quittant la vie publique sous
les applaudissements de ses partisans,
bénéficiant de l’entendement complaisant
de ses mandants, hypocrites et soumis,
chacun ayant un bon mot pour lui, plutôt
que ces chuchotements venant du fond du
parlement en ces derniers moments de son
gouvernement décadent.
Foin de cette gloire éphémère! Les
rues de Montréal, de Québec, de
Sherbrooke, de Gatineau, de Rimouski
sont maintenant jonchées de verre brisé,
d’affiches le conspuant, de pancartes le
ridiculisant, lui le manant. Les rues de
ces cités remplies de chiens enragés, de
chevaux apeurés, de policiers ameutés,
casqués, masqués, armés, rangés,
boucliers et matraques levés,
discrédités, défiés par ces milliers et
ces milliers d’enfants, d’adolescents,
de jeunes et de parents endoloris par ce
gâchis. Parents heurtés certes mais
fiers de leur progéniture - plus
déterminée que nous ne l’avons jamais
été - à rejeter le diktat des haut
placés – des capitalistes milliardaires
et de leurs thuriféraires tellement
désolés – non pas désolés de voir nos
jeunes matraqués, pas du tout – désolés
de se voir gâcher leur sortie de piste
après des années de bons et loyaux
services au service des riches.
Depuis le début de ce conflit le 12
février dernier, contre ces jeunes
malappris, pense-t-il; qu’il traita avec
mépris du haut de sa grandeur légitime,
pense-t-il; jusqu’à ce chant du cygne de
la disgrâce commandé par ceux qui à
Sagard avaient placé en lui toute leur
confiance, aujourd’hui déçue,
pense-t-il.
Ti-Jean, transfuge de
Conservateur-libéral à
Libéral-conservateur, n’a-t-il pas reçu
le sceptre du pouvoir des mains de celui
qui le détient ? N’a-t-il pas reçu
l’onction de l’arrogance des mains de
ceux qui font les Premiers ministres
dans le richissime domaine privé du haut
de la falaise surplombant le fleuve aux
grandes eaux ?
Réunie récemment au domaine de
Sagard, autour de la Table ronde des
chevaliers d’industrie et de la finance,
ils ont désigné le prétendant politique
vassal qui lui succédera. Ti-Jean
répudié mais quand même décidé à livrer
ce qu’il a promis, suit son chemin avant
que d’être congédié.
ILS NE
VEULENT PAS FAIRE «LEUR PART» POUR LES
RICHES
Ce ne sont que des jeunots délurés,
pense-t-il; inconscients et
irresponsables, pense-t-il; qui lui ont
barré la route vers un nouveau mandat,
pense-t-il; qui refusent de faire « leur
part » pour sortir les milliardaires de
Sagard de la misère pense-t-il. Ces
jeunes sont convaincus qu’ils ont assez
donné – particulièrement leurs parents
ouvriers - travailleurs – chômeurs –
petit-bourgeois paupérisés. Ces jeunes
effrontés refusent de verser 1778 $ par
année pour le profit de ces
milliardaires « appauvris » par leurs
crises économiques successives; vous
savez ces constructeurs de routes, de
ponts, d’hôpitaux, de complexes
municipaux et autres prévarications qui
sont légion en cette fin de régime. Le
Président de Rio-Tinto Alcan est
présent, qui tend la main et reçoit ses
75 millions de subventions des mains du
représentant du gouvernement : il
apprécierait ce Président que les
étudiants fassent « leur part » pour le
bénéfice de ses actionnaires. Ils sont
des dizaines ainsi à se presser dans
l’antichambre de la corruption, à
inciter Ti-Jean l’ébouriffé à écraser
ces jeunes révoltés.
TI-JEAN A SON
PLAN
Depuis le début de ce combat, Ti-Jean
l’ébouriffé avait espéré qu’ils allaient
s’essouffler pensait-il; sa tactique
avait consisté à nier. Puis, dix
semaines de grève et 300 000 grévistes
plus tard, il consentit à discutailler,
mais jamais des droits de scolarité,
juste de quoi gagner du temps car,
pensait-il, ils allaient s’essouffler.
