Opinion
Le droit à l'autodétermination :
une variable d'ajustement conjoncturelle
René Naba
Mardi 26 février
2013 Le
discours disjonctif occidental
Sauf erreur ou omission, les
Palestiniens et les Sahraouis paraissent
devoir être les deux derniers peuples au
Monde à demeurer sous domination de type
coloniale. Sans nul doute du fait du
discours disjonctif occidental sur un
principe fondamental du Droit
International Public, le Droit à
l’autodétermination des peuples,
paradoxalement, constamment bafoué par
ses promoteurs.
Ce principe, pourtant intangible,
connaît une application modulée, soumis
à des infléchissements circonstanciels,
au point de constituer une variable
d’ajustement conjoncturelle en fonction
des intérêts des grandes puissances
occidentales, qui furent longtemps le
groupe hégémonique de la géostratégie
mondiale. Valable un temps en un lieu,
inopérant ailleurs, en d’autres temps.
Le conflit du Sahara occidental en
fait l’amère expérience de même que le
conflit palestinien. Le droit à
l’autodétermination, le principe de base
du conflit, souffre de la flexibilité de
sa mise en œuvre. S’il trouve sa pleine
vigueur et sa pleine justification
lorsqu’il s’agit de promouvoir sur la
scène internationale des entités
conformes aux intérêts des pays
occidentaux, il est, paradoxalement,
combattu ou nié lorsqu’il s’agit
d’éradiquer toute velléité nationaliste
ou indépendantiste d’états situés hors
de la sphère d’influence occidentale.
Une étude diachronique, combinant les
données spatiotemporelles sur la
question, révélerait un comportement
échappant à la rationalité immédiate, en
contradiction avec la plus élémentaire
justice.
Le constat est ahurissant: Georges
Bush avait assuré du temps de sa
présidence (2000-2008) qu’il était las
d’attendre dix ans que le Kosovo
obtienne son indépendance. Comme par
enchantement, aussitôt après ce cri
d’amour, un coup de baguette magique,
qui relève non de la prestidigitation
mais de l’imposture, conférait au Kosovo
son indépendance, en ce qu’il
participait d’un projet plus vaste
visant à parachever le démembrement de
l’ancienne Fédération de Yougoslavie, un
obstacle majeur à l’expansion économique
occidentale dans l’Europe centrale.
Il en a été de même du Sud Soudan, un
nouvel état pétrolier et ami d’Israël
sur le cours du Nil. Une donne non
négligeable, alors qu’une guerre de
l’eau se profile dans la zone du fait
des bouleversements climatiques.
Le droit à l’autodétermination a
ainsi posé deux micro-états – le Kosovo
et le Sud Soudan- comme jalons du
maintien de l’hégémonie occidentale,
face à la montée en puissance de la
Chine et le contournement chinois de
l’Europe par l’Afrique.
Dans ce panorama: deux cas -Le Tibet
et les Kurdes- font exception en ce que
dans le premier cas, celui du Tibet, les
Etats-Unis se heurtent à une cible
située dans la sphère géostratégique de
la Chine et dans le deuxième cas, les
Kurdes, à un allié de l’Amérique, la
Turquie, la sentinelle avancée de l’Otan
sur le flanc sud.
Dans le cas du Tibet, les Etats-Unis
encouragent les autonomistes tibétains
dans leurs revendications, mais veillent
à ménager la puissance chinoise dans son
pré carré. Le soutien des Occidentaux au
Dalaï Lama constitue tout au plus un
instrument de pression pour servir de
monnaie d’échange à des concessions
diplomatiques ou économiques chinoises.
Dans le cas des Kurdes, les
supplétifs exemplaires des Etats-Unis
lors de l’invasion américaine de l’Irak,
en 2003, qui s’estimaient en mesure
d’obtenir un état en récompense de leur
collaboration n’y ont pas eu droit en
raison de l’hostilité de la Turquie à un
projet qui pourrait la déstabiliser du
fait de la présence d’un fort sentiment
irrédentiste kurde sur son territoire.
La solution médiane auxquels ont
souscrit les Kurdes – une zone de large
autonomie dans le nord kurdophone de
l’Irak- si elle les satisfait
partiellement, enchante pleinement les
Américains en ce que l’enclave kurde
englobe les riches champs pétrolifères
de Kirkouk, de surcroît liée
économiquement et militairement à
Israël.
