Opinion
Grèce, comment sortir de la crise ?
Robert Bibeau
Mercredi 6 juin 2012
LA CRISE
GRECQUE
La crise grecque
est très complexe, la voici résumée en
ses quelques éléments. L’ensemble du
monde impérialiste est en cours de
réorganisation et l’économie grecque
compte pour une fraction de un pour cent
dans cette tragédie de Sophocle. On se
détend bonne gens, l’effondrement du
Parthénon serait tragique du point de
vue archéologique mais sans grand
dommage pour l’économie mondiale. La
mise en scène médiatique entourant la
crise grecque ne vise qu’à faire
accepter les sacrifices d’austérité
demandés au peuple hellène et à faire
avaler le renflouement des banques
européennes par le peuple allemand.
Depuis l’entrée en
scène de la superpuissance industrielle
chinoise, une nouvelle division
internationale du travail est en cours –
les marchés internationaux sont l’objet
d’âpres disputes entre quelques grandes
alliances impérialistes dont une seule
ressortira hégémonique au terme de ces
hostilités, les autres devant se
résigner à être les deuxièmes de cordée.
C’est exactement ce qu’anticipait
Georges W. Bush, un homme pas très
intelligent mais très obéissant, qui
répétait inlassablement : « Je ne
laisserai aucune puissance nous ravir
l’hégémonie mondiale et le rôle de
première puissance internationale »,
serment qu’Obama renouvela à l’occasion
de son dernier discours sur l’État de
l’Union devant le Congrès américain.
Qu’à cela ne tienne, l’hydre
américaine n’a plus que sa puissance
militaire-nucléaire
pour maintenir son hégémonie planétaire.
Du point de vue économique cet État est
devenu une puissance de deuxième ordre
qui se prépare tout doucement à dévaluer
sa monnaie pour la nième fois. Du point
de vue industriel, le lilliputien
états-unien n’est plus que l’ombre de ce
qu’il était à la fin de la Seconde
Guerre mondiale. Vous souhaitez acheter
un ordinateur Made in USA ? Appelez à
Taiwan, il vous sera livré directement.
Vous désirez le dernier ‘Ipod’ à la mode
? Passez commande chez Apple, en Inde,
et il vous sera livré directement de
Chine «socialiste», et ainsi de suite.
Il n’y a que les sièges sociaux d’Apple,
de Google et de
Facebook qui se trouvent encore
aux États-Unis, ainsi qu’une partie de
leurs actionnaires « tondeurs de coupons
» qui déposent leurs avoirs dans des
banques étrangères. Pas fous les
milliardaires états-uniens, la
dévaluation du dollar US ce n’est pas
leur affaire, de même que la galère
grecque ne concerne guère les armateurs
athéniens (1).
ÉCONOMIE
FICTIVE ET INTANGIBLE
Facebook, la toute
dernière bulle boursière américaine, a
éclaté avant même que d’être gonflée. Et
vous pouvez parier que les boursicoteurs
de Morgan Stanley et leurs amis
initiés sauveront leurs mises tandis que
les milliers de petits porteurs, les
investisseurs au « bas de laine »
spéculatifs, perdront leur chemise et
leurs bas dans l’opération. Les experts
des médias sociaux se perdent en
conjectures dans une dernière tentative
d’accréditer le mythe du capital
technologique de risque – de l’industrie
des médias sociaux et de l’économie du
savoir pour les poires (2). Une
entreprise du secteur quaternaire, ne
vendant strictement que de la publicité
et ne valant quasiment rien d’un point
de vue mobilier et immobilier, ne peut
s’apprécier de dizaines de milliards de
dollars en quelques jours ? Combien de «
Hedge Funds » – fonds de pension
ouvriers – auront dilapidé les économies
de leurs clients dans cette aventure
nébuleuse quand se dégonfleront la
nébuleuse « Facebook » et toutes les
étoiles filantes inscrites à la bourse ?
(3)
Pendant ce temps la superpuissance
industrielle chinoise construit des
navires, des ordinateurs, des
automobiles, des éoliennes, des ponts et
des voies publiques, des cales sèches,
des aéroports, des hôpitaux, des écoles,
des vêtements, des ustensiles de
cuisine, des appareils ménagers, des
réacteurs nucléaires, des porte-avions,
des hélicoptères, des satellites et un
million de produits à exporter sur tous
les marchés. À votre avis quelle
puissance impérialiste détient la
recette de la richesse et de
l’accumulation élargie du capital par la
confiscation de la plus-value du
travail, la Chine industrielle ou les
États-Unis boursicoteurs ? Les circuits
économique, industriel, financier et
boursier sont aujourd’hui
court-circuités par l’arrivée d’un
nouveau joueur majeur qui redéfinit les
taux de profitabilité des
investissements capitalistes. C’est
aujourd’hui le niveau d’exploitation des
ouvriers chinois qui définit la norme
minimale recherchée par les
investisseurs capitalistes
internationaux.