Observant que les jeunes ne
s’effondraient pas, il pensa que ses
cerbères allaient leur faire leur
affaire – les limiers de l’insécurité
enragés déguisés en Robocop, largués par
camions, chevaux, autos, motos,
bicyclettes, hélicoptères, ne firent pas
dans la dentelle et y mirent tout leur
zèle. 1000 arrestations et 800 blessés
et estropiés plus tard, ils allaient
s’essouffler, pensait-il; mais rien n’y
faisait, alors Ti-Jean le sortant eut
une idée – il était ministre de la
jeunesse tout de même. Il ordonna aux
juges et aux tribunaux de se
compromettre et de réaliser par la loi
ce qu’il ne parvenait pas à faire
avancer par l’effroi.
L’INJUSTICE
DES RICHES
Les juges à la solde, l’avant dernier
rempart de la loyauté envers les
puissants de Sagard, où quelques
privilégiés ont été reçus en audience,
reconnaissants de pouvoir contempler la
Légion d’honneur du seigneur des lieux,
heureux de baiser l’anneau et de ployer
le genoux devant le pontife de
l’assemblée des riches. Les juges se
mirent vaillamment de la partie et
jetèrent de ce côté-ci de la balance
d’injustice leurs misérables injonctions
de chiffon, espérant stopper la marée
humaine des indignés – outrés –
désillusionnés à propos de la justice
des milliardaires.
Cinq cents injonctions plus tard, ils
allaient s’essouffler, pensa-t-il ! Eh
bien non, son dauphin s’approchait déjà
et Ti-Jean n’avançait pas d’un pas. S’il
ne parvenait pas à créer l’illusion
d’une solution, il recevrait une
sommation de se présenter au château de
Sagard – devant la table de ses pairs –
rien d’autre en mains qu’une masse de
révoltés refusant de faire
ce que leurs pères avaient toujours fait
avant eux : payer et se la fermer.
ÉTUDIER
PENDANT UNE GRÈVE DES ÉTUDES ?
Empêcher les jaunes étudiants « scabs
» de suivre leurs cours pendant une
grève votée par la majorité est un
devoir pour les Partisans qui doivent
faire appliquer les décisions de
l'assemblée générale, coûte que coûte.
Sinon, inutile de faire grève comme
chaque ouvrier en conviendra. Plutôt
qu’une loi anti-scab Ti-Jean a concocté
une loi pour protéger les « scabs » !
À propos des casseurs - des
communistes - des étrangers malfamés,
infiltrés, voilà une vieille rengaine
chauvine ressortie d’une époque
ancienne. Cette théorie
paternaliste-journalistique voudrait
laisser croire que les Québécois sont
des moutons dociles, soumis, ataviques,
résignés, prêts à la tonte; elle
voudrait laisser croire que s'il y a de
la résistance aux injustices et une
guerre de classes pour défendre le droit
à l'éducation pour tous, c'est
obligatoirement le fait d'étrangers
malveillants – le fait de casseurs
infiltrés - qui ne peuvent pas refléter
« nos » valeurs en la Vierge Marie et au
Frère André (ce furent des arguties
déclamées pendant la grève de l'amiante
dans les années cinquante).
Vous en conviendrez, cette rengaine
des infiltrations est ancienne et elle
méprise notre peuple. Nous sommes à
majorité des révoltés, des opposants
enragés contre le crime consistant à
nous transférer sur le dos le coût de
leur crise économique et de leur
faillite. Que Sagard assume sa crise,
désolé si les profits des Desmarais ne
sont pas aussi élevés qu’espéré; ceux de
Bombardier aussi, et pour les profits
des banques et bien tant pis! Que les
riches payent et qu'ils se débrouillent
avec leurs crises en rafale, nous ne
payerons pas.
RACAILLE
JOURNALISTIQUE ET ANALYSTES À LA SOLDE
Je sais que l’on m’en voudrait
d’oublier les chiens de garde du régime
– les prêtres assesseurs – les Fous des
puissants – caméra au poing comme une
arme sélectionnant minutieusement les
images capables de faire paraître
coupable le moutard innocent et
d’attirer la pitié sur le policier
casqué – masqué – armé – blindé –
protégé par ses coéquipiers meurtriers.