La solution est provisoire. Beaucoup
à Ankara et à Washington nourrissent
l’ambition de constituer une entité
indépendante Kurde, sur les débris de la
Syrie, dans le nord du pays, dans la
zone de Jisr al Choughour, par
adjonction du Kurdistan irakien,
assurant ainsi à l’Etat Kurde un
débouché sur la mer. Les troubles en
Syrie, justifiées sans nul doute par les
d’abus du pouvoir baathiste, sont
alimentées de l’extérieur dans un but
annexe. Le règlement par défaut de la
question kurde par démembrement de la
Syrie, comme cela avait déjà été le cas
avec Alexandrette et le Liban
Le Kosovo a attendu 10 ans pour son
indépendance, mais la Palestine attend
depuis 65 ans, sans émouvoir les
Occidentaux de son sort.
Pourquoi une telle duplicité? Au-delà
du tribut compensatoire des Occidentaux
au génocide juif et des considérations
bibliques, Israël, -le choix de son
implantation ne relève pas du hasard-,
est située à l’intersection de la rive
asiatique et la rive africaine du Monde
arabe, au point de jonction de la route
continentale des Indes et de la route
maritime, le bassin syro palestinien et
son prolongement égyptien, au point de
convergences des voies d’eau du Moyen
orient (Jourdain, Oronte, Hasbani,
Zahrani) et des gisements pétroliers de
la péninsule arabique.
L’existence d’Israël, de par son
positionnement géographique, signe
stratégiquement la rupture de la
continuité territoriale de l’espace
arabe. Pour le malheur du peuple
palestinien qui paie le prix de cette
entreprise de délocalisation de
l’antisémitisme récurrent de la société
occidentale, et pour le plus grand
malheur des Arabes entravés de la
possibilité de constituer une masse
critique à l’effet de peser sur les
relations internationales.
Mais ce qui est bon pour le Kosovo et
le Sud Soudan ne saurait être vrai ni
pour la Palestine, ni pour le Sahara
occidental. L’ostracisme n’est nullement
le fait du hasard: Les Palestiniens font
face à Israël, les Sahraouis, au Maroc,
le principal allié souterrain d’Israël.
Il n’est pas indifférent de noter
dans ce contexte que le Kosovo et Israël
sont les deux seuls pays au monde créés
par une décision unilatérale.
L’indépendance s’accorde donc en
fonction des intérêts stratégiques. Le
conflit du Sahara n’aurait peut-être
sans doute pas duré autant s’il ne
servait à attiser et à affaiblir deux
pays au bénéfice de la stratégie
hégémonique occidentale aussi bien
américaine que française dans la zone,
et surtout, s’il ne constituait un
excellent stimulant pour les industries
d’armement.
Un conflit
budgétivore, stimulant pour les
industries d’armement Le
Maroc est parmi les pays africains qui
consacrent le plus d’effort budgétaire à
leur armement. Près de 2, 8 milliards
d’euros sont consacrés annuellement à
l’armée marocaine, représentant 15% du
budget marocain, soit le double de celui
de la Santé. Les besoins militaires du
Maroc absorbent 5% de son PIB, ce qui
lui vaut de figurer au top 20 des pays
les plus dépensiers pour leurs armées.
Aussi, si l’on tient compte de la
croissance du PIB, le Maroc dépense plus
de 7 millions d’euros par jour pour sa
défense. Parmi les grosses commandes
figurent deux escadrilles de F-16 en
plus de la modernisation de 27 Mirage
F-1 français pour 400 millions d’euros,
une frégate française Fremm pour 470
millions d’euros, trois hélicoptères
américains CH-47D pour 93,4 millions
d’euros, quatre avions de transport
tactique C-27J Spartan à l’Italie pour
130 millions d’euros et 1.200 blindés
espagnols pour 200 millions d’euros.
L’Algérie, lui, est le second
importateur d’armes du continent,
derrière l’Afrique du sud selon le
rapport 2010 du SIPRI, l’Institut
international de recherche pour la paix
(SIPRI), basé à Stockholm. L’Algérie
consacre en moyenne 3% de son PIB par an
aux dépenses militaires, ce qui
représente environ 4,5 milliards d’euros
pour 2011.