LA GRÈCE
EMBARRASSANTE OU L’EURO ENCOMBRANT ?
Le contexte économique, politique et
militaire mondial ayant été esquissé,
examinons maintenant notre patient, la
Grèce et ses euros encombrants.
Analystes et économistes de salon y vont
de leurs prédictions : « Faillite
imminente de la Grèce », « Ombre sur la
Mer Égée », « Rififi à Athènes », «
Vivement la drachme ! », « Hors de
L’Euro point de salut ! » (4). Ces
camelots prétentieux qui ne parviennent
jamais à anticiper quoi que ce soit
pourraient passer pour des humoristes si
ce n’était que le peuple grec souffre de
l’autre côté du miroir de ces alouettes
« expertes » (5). Oublions ces
polichinelles en dentelles et attaquons
la question de front. Concrètement nous
examinerons les différentes options qui
s’offrent aux décideurs.
*******
Première hypothèse :
Dans cette hypothèse nous imaginons que
les ouvriers grecs et le peuple grec
tout entier se résignent, se soumettent
aux restrictions draconiennes, acceptent
les réductions de salaires et de
services publics, ploient sous le
fardeau bancaire mortifère.
L’économie grecque est ainsi ramenée aux
conditions des années cinquante
(1950); de peine et de misère le peuple
grec rembourse petit à petit la dette
des banques grecques aux banques
européennes. Dans ces conditions, la
Grèce demeure misérable, exsangue, mais
subsiste à l’intérieur de la zone Euro,
et elle bénéficie du « privilège »
d’emprunter de fortes sommes – à taux
élevé (6,6 % et davantage) – aux banques
européennes pour rembourser les banques
européennes. Dans cette hypothèse il est
loisible d’imaginer que dans dix ans la
dette grecque sera probablement un peu
en-dessous de son niveau actuel alors
que les métèques grecs auront
continué à fuir le pays, s’expatriant
partout à travers le monde
comme ils le font depuis cent ans. Les
Grecs qui seront restés au pays
survivront grâce à l’aumône reçue des
expatriés acheminant leur salaire dans
la patrie saignée à blanc.
Selon cette hypothèse, un second
segment du peuple grec survivra grâce à
de petits emplois – bonnes, jardiniers,
hommes à tout faire, commissionnaires,
gardiens de sécurité, commis,
manutentionnaires, concierges – au
service des touristes venus contempler
la nouvelle ruine du peuple grec, ou
encore les métèques grecs peineront dans
les villas estivales et les haciendas de
vacances que les milliardaires et les
artistes européens se seront fait
construire pour une bouchée de pain face
à la mer Égée, la mer Ionienne ou en
Crète minoenne. Selon cet exemple, les
prolétariats de tous les pays européens
auront observé un modèle de soumission à
l’austérité des riches, par les riches
et pour les riches capitalistes selon le
vœu des impérialistes européens.
Seule ombre au tableau capitaliste de
cette solution utopique… Que feront les
prolétaires, les étudiants, les jeunes
chômeurs, la petite bourgeoisie et les
commerçants grecs restés au pays ?
Seront-ils toujours soumis ? Combien de
soldats, de colonels, de tanks et de
transports de troupes faudra-t-il pour
écraser les sporadiques révoltes de la
faim et de la misère du peuple grec en
colère ? Quel sera le coût de l’option
militaire contre ces forces grégaires ?
L’investissement répressif vaudra-t-il
son poids en Euros ? Et surtout,
la bourgeoisie grecque peut-elle compter
sur son armée pour réprimer le peuple
grec ? Rien n’est moins certain, sinon
les troupes seraient déjà sur les
chemins hors des casernes.
