Opinion
Les caprices de
Benjamin Netanyahu
Robert Bibeau
Benjamin Netanyahu
Jeudi 4 novembre 2010
Shlomo Sand, cet historien
israélien qui a déconstruit le
mythe de l’exode et de
la dispersion des judéens, des cananéens et des pharisiens (les
peuples de religion juive selon la Bible) et exposé le
mythe du « retour des juifs en
Palestine », une terre qu’ils n’ont jamais quitté (1),
n'a, semble-t-il, rien compris aux « pourparlers directs » en
cours entre le Président Mahmoud Abbas de l’Autorité
palestinienne dont le mandat est échu depuis dix huit mois, et
le Premier ministre Benjamin Netanyahu.
Nous reproduisons ici un
extrait de sa dernière allocution : « Dans les négociations qui
semblent se dérouler entre Israël et les Palestiniens, Benyamin
Netanyahu exige de son partenaire de négociation qu’il
reconnaisse Israël comme État juif.
On peut comprendre que notre Premier ministre, un homme qui se
montre si peu pratiquant, n’est peut-être
pas sûr de son
identité juive, d’où son
incertitude quant à l’identité de son État et
son besoin
de chercher une reconnaissance de la part de ses voisins. » (2).
Shlomo
Sand n’a rien compris, pas plus que Gidéon Lévy d’ailleurs qui,
dans un article du journal Haaretz, écrivait récemment :
« Un destin qui va dépendre d’une prestation de serment à un
État juif...
Cela peut transformer le pays en une théocratie,
comme l’est l’Arabie Saoudite. Rappelez-vous de ce jour.
C’est le jour où Israël peut changer de nature.
Il peut aussi par conséquent changer son nom au profit de « République
juive d’Israël »,
comparable à la République islamique d’Iran. » (3).
La démocratie est en danger en Israël conclut Gidéon Lévy.
Que ces intellectuels se rassurent, Israël ne changera pas de
nature, par contre, il changerait de statut s’il n’en tenait
qu’à Netanyahu, mais ce « caprice » du Premier ministre ne
risque pas de se réaliser. Il ne fait aucun doute que les
intégristes judaïques au pouvoir à Tel-Aviv souhaitent
officialiser dans les textes et par des proclamations publiques
la création, il y a 62 ans suite à la Nakba, de la « République
juive d’Israël » sur les terres arabes de Palestine. Mais ce
n’est pas pour l’heure l’objectif premier de Netanyahu.
Pour comprendre quel est
l’objectif véritable de Netanyahu par cette exigence d’une
reconnaissance d’Israël en tant qu’État juif,
d’abord par les israéliens eux-mêmes et ensuite par les
Palestiniens, il faut se reporter aux négociations de Taba en
janvier 2001 dont les présents « pourparlers directs » ne sont
que la continuation comme celles-là avaient été le prolongement
des Accords d’Oslo.
On constate en effet une grande cohérence dans la démarche des
divers gouvernements sionistes en terre palestinienne, quelque
soit le parti au pouvoir à Tel-Aviv. « La rédemption de la
terre » que les intégristes religieux juifs recherchent
ouvertement a toujours été la politique officieuse de l’État
colonial israélien. Ariel Sharon ne disait-il pas : « Prenez
toute la terre que vous pourrez. Ce que nous prendrons sera à
nous. Ce qu’ils conserveront sera à eux ». Moshe Dayan
proclamait quant à lui : « Tous ceux qui voudront partir de
cette terre, nous les aiderons à partir; ceux (les Palestiniens)
qui resteront vivront comme des chiens. ». Bref, le plus de
terre possible avec le moins d’arabes possible, telle est la
devise de l’entité sioniste depuis sa création en tant que
colonie occidentale au Proche-Orient (4).
Benjamin Netanyahu ne fait que
poursuivre par ces « pourparlers directs » les objectifs que
Sharon poursuivait par sa répression sanguinaire de l’Intifada,
ou qu’Ehud Barak poursuivait dans les négociations de Taba.
Aux négociations de Taba (2001), Barak avait mandaté les leaders
de la « gauche » israélienne pour négocier l’aval des
Palestiniens pour sa réélection comme Premier ministre contre
Ariel Sharon alors en campagne sous la bannière du Likoud. Mais
Barak avait fait sévèrement encadrer sa « gauche » par son chef
de cabinet Gilad Sher qui présenta aux négociateurs palestiniens
la revendication ultime de Barak soit que les
Palestiniens reconnaissent « La fin des hostilités, la fin
du conflit entre Juifs et Palestiniens ». Selon Ehud Barak une
telle reconnaissance de la fin du conflit par l’ensemble des
Palestiniens revenait à reconnaître internationalement l’entité
sioniste – l’État d’Israël – dans ses limites de 2001 et, pour
les Palestiniens, à renoncer à leurs revendications sur les
terres déjà conquises, annexées et occupées ainsi qu’à renoncer
à leur droit de retour, bref, à renoncer aux différentes
résolutions adoptées à l’ONU en leur faveur (la 194, la 242 et
les autres) (5).
