Opinion
La bataille de
l'euro
Robert Bibeau
Robert
Bibeau
Mercredi 10 octobre
2012
La
gabegie des profits
La présente crise de l’Euro et de
l’Euroland résulte d’une bataille entre
les ploutocrates européens et leurs
alliés et concurrents étatsuniens pour
le contrôle des marchés internationaux.
Quelle sera la devise du commerce
international, le dollar ou l’euro ?
Il faut se rappeler que la classe
capitaliste monopoliste dirige à la fois
l’économie, la politique et qu’elle
contrôle aussi l’idéologie, la culture
et les mass médias en Europe comme dans
tous les pays capitalistes. Le
prolétariat n’a pas voix au chapitre
dans cette guerre inter-capitaliste,
alors de grâce que l’on cesse de blâmer
les ouvriers pour cette gabegie de
profits en chute libre!
La classe ouvrière, faute de son
Parti de classe sûr, expérimenté,
reconnu et influent, ne contrôle rien et
elle agit en observateur circonspect de
ces tribulations politiques et de cette
saga économique, réagissant
instinctivement au gré des événements.
L’Euro – la monnaie de l’Euroland –
est depuis longtemps un projet financier
structurant voulu et imposé par un
groupe d’oligarques financiers européens
afin de doter l’espace de Schengen d’un
instrument économique et commercial
puissant leur permettant d’affronter
leurs alliés et concurrents, d’abord
étatsuniens, ensuite asiatiques. Il
importe peu qu’au commencement certains
dirigeants américains aient
hypocritement soutenu la construction de
l’Euroland; le parrain n’embrasse-t-il
pas le capot avant d’ordonner de
l’assassiner ?
Dès l’origine, le plan de la caste
des financiers européens était simple :
forger l’unité commerciale,
industrielle, financière et politique de
l’Europe capitaliste en créant un vaste
marché unique (500 millions de
citoyens-producteurs-consommateurs) et
une vaste zone d’expropriation exclusive
de la plus-value ouvrière normée, avec
répartition différentiée des moyens de
production et d’échanges (à l’Allemagne
est réservée les machines-outils et la
chimie; à la France l’aéronautique et
les produits d’opulence; à la Suède la
métallurgie; à la Pologne le « cheap
labour », et les plombiers, à la Grèce
les grands chantiers, à l’Espagne le
tourisme et l’immobilier, etc.) (1).
La
crise des « subprimes » et le risque de
la dette souveraine
La soudaine crise économique et
financière de 2008 – qui a fait
disparaitre 2000 milliards de dollars de
capitaux spéculatifs frauduleux et
détruit des millions d’emplois de par le
monde – a surpris les mandarins de
Bruxelles, les financiers de Paris et
les politiciens de Berlin et offert aux
américains l’occasion d’attaquer leur
allié et concurrent monétaire européen
(2).
La surprise fut telle que le dollar –
dont la valeur reste inférieure à l’Euro
– est encore présenté, par les
économistes patentés, comme une valeur
refuge. Les chinois eux ne s’y trompent
pas, ils sont en voie de liquider leurs
derniers billets verts plombés avant la
grande dévaluation de ce numéraire par
la FED (3).
Le crash boursier de 2008 a donc
surpris les oligarques en plein
processus de structuration,
d’harmonisation, de réglementation et de
gestion de l’Euroland en cours
d’édification. L’ensemble des diktats
politiques, des contraintes budgétaires,
des garde-fous administratifs, des
mécanismes de contrôle et de validation
n’avaient pas eu le temps d’être
consolidés en prévision de ce choc
boursier.
Depuis, le système monétaire «
Euro-péen » risque d’être emporté par la
tempête du surnuméraire (la dette
souveraine et l’argent spéculatif
fictif). Nonobstant ce danger les
politiciens et les mandarins de
Bruxelles, au service des grands
capitalistes financiers européens, ont
d’abord tenté de colmater la brèche
athénienne, pompant les crédits par
milliards dans les coffres des banques
compromises par cette dette souveraine,
l’objectif étant de renflouer le rafiot
des armateurs et des banquiers
helléniques. C’est ce que les
économistes bourgeois ont appelé la «
mutualisation » de la dette souveraine
européenne, avec en tête le projet de
créer les « eurobonds », ce qui
surviendra le jour où les canards
boiteux auront été chassés ou mis en
coupe serrés. De ce fait même ils ont
aggravé la crise inflationniste du
surnuméraire dans ce que Richard McGuire,
analyste chez Rabobank, appelle « la
spirale de la mort » et que l’économiste
américain Joseph Stiglitz caractérise
comme « l’économie vaudoue (…) Le
système fait que le gouvernement (grec,
espagnol, irlandais, italien, NDLR)
renfloue les banques et que les banques
renflouent le gouvernement. » (4).