Derrière ce compère à la caméra
austère, trottine et vitupère le
reporter à la langue de vipère, quêtant
l’aveu de violence de l’étudiant
menotté, isolé, presque nu dans les rues
de la ville, éperdu, bloqué, encerclé,
matraqué, un caillou entre les genoux, «
l’assassin ». Le reporter a trouvé un
enfant pleurant dans un coin, une pierre
à la main, sous un hélicoptère battant
l’enfer – la voilà la violence des
manifestants étalée dans toute sa
crudité – provocante – capable
d’ébranler les fondements de cette
société que lui, l’affidé bien payé,
veut tant préserver. Il a eu tant de mal
à le dégoter cet emploi de journaliste
servant, pour ne pas se le laisser
chiper par le premier venu plus soumis,
plus flagorneur que lui; alors ils
crient, le Poirier, le Roy, le Lester,
le Mario, le Pratte, le Lapierre, le
Martineau et autres misérables : « Qu’on
le pende cet enfant, qu’on les pende
tous avant qu’ils ne nous aient fait
perdre nos emplois fragiles. Voyez,
patrons Desmarais, Péladeau, Charest,
Harper, je bègue plus fort que tous les
autres aspirants. ».
Tous les jours sur les chaînes télé,
chaque matin dans les quotidiens, les
relayeurs des scribouilleurs sur le
terrain, les experts en tout et en rien
du tout, faisant fi de leur déontologie
et de leur feuille de vigne
d’objectivité, se transforment en
éditorialistes et s’appesantissent sur
la « nouvelle », cherchant à lui faire
dire le contraire de ce qu’elle appelle.
« Le gouvernement indifférent a tout
fait pour s’entendre avec les étudiants,
disent-ils. Les étudiants ont tout fait
pour perdre leur session, leur argent et
leur avenir. Ils veulent étudier « pour
ne pas étudier » et n’être jamais
diplômés, disent-ils. Les jeunes se
battent très fort pour la gratuité
scolaire, juste pour faire l’école
buissonnière, disent-ils; et autres
salmigondis, disent-ils ».
L’ÉTONNEMENT
DES BIEN PENSANTS
Comprenez l’étonnement de tous ces
bien-pensants. Ces jeunes gens ne
respectent ni monsieur le Premier
Ministre, ni son excellence le
milliardaire en coulisse, ni les députés
dévoyés, ni les juges soudoyés, ni les
journalistes enrégimentés, ni les
policiers armés-meurtriers, ni les
recteurs surpayés, ni les spéculateurs
contributeurs, ni les maires
prévaricateurs, ni les analystes
enragés. Mais à la fin, qui
respectent-ils ces étudiants ? Leur père
ouvrier, leur mère mortifiée, leurs
camarades solidaires – grévistes pour la
justice et contre la hausse des droits
de scolarité - toutes gens inconnues que
l’on a jamais vues à la télé de Péladeau
ni dans la grosse Presse à Desmarais, ni
à Radio-Can à Harper.
Et ces biens pensants de pontifier :
« Nous, pauvres gens, nous avons
toujours ployé l’échine devant les
puissants, pourquoi ces enfants ne
peuvent-ils en faire autant ? Ils ne
peuvent vaincre les anges de la mort –
nous avons essayé et nous avons été
écrasés, ils le seront tout autant ».
Jean Charest sait que sa carrière
politique se termine ici, qu’à Sagard
ils ont déjà décidé de le congédier pour
son incapacité à gouverner, qu’il faudra
rapidement le remplacer et qu’il ne lui
reste que l’indignité de transmettre à
son successeur cet héritage désastreux.
Pourtant, il doit gagner du temps pour
préparer la place de son adjudant. Voilà
pourquoi il édicte sa « Loi 78 » pour
mépriser – casser – écraser ces jeunes
qui pourtant ne peuvent être vaincus.
Dans un mois, dans six mois, dans
deux ans, dans cinq ans, ils reprendront
le combat, à moins que la société
québécoise ne se résigne à vivre
éternellement sous cette loi des
mesures de guerre qui ne dit pas son nom.
Et même sous cette loi, la résistance
est encore possible, le maquis urbain
menace tous ces larbins qui demain se
demanderont ce qui survient soudain au
pays de Maria Chapdelaine, du Survenant,
de Ti-Coune Charest et des Partisans.
Ti-Jean prétend vouloir assurer
l’accessibilité de l’éducation pour tous
et, pour ce faire, il présente une loi
ignoble (Loi 78), mais alors pourquoi
attaquer l’accessibilité à
l’enseignement par une hausse des droits
de scolarité qui chassera plus de 7000
étudiants par année des universités ?
Simple, Ti-Jean, décrète le gel des
droits de scolarité et le tour est joué.
Si ce n’est pas toi ce sera ton Juda qui
le fera. Les jeunes peuvent être
matraqués mais ils ne peuvent être
battus.
NE TOUCHEZ PLUS À NOS
DESCENDANTS, MANANTS!
(Signé par un carré rouge et
blanc)
Publié sur
Dazibaoueb
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