Le présent « caprice » de Netanyahu d’obtenir des négociateurs
palestiniens la reconnaissance de l’État hébreu comme « État
juif » vise exactement les mêmes objectifs.
C’est que tous les premiers ministres israéliens, de Ben Gourion,
en passant par Golda Meir, Shamir, Rabin, Sharon, Barak, jusqu’à
Netanyahu, ont compris que les droits des Palestiniens sur la
terre arabe de Palestine aussi bien que le droit de retour des
Palestiniens sur leur terre usurpée et spoliée sont des droits
inaliénables reconnus par toutes les conventions
internationales, droits qui ne peuvent être aliénés par une
tierce partie telle l’ONU, les États-Unis ou la « communauté
internationale », du moins tant que les Palestiniens continuent
de les revendiquer, de résister et de vivre sur la terre ou à
proximité de la terre dans des camps de réfugiés en attente de
rentrer chez eux. Seul le renoncement des Palestiniens eux-mêmes
à leurs propres droits légitimes pourrait permettre aux
Israéliens et à la soi-disant « communauté internationale » de
répudier ces droits inaliénables, de les enterrer dans une mer
de paperasse et de résolutions d’où ils ne ressurgiraient plus
jamais.
Netanyahu n’est pas un pauvre hère nostalgique qui rechercherait
son identité juive démocratique. Il n’est pas non plus un tenant
d’une théocratie judaïque pour diriger l’entité sioniste
coloniale. Netanyahu n'a rien à faire de la foi juive - si
ce n'est pour utiliser ses adeptes intégristes comme chair à
canon dans ses plans coloniaux en Palestine occupée – toute la
Palestine occupée – dans les limites du mandat britannique
telles que définies lors de la Conférence de San Reno en
avril 1920 (6).
Par cette
reconnaissance de l'État juif de la part des Palestiniens
eux-mêmes, Netanyahu voudrait amener les Palestiniens à renoncer
définitivement à leurs droits fondamentaux sur 90 % de leur
terre de même qu'aux Résolutions de l'ONU qui les garantissent.
C’est la raison pour laquelle Netanyahu n‘est pas chaud à l’idée
de « louer la Vallée du Jourdain » comme le propose les
américains (7). Ce n’est pas de location dont rêve Netanyahu
mais d’annexion définitive, consacrée par le droit international
et acceptée par les négociateurs palestiniens en contre partie
du privilège pour eux de gérer le bagne-bantoustan-État
palestinien sous mandat israélien dont il détiendrait la clé.
Le
Président échu Mahmoud Abbas de l'Autorité sans autorité
voudrait bien signer tous les renoncements et toutes les
reconnaissances que les israélites voudront bien lui faire
signer mais il sait que le Peuple palestinien
rejettera ces « accords », cette auto répudiation de ses droits
et de sa terre. C'est le dilemme d’Abbas et de ses
acolytes, comment faire accepter l'inacceptable à son propre
peuple ? Alors, par avance, il tente d'écraser toute voix
dissidente, toute résistance, en préparation de cette grande
répudiation. On assiste en ce moment à la « moubarakisation » du
pouvoir de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie comme il en
fut en Égypte suite aux accords de Camp David et à l’assassinat
de Sadate (8).
Nous le disions déjà dans un récent écrit « La bataille pour la
Cisjordanie fait rage » sachant que la bataille de Gaza est déjà
gagnée par la Résistance et que celle des camps de réfugiés au
Liban, en Syrie et en Jordanie aura lieu plus tard si jamais
Abbas s’avisait de parapher quoi que ce soit qui ressemble à
l’acceptation de la création d’un bantoustan palestinien sous
protectorat israélien (9). Finalement, il se
pourrait bien que les capricieux pourparlers de « paix »
Netanyahu - Abbas aient déjà échoué (10).
(1) Shlomo
Sand. Comment le peuple juif fut
inventé. http://www.dailymotion.com/video/x7okoe_peuple-juif-invent-shlomo-sand_news
(2) Article
du Courrier international. http://www.courrierinternational.com/article/2010/10/07/l-etat-juif-peut-nuire-a-la-democratie
(3) La
république juive d’Israël.
lundi 11 octobre 2010 - Gidéon Lévy – Haaretz. Voir
l’article en annexe 1.
(4) Les
Palestiniens dans le siècle.
Élias Sanbar. Gallimard. 1994.
(5) Détruire
la Palestine ou comment terminer la guerre de 1948.
Tanya Reinhart. La
Fabrique. 2002.
(6) Les
Palestiniens dans le siècle.
Élias Sanbar. Gallimard. 1994.
(7) Les
États-Unis proposent à Israël de louer la vallée du Jourdain
( AFP radio). Voir l’article en annexe 2.
(8) http://fr.wikipedia.org/wiki/Anouar_el-Sadate
(9) La
bataille pour la Cisjordanie fait rage.
Robert Bibeau. 12.10.2010.
http://www.robertbibeau.ca/palestine/edito12102010.html
(10) http://www.ism-france.org/news/article.php?id=14340&type=analyse&lesujet=Initiatives%20de%20Paix
Publié sur le site de Robert Bibeau
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