Opinion
Les héritiers
d'Héraclès et le ménage des écuries
d'Augias (Grèce)
Robert Bibeau
Mercredi 6 juillet
2011
L’État grec, après avoir essuyé la dette
privée des banquiers;
après avoir subventionné les armateurs
endettés; après avoir épongé le déficit
de l’industrie touristique;
après avoir dilapidé 160 milliards de
dollars pour acheter de l’armement
se trouva fort dépourvu lorsque la crise
monétaire fut venue (1). Plus de revenus
pour fournir les services convenus
(pourtant moins de 4 % du budget grec
est consacré à l’éducation) et
d’immenses besoins financiers pour
rembourser ces dettes privées
soudainement étatisées. Qu’à cela ne
tienne, le peuple grec fut inculpé de
duplicité, accusé de frauder le fisc et
soupçonné de se traîner les pieds pour
renflouer les riches affamés.
Le
premier ministre « socialiste »
Papandréou se prosterna au guichet de
l’assistance internationale afin
d’obtenir un prêt de la nouvelle pythie
du FMI. Après remontrances, celle-ci
s’exécuta non sans exiger – les dettes
privées étant maintenant socialisées –
que
les actifs étatiques soient dorénavant
privatisés. Le cerbère promit de
sévir et de matraquer sans pitié tous
ceux qui refuseraient de rembourser de
leurs deniers cette dette collectivisée.
La guerre de classe venait de
s’envenimer.
Ici à Athènes – Place Syntagma –
l’avenir du monde capitaliste est remis
en cause. Le travail et le capital
s’affrontent sans fard, sans utopie
« démocratique » bourgeoise,
directement, face à face, et l’un des
deux devra peut-être disparaître pour
que l’autre survive.
La
révolte populaire pourrait tourner à la
révolution, non pas parce que quelques
« bobos » sont venus crier leur émoi et
leur effroi devant le soulèvement
acharné des classes opprimées face aux
banquiers indifférents au sort fait aux
petits-bourgeois chagrinés de perdre
leurs privilèges momentanés – ces
« bobos » irrésolus à sacrifier leurs
biens pour sauver la société
« démocratique » qu’ils ont tant aimée
et qui les a reniés. La grande
bourgeoise a autre chose à faire que de
sauver ces sous-fifres dociles. C’est
aux petits-bourgeois de marquer leur
allégeance et de manifester leur foi
indéfectible dans ce système
« démocratique bourgeois » qui leur a
tant donné et qui aujourd’hui menace de
tout reprendre.
Alors les « bobos » font leur travail et
crient au rétablissement de leurs
privilèges usurpés. Il y a quelques
années l’Argentine a vécu ce calvaire et
aujourd’hui encore elle peine à rétablir
les privilèges des « bobos », des
aristocrates syndicaux et de toute cette
coterie de collaborateurs chargés de
protéger le système capitaliste de la
colère populaire. Tous ceux-là, la
grande bourgeoise les récompensera s’ils
parviennent à apaiser la grogne de la
rue. Le pourront-ils, le sauront-ils ?
Ils s’y emploient pourtant, déclenchant
une grève de ci de là (la moins longue
possible), mais la conscience de classe
est ici trop aiguisée pour que les
« bobos » puissent se déliter en toute
tranquillité. Les jeunes et les
travailleurs sont enragés; ils
s’attaquent aux temples de la renommée
et s’en prennent au cénacle de la
propriété privée (2).
Les ouvriers, les jeunes, les
travailleurs salariés, même ceux qui ont
été dupés par des bureaucrates syndicaux
vendus, se laissent de moins en moins
berner par les discours pour
réconcilier. Tous comprennent que la
grande échauffourée,
l’ultime bataille, est engagée, non
pas à Benghazi ni à Tripoli, non pas au
Caire ni à Tunis, mais ici, à Athènes,
où le prolétariat grec fait face seul,
mains nues, à toute la réaction mondiale
impérialiste, non pas pour
obtenir le droit ridicule de « voter »
pour le polichinelle qui liquidera leurs
revendications de classe, mais pour
s’emparer des rênes du pouvoir d’État
afin de construire un autre monde,
radicalement différent du précédent.
Nous sommes ici au cœur de
l’affrontement entre le monde du travail
et le monde du capital,
l’ultime contradiction, sans fard, sans
retenue, sans faux-fuyant, la
confrontation suprême entre deux univers
irréconciliables, irréductibles,
antagonistes, une révolution pour la vie
ou pour la mort du peuple grec.
C’est ici à Athènes que cette nouvelle
altercation historique commence par une
bataille sur le front économique.
Sauront-ils en faire une lutte politique
révolutionnaire pour la conquête du
pouvoir
d’État ? Qui représente ici le futur
? Le capital décadent et ses sbires élus
« pseudo démocratiquement » ou le
travail et ses représentants populaires,
issus de ses rangs, et prêts à mourir
pour le futur, pour la classe ouvrière
et pour le peuple grec ?
Le
roi est nu, il s’expose ici à Athènes,
en plein cœur de la patrie de
l’esclavagisme libertaire et de la
démocratie aristocratique; il dévoile
son vilain visage d’exploiteur et de
spoliateur esclavagiste.
Il n’est pas étonnant que l’histoire ait
décidé que la révolte populaire de masse
– en Occident – débuterait ici au Pirée,
la patrie des penseurs esclavagistes du
siècle des lumières aristocratiques.
Comme la petite bourgeoise leur tiendra
rigueur à ces jeunes de ne s’inspirer ni
de Socrate, ni d’Aristote, ni de
Sophocle, ni de Démosthène, ni de leurs
Dieux vengeurs !
Le
monde a fait de grand progrès depuis
cette époque révolue. Aujourd’hui une
nouvelle classe révolutionnaire se
dresse face à l’histoire pour réclamer
son dû, le pouvoir d’État, le
renversement de l’ancienne classe
bourgeoise dégénérée qui doit maintenant
faire place au nouveau Jupiter
populaire. L’oracle aura dit vrai,
l’histoire de l’humanité progresse,
camarades Grecs « Voici la rose,
dansez ». Dansez pour que, juchés sur
les barricades de la liberté et de la
dignité, nous puissions admirer votre
ballet révolté. Quand viendra
notre
tour, saurons-nous chausser vos grands
souliers ?
(1)
De
2005 à 2008, la Grèce a doublé la valeur
de ses emprunts pour payer des armes
dont elle n’avait pas besoin. Selon une
recherche conjointe de juges grecs et
allemands, les vendeurs d’armes ont
utilisé la corruption pour s’assurer la
collaboration d’importants hommes
politiques, de fonctionnaires et de
chefs militaires. L’argent emprunté pour
acheter ces armes vient des mêmes pays
d’où proviennent les armes, soit les
États-Unis, la France et l’Allemagne. De
2005 à 2008, les prêts consentis à la
Grèce pour l’ensemble de ses obligations
ont atteint la somme astronomique de 160
000 millions de dollars. Pour un pays de
11 millions d’habitants c’est peu dire.
Avec cet argent la Grèce a amplement de
quoi payer la facture de 3000 millions
de dollars en hélicoptères de combat
français, 2000 millions de dollars en
avions de combat étasuniens, plus ou
moins le même montant pour les avions
Mirage français et presque le triple en
sous-marins allemands.
http://www.legrandsoir.info/l-endettement-de-la-grece-au-profit-des-industries-militaires.html
(2)
http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/326618/grece-les-raisons-d-une-mobilisation-sans-precedent-aganaktismeni?utm_source=infolettre-2011-07-02&utm_medium=email&utm_campaign=infolettre-quotidienne
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