Sur ces entrefaites les agences de
notation américaines s’invitèrent dans
cette galère et envenimèrent la
situation en abaissant la cote de tous
les pays du vieux continent, jusqu’à et
y compris l’Allemagne pourtant en
excédent dans sa balance des paiements.
Ce faisant, le renard américain sema la
panique dans le poulailler européen.
Cependant, la classe ouvrière n’a pas à
prendre parti pour l’une ou l’autre des
deux parties. Elle serait toutefois bien
avisée de prendre acte de cette bisbille
dans le camp opposé.
Chasser la
Grèce de l’Euroland
La première manche de la guerre de
l’Euro se termina par un KO.
S’apercevant que d’autres pays faillis
hantaient les corridors de la Banque
Centrale Européenne – des pays
désavantagés par la division
internationale du travail au sein de
l’Union – les bonzes de Bruxelles, de
Paris et de Berlin décidèrent
d’abandonner l’épave grecque aux flots
de la Mer Égée déchaînée. Ils lui
posèrent de telles conditions pour
demeurer au sein de l’Union qu’ils
espéraient que le peuple grec allait
répudier l’entente négociée avec les
malandrins athéniens.
Plus malin qu’eux, le 12 juin 2012,
le peuple hellénique décida de donner
mandat à quelques malfrats de renégocier
le contrat d’austérité préalablement
signé. Le peuple grec avisé estima qu’il
valait mieux mener sa guerre de classe
de résistance de l’intérieur de
l’Euroland plutôt qu’à l’extérieur (5).
Aujourd’hui, les nababs de Paris,
Berlin et Bruxelles attendent patiemment
que le gouvernement grec remette le
rapport sur ses efforts pour briser la
résistance des Partisans du Pirée contre
la succession de plans d’austérité, tous
rejetés par les ouvriers enragés. Alors
ils expulseront le larron grec sans
pardon comme ils le feront pour toutes
les nations qui refuseront les
politiques d’austérité drastiques des
centurions de l’Élisée. Ces manants
espèrent ainsi sauver leur monnaie
commune ; ce projet de marché
d’expansion impérialiste commun, d’abord
sur leur propre glacis de pays conquis –
néo-colonies (les ex-pays de l’Est),
puis d’appropriation des marchés
internationaux face à leurs concurrents
étatsuniens, japonais, chinois et
indiens (6).
La Grèce s’enlise dans un long
calvaire de cinq années de récession
dont une contraction du PIB de 6,8 % en
2011, et de 6,7 % en 2012. C’est 23,1 %
de chômage officiel, une dette
souveraine correspondant à 165,3 % du
PIB national pour laquelle l’exposition
des banques françaises est de 66
milliards d’euros. De son côté la dette
souveraine de l’Espagne se monte à 68,5
% de son PIB, dette en hausse d’environ
10 % annuellement. Le chômage atteint 25
% et le PIB recule de 1,5 % en
glissement annuel, avec un taux
d’emprunt obligataire de 7,5 %. Les
banques espagnoles sont plombées par 176
milliards d’euros de mauvaises créances
spéculatives. Au printemps 2012, la
Bankia, 4e banque du pays, a vu sa dette
« nationalisé » pour 23,5 milliards
d’euros publics, empruntés par le
gouvernement espagnol a un taux usuraire
de 6,4 %. Ce dernier compte donc
effectué 102 milliards d’économies dans
les services publics et réduire
l’allocation chômage de 60 à 50 % du
salaire alors que la TVA sera portée de
18 à 21 %. Et ce n’est pas fini, il
reste plusieurs banquiers espagnols à
emmitoufler et des millions d’ouvriers à
surtaxer. La situation n’est pas
meilleure en Italie (7).
Pourtant, le Président chinois en
visite récemment à Bruxelles, loin de
calmer le jeu, a confirmé qu’il
endossait et soutiendrait de ses crédits
ce projet de redressement de l’Euro et
de l’Euroland qui contrevient
directement à l’hégémonie du dollar
américain en déclin (8).