*******
Seconde hypothèse :
La Grèce est expulsée ou
s’expulse elle-même de la zone Euro,
ce qui semble le choix de la
bourgeoisie européenne qui promeut le
parti Syriza en
coulisse (6). Oubliez toutes ces
billevesées des pseudos experts qui vous
expliqueront que les traités européens
ne le permettent pas. Nous vivons sous
la dictature de la bourgeoisie qui
interprète et réaménage les traités
selon ses visées. Il n’y a là qu’un
petit problème technique qui, le temps
venu, sera vite résolu. Les riches ont
implanté l’Union sans demander
l’autorisation à quiconque, et là où ils
ont fait l’erreur de demander au peuple
ses humeurs, ils ont dû relancer la
question jusqu’à ce qu’ils obtiennent la
réponse attendue, ou alors, ils se sont
passés de l’accord des intimés. Voilà la
démocratie des marchés.
Afin d’illustrer l’effet
économique de cette seconde option,
nous allons nous transporter à 15 000
kilomètres du Pirée au pays d’Évita
Perron, l’Argentine des gauchos, du
tango et de la passionaria. Rien de tel
qu’un exemple concret pour comprendre
les manigances criminelles des
portefaix. Un jour de 1992, le méchant
président Menem, le larbin des
capitalistes argentins, institua la
parité forcée entre le peso argentin et
le dollar américain qui devient ainsi la
devise officieuse de l’Argentine selon
le système du
currency board. Dans un tel
système de change, la monnaie locale
(peso) n’est créée qu’en fonction
directe des entrées de dollars US dans
le pays. Après quelques années de ce
régime de dépendance, l’économie
s’effondra : 40 % d’inflation, 25 % de
chômage, 57% de pauvreté parmi le peuple
éploré, effondrement du marché
immobilier, récession catastrophique –
entre 5 % et 12 % annuellement (66 % en
cinq ans entre 1998 et 2003) –, gel des
comptes bancaires, confiscation des
épargnes des titulaires sauf ceux des
riches déjà transférés en Suisse.
La classe moyenne paupérisée ayant
disparu, crise sociale et concerts de
casseroles retentirent dans les rues.
Cinq présidents de pacotille se
succèdent à la barre du bateau ivre. Le
pays revient à sa monnaie nationale
après ce catastrophique mariage avec le
dollar américain. La banque centrale
rétablit le cours flottant avec les
monnaies étrangères et instigua une
dévaluation de 75 pour cent de la
monnaie nationale. C’est-à-dire que les
petits épargnants, les retraités et les
travailleurs encore en emploi ont vu
leur pouvoir d’achat s’effondrer des
trois quarts, pendant que ceux sans
emploi recevaient une ridicule
assistance d’urgence (100 peso par
foyer, dévaluée mensuellement) (7).
LA
BOURGEOISIE NATIONALE TENTE D’EN
RÉCHAPPER
Après tant de sacrifices voilà qu’une
nouvelle passionaria a été mise en selle
par une union nationale de salut public,
un caléidoscope politique allant du brun
péroniste au rouge-brun pseudo
communiste. En octobre 2011, madame
Christina Kirchner a été réélue à la
présidence de l’Argentine monétarisée et
revenue à son peso patriotique garant de
toutes les escroqueries. Après cette
descente aux enfers, voici que le peso
argentin pousse l’économie à un train
d’enfer – 8 % de croissance annuelle
entre 2003 et 2011 – mais voilà que 2012
marque un coup de frein dans le «
miracle » argentin. L’Argentine
avait pensé qu’elle pouvait se
développer au sein de l’économie
impérialiste mondiale mutualisée,
qu’elle pouvait envahir les
marchés étrangers –
l’exportation étant le ferment de la
croissance impérialiste décadente – et
qu’elle pourrait fermer ses frontières à
la concurrence étrangère. Le Brésil, son
premier client, vient de lui rappeler
par des mesures de rétorsion que ce qui
est requis pour elle est aussi requis
pour lui (exporter). Sous peu, le
prolétariat argentin aura à faire face
aux salaires de famine de la Chine qui
elle aussi exportera en Argentine. Exit
l’éphémère résurrection argentine.
Le scénario du peso argentin
risque fort de tracer le chemin de la
drachme grecque. Une monnaie
n’est jamais que le reflet de la
vitalité d’une économie et de ses
capacités concurrentielles dans un
système économique corrélatif.
L’économie impérialiste mondiale est
ouverte, inter reliée, interdépendante,
concurrentielle, internationalisée et
les ouvriers du monde entier sont mis en
concurrence les uns contre les autres
pour produire le maximum de plus-value
au salaire le plus bas qui soit (coût
minimum de reproduction de la force de
travail). Le travail étant le
seul vecteur pouvant produire de la
valeur, c’est dire l’importance
de la variable salaire dans la
localisation des forces productives, des
moyens de production, des usines et des
industries.
