Opinion
Alain Juppé accusé
par sa propre administration d'avoir
falsifié les rapports sur la Syrie
Réseau Voltaire
Mardi 20 mars 2012
n haut fonctionnaire
français a invité , le 19 mars 2012, des
journalistes arabes basés à Paris pour
leur révéler la bataille qui se livre
actuellement au sein du gouvernement
français en général et du Quai d’Orsay
en particulier à propos de la Syrie.
Selon cette personnalité,
l’ambassadeur de France à Damas, Éric
Chevallier, dont l’ambassade vient
d’être fermée et qui est rentré à Paris,
a pris a parti son ministre devant ses
collègues. Il a accusé Alain Juppé de ne
pas avoir tenu compte de ses rapports et
d’avoir falsifié les synthèses pour
provoquer une guerre contre la Syrie.
Au début des événements, en mars
2011, le Quai avait dépêché des
enquêteurs à Deraa pour savoir ce qui
s’y passait. Leur rapport, transmis à
Paris, indiquait qu’après quelques
manifestations, la tension était
retombée, en contradiction avec les
reportages d’Al-Jazeera et de
France24 qui indiquaient à l’inverse
que la ville était à feu et à sang.
L’ambassadeur demanda la prolongation de
la mission pour suivre l’évolution des
événements. Furieux de ce premier
rapport, le ministre des Affaires
étrangères lui téléphona pour exiger
qu’il le modifie et fasse état d’une
répression sanglante. L’ambassadeur
plaça alors le chef de mission à Deraa
en conférence téléphonique avec le
ministre pour lui redire qu’il n’y avait
pas de répression sanglante. Le ministre
menaça l’ambassadeur et la conversation
se termina de manière glaciale.
Immédiatement après, le cabinet
d’Alain Juppé fit pression sur l’AFP
pour qu’elle publie des dépêches
mensongères confortant la vision du
ministre.
Durant les mois qui suivirent, les
incidents opposant Éric Chevallier et
Alain Juppé ne cessèrent de se
multiplier, jusqu’à l’affaire des otages
iraniens et la mort du « journaliste »
Gilles Jacquier. À cette occasion,
l’ambassadeur reçu l’ordre d’exfiltrer
les agents de la DGSE travaillant sous
couverture de presse. Il réalisa
l’importance de l’action secrète
entreprise par Alain Juppé [1].
Ancien ministre de la Défense, Alain
Juppé a semble t-il conservé de solides
amitiés au sein des services militaires
dont certains agents lui restent
dévoués.
La même source assure que des
rapports de l’ambassadeur auraient été
négligés ou falsifiés et que celui-ci,
pour étayer ses dires, aurait fait
parvenir au Quai des rapports
d’homologues européens attestant tous
que la Syrie n’est pas confrontée à un
cycle de manifestations/répression, mais
à une déstabilisation par des groupes
armés venus de l’étranger. À son arrivée
à Paris, Éric Chevallier aurait demandé
une enquête administrative interne pour
confondre son propre ministre.
Ces révélations en appelant d’autres,
un autre haut-fonctionnaire a révélé
qu’Alain Juppé n’est pas seulement en
conflit avec son administration, mais
aussi avec ses collègues de l’Intérieur
et de la Défense. Claude Guéant et
Gérard Longuet auraient non seulement
négocié avec le général Assef Chawkat
l’exfiltration des agents français
présents dans l’Émirat islamique de Baba
Amr, comme le Réseau Voltaire l’a
relaté [2],
mais aussi la libération de trois
commandos français détenus par la Syrie
[3].
Dimanche 18 mars, le quotidien
pro-syrien Ad-Diyar, édité à
Beyrouth, a confirmé que trois
prisonniers français ont été remis au
chef d’état-major des armées (CEMA),
l’amiral Édouard Guillaud, lors d’un
déplacement au Liban, prétendument
effectué à l’occasion de la
réorganisation du contingent français de
la FINUL. Selon une source syrienne de
haut niveau, l’amiral aurait en échange
personnellement veillé au complet
démantèlement de la base arrière que les
services militaires français avaient
installée au Liban.
Le conflit entre l’ambassadeur
Chevallier et le ministre Juppé est
connu depuis longtemps. Le 4 avril 2011,
le journal électronique Rue89
avait publié un article attribué à un
auteur franco-syrien anonyme [4].
On pouvait y lire que l’ambassadeur «
se serait fait le porte-parole du
régime, prétendant que les révoltes de
Daraa et Lattaquié sont manipulées
depuis l’étranger et que les médias
mentent sur la réalité ». Dix jours
plus tard, c’était au tour de Georges
Malbrunot d’affirmer sur son blog du
Figaro que l’ambassadeur « est
complètement basharisé » [5].
Enfin, le 5 mai, France24, la
chaîne placée sous la tutelle d’Alain
Juppé, avait accusé l’ambassadeur de «
minimiser la révolte » [6]
Le conflit entre le chef d’état-major
des armées et Alain Juppé est également
connu depuis longtemps. L’amiral Edouard
Guillaud n’avait pas apprécié qu’Alain
Juppé, alors ministre de la Défense,
planifie à l’avance le renversement de
Mouammar el-Kadhafi. Avec le discret
soutien de son nouveau ministre de
tutelle Gérard Longuet, il avait fait
savoir publiquement son désaccord
lorsqu’il avait reçu instruction de
mobiliser les forces françaises contre
la Libye.
Quant aux relations Guéant-Juppé,
elles sont notoirement exécrables. On se
souvient qu’avec l’arrogance qu’on lui
connaît Alain Juppé avait posé comme
condition pour son entrée au
gouvernement Fillon que Claude Guéant
quitte le secrétariat général de
l’Élysée parce qu’il ne voulait pas
avoir à lui parler.
Après l’accord survenu entre
Washington, Londres et Moscou pour
calmer le jeu en Syrie, Alain Juppé peut
toujours compter sur l’appui d’Ankara,
de Riyad et de Doha, ainsi que sur les
principaux médias, mais se trouve isolé
en France et privé des moyens
nécessaires à sa politique … à moins,
bien sûr, que le président Sarkozy ne
pousse à la guerre pour faire remonter
dans les sondages le candidat Sarkozy.
1]
«
Le fiasco des
barbouzes français à Homs
», par Boris V.,
Komsomolskaïa
Pravda,
18 janvier 2012, version française de
New Orient
News
disponible sur le site du
Réseau Voltaire.
[2]
«
Les
journalistes-combattants de Baba Amr
», par Thierry Meyssan,
Réseau Voltaire,
3 mars 2012.
[3]
«
La France rétablit
la censure militaire
», Réseau
Voltaire, 4
mars 2012.
[4]
«
À Damas, le régime
de Bachar el-Assad prépare un bain de
sang »,
par Sadik H.,
Rue89,
4 avril 2011.
[5]
«
Syrie : quand
l’ambassadeur de France déjeunait avec
la bête noire des frondeurs
», par Georges Malbrunot,
L’Orient
indiscret/Le Figaro,
le 14 avril 2011.
[6]
«
L’ambassadeur de
France en Syrie a clairement minimisé la
révolte
», par Julien Pain et Peggy Bruguière,
France24,
5 mai 2011.
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