La
position politique ouvrière
Quelle doit être la position des
ouvriers au regard de cette guerre de
l’Euro qui fait rage dans le camp ennemi
?
Le problème ce n’est pas la quantité,
la qualité ou le coût des services
publics offerts à la population. Le
problème ce n’est pas le niveau d’impôts
payés par les ouvriers ou par les
privilégiés. Le problème ce ne sont pas
les travailleurs immigrés que les
capitalistes ont importés des pays
affamés pour provoquer la concurrence
sur le « marché» du travail des esclaves
salariés. Le problème ce n’est pas la
hauteur des barrières douanières et
tarifaires visant à protéger les marchés
d’exploitation libéralisés. Le problème
ce n’est pas de ployer sous la tyrannie
de l’euro, du dollar, du franc ou de la
livre sterling. Tout ceci est la
conséquence et non pas le motif de la
bataille de l’euro. Le problème c’est la
politique impérialiste expansionniste
européenne et le système capitaliste de
reproduction élargie qui ne parvient
plus à livrer les fruits promis (9).
Le prolétariat (à travers son parti
de classe s’il existe) n’a pas à
quémander la tenue d’un référendum
«citoyen», ni besoin d’appeler à des
consultations populaires à propos des
plans d’austérité. En quoi est-il utile
que les ouvriers se brouillent et
s’embrouillent sur la réponse à servir à
ces projets d’austérité que la
bourgeoisie présente chaque fois comme
inévitables. La « solution finale » aux
maux du capitalisme c’est la fin du
capitalisme.
Que les capitalistes se débrouillent
et se brouillent avec leur guerre
monétaire contre le dollar, contre le
yuan et contre le yen et qu’ils sauvent
leur peau s’ils y parviennent! Les
ouvriers s’objectent à tout programme
d’austérité pour faire payer le peuple
et les travailleurs pour la crise de
surproduction de ce système moribond qui
ne parvient plus à assurer sa
reproduction, et encore moins son
expansion (10). La bourgeoisie ne peut
sauver ce système sclérosé, alors qu’ils
s’écartent ces ploutocrates, le
prolétariat fera mieux que ces
scélérats.
Les partisans ne doivent pas berner
les ouvriers ni les employés avec cette
pseudo « solution » que présentent le
Front National et le Parti Communiste
Français qui consiste à prêcher la
sortie de l’Union européenne et de
l’euro pour favoriser le développement
d’un capitalisme vernaculaire français
(bleu-blanc-rouge et coq gaulois). Le
capitalisme primitif – national et
concurrentiel – à évolué naturellement
vers le capitalisme monopolistique, puis
vers l’impérialisme triomphant, puis
vers l’impérialisme décadent. Ce n’est
pas la mission de la classe ouvrière de
revenir futilement en arrière pour
sauver le système capitaliste en
perdition. La mission historique des
ouvriers est plutôt de mettre fin aux
souffrances de la bête en l’éradiquant.
Le dilemme ce n’est pas de choisir le
modèle de capitalisme, le dilemme c’est
de décider de renverser le capitalisme.
(1)
http://fr.wikipedia.org/wiki/Union_europ%C3%A9enne
(2)
LEAP/E2020 21.12.2008. Rapport.
http://www.europe2020.org/
(3)
http://www.alterinfo.net/La-Chine-envisage-de-sextupler-ses-reserves-en-or_a80043.html
(4)
http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lections_l%C3%A9gislatives_grecques_de_juin_2012
(5)
Vincent Gouysse. (2012).
2011-2012 : Reprise de la crise !
http://marxisme.fr/reprise_de_la_crise.html
Page 92.
(6)
Vincent Gouysse. (2012).
2011-2012 : Reprise de la crise !
http://marxisme.fr/reprise_de_la_crise.htm
(7)
Vincent Gouysse. (2012).
2011-2012 : Reprise de la crise !
http://marxisme.fr/reprise_de_la_crise.html
Page 91-95.
(8)
http://www.lematin.ch/monde/La-Chine-accepte-de-reduire-ses-emissions-de-CO2/story/15504789
(9)
http://les7duquebec.org/7-au-front/la-crise-economique-dans-tous-ses-mefaits/
(10)
http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/faisons-payer-les-riches-123656
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