Que la capacité
concurrentielle d’exportation de
l’économie grecque soit comptabilisée en
euros ou en drachmes ne changera rien au
fait que dans la division internationale
du travail le prolétariat grec
endetté, ayant dépensé hier les revenus
qu’il n’empochera pas demain, peut
difficilement concurrencer le
prolétariat chinois ou indien. Comme le
développement d’une industrie lourde
nationale – production de
machines-outils et de moyens de
production – à l’abri de barrières
tarifaires est interdit en système
impérialiste, il n’y a aucun espoir que
la Grèce suive sa propre voie de
développement économique.
LA CRISE DE
L’EURO
Ce que l’on appelle la crise de
l’Euro est en fait une crise globale de
tout le système impérialiste
d’exploitation et d’exportation. Il
prend la forme d’une crise monétaire car
la monnaie est l’unité de mesure et le
véhicule de l’activité économique, des
tractations commerciales et des
transactions financières.
Présentement, tous les
efforts des banquiers, des financiers et
des boursicoteurs européens visent à
dissocier d’urgence la destinée de
l’Euro de celle du dollar américain
avant l’effondrement de ce dernier.
L’économie grecque surendettée est la
première victime de ce combat de titan.
Bruxelles et Berlin, les capitales où
siège l’État-major exécutif du
gouvernement des riches et des puissants
européens se doivent de briser la
résistance grecque car demain ce sont
les espagnols, les portugais, les
italiens, les britanniques et les
français qui suivront leur exemple de
résignation ou de contestation.
Où pourront-ils investir leurs
capitaux licites et illicites, ces
milliardaires, ces propriétaires des
moyens de production et des réseaux de
transport, de distribution et de
commercialisation ? Planquer son fric
sous des pavillons de complaisance et
dans des sanctuaires fiscaux
internationaux n’est qu’une solution
temporaire. Les capitaux ne
peuvent fructifier, faire produire de la
plus-value et engendrer des profits
quand ils sont tapis au fond d’un casier
dans une banque aux îles Caïmans.
Les capitaux accomplissent leur cycle de
reproduction élargie lorsqu’ils sont
réinjectés dans le processus de
production et de circulation des
marchandises et qu’ils trouvent preneur
pour réaliser-concrétiser la valeur
ajoutée et la profitabilité.
Voilà que dans un petit pays de
Méditerranée un peuple très ancien,
gloire de l’antiquité occidentale, se
rebiffe et refuse de baisser les bras et
de voir ses conditions de vie et de
travail péricliter et rétrograder de
cinquante ans. Du Pirée à Thessalonique,
de Rhodes à Corfou, quelques millions
d’ouvriers refusent simplement d’être
sacrifiés aux ajustements structurels et
financiers des économies parasitaires.
Il lui faudra à ce peuple songer à la
seule option d’avenir, de paix et de
progrès qui reste : sortir du système
économique capitaliste décadent,
inefficace, gaspilleur et destructeur de
richesses pour construire la seule
solution qui vaille, un système
économique nouveau – socialisé –.
(1) Sortie de
devises des banques grecques :
http://www.francesoir.fr/actualite/economie/crise-grecque-paniques-les-grecs-retirent-leur-argent-des-banques-226667.html
(2) Facebook
spéculation des experts nouveaux-médias.
http://www.lemonde.fr/technologies/article/2012/05/24/entree-en-bourse-de-facebook-les-raisons-d-un-fiasco_1706425_651865.html
(3) Facebook la fumisterie :
http://www.lemonde.fr/idees/ensemble/2012/05/31/facebook-entreprise-utopique-ou-illusoire_1710227_3232.html#ens_id=1710227
(4) Experts en
goguette s’auto-aspergeant à propos de
la crise grecque :
http://www.lemonde.fr/idees/ensemble/2012/05/24/quelle-sortie-de-crise-pour-la-grece_1706345_3232.html
(5)
http://contreinfo.info/article.php3?id_article=3227
et
http://contreinfo.info/article.php3?id_article=3224
et
http://www.m-pep.org/spip.php?article2597
et
http://www.slate.fr/lien/54913/crise-grecque-drachme-retour-banques
(6) Syriza.
http://www.lapresse.ca/international/europe/201205/13/01-4524791-la-grece-se-dirige-vers-de-nouvelles-elections.php
(7)
http://fr.wikipedia.org/wiki/Crise_%C3%A9conomique_argentine
(8)
http://blog.mondediplo.net/2012-05-24-Euro-terminus
Publié sur
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