La conclusion par l’Algérie d’un
contrat d’acquisition d’une soixantaine
d’avions de combat avec la Russie en
2006 avait immédiatement suscité une
réaction de Rabat, qui s’est empressé de
moderniser sa flottille de Mirage F-1
vétustes et de conclure le mirifique
contrat des F-16 avec Lockheed Martin,
la bénédiction de Washington et l’aide
technologique israélienne.
Le budget militaire algérien
s’accroît d’environ 10% par an. Des
sommes colossales sont ainsi allouées
par ces deux pays dont le secteur
militaire occupe la première place en
termes de budgétisation.
L’épreuve de
force entre l’Algérie et le Maroc: un
conflit de deux mémoires
Le Maroc dispose de deux atouts
incomparables dans son épreuve de force
avec l’Algérie.
Il est, avec la Jordanie, le meilleur
allié souterrain d’Israël dans le monde
arabe. Pour aller plus loin sur les
relations Maroc-Israël Cf. à ce propos
http://www.renenaba.com/le-collier-de-la-reine
Sa diplomatie
corruptive de la Mamounia bride toute
velléité intellectuelle critique de la
classe politique française. Le Maroc est
en effet la destination préférée du
personnel politique français où pas
moins d’une quarantaine de personnalités
de premier plan en font office comme
pied à terre pour des vacances
parasitaires aux frais de la princesse.
L’ancien président
Jacques Chirac, à Taroudant, dans le sud
du pays, à l’ancien directeur du Fonds
Monétaire international (FMI) Dominique
Strauss Kahn et l’écrivain médiatique
Bernard Henry Lévy y ont leurs
habitudes. Nicolas Sarkozy, le Président
de la République, y a passé des vacances
de Noël en 2009 et en 2010, à la
résidence royale de Jinane Lekbir (le
grand jardin), à trois kilomètres de
Marrakech. Son ancienne adversaire
socialiste de 2007, Ségolène Royal, y a
séjourné également en 2010, avec son
compagnon André Hadjez, au sein d’un «
palace de Ouarzazate », dans le sud du
pays. Elevé en partie à Agadir,
Dominique Strauss Kahn possède un ryad,
une maison de luxe située à Marrakech,
où il passe quelques jours de vacances
pour les fêtes.
Jean Louis Borloo
a, lui aussi, choisi le royaume
chérifien comme destination de vacances
en 2010, ainsi que le couple Balkany,
Isabelle et Patrick Balkany, maire de
Levallois et proche de Nicolas Sarkozy.
La liste est longue. Elle englobe Hervé
Morin (et 18 membres de sa famille à
l’hôtel Es-Saâdi de Marrakech) et Brice
Hortefeux et naturellement Philippe
Douste Blazy, ancien ministre des
Affaires étrangères qui fit l’objet d’un
scandale.
L’afflux de ces
touristes d’un genre particulier amuse
la presse marocaine. Les invitations
spéciales sont l’atout maître de
l’arsenal diplomatique du royaume
chérifien pour séduire les politiques
français. La pratique est érigée en
politique d’Etat. On l’appelle la
«diplomatie Mamounia», du nom du célèbre
palace de Marrakech, propriété de l’Etat
marocain, qui accueille depuis toujours
les plus grandes célébrités de la
planète. Depuis qu’Yves Saint Laurent et
Pierre Bergé avaient lancé la mode des
riyads, ces riches demeures nichées
au cœur des médinas marocaines, c’est
une véritable déferlante gauloise qu’a
connue le Maroc. Plus de 5.000
ressortissants français, la plupart
retraités, y ont élu domicile, à la
suite de la diffusion en 1999 sur M6
d’une émission de la série Capital
vantant les charmes de Marrakech,
Tanger, Essaouira, Fès ou Agadir. Mais
si le Maroc est devenu une destination
privilégiée des Français, elle l’est
surtout pour les «amis du royaume».
Certains y ont des liens généalogiques
comme Elisabeth Guigou, Dominique De
Villepin, Rachida Dati ou Eric Besson.
Mais la «tribu
Maroc» s’étend bien au-delà de ces
attaches. Elle est pour ainsi dire
tentaculaire. De Bernard-Henri Lévy à
Thierry de Beaucé, nombre de dirigeants
politiques, chefs d’entreprise,
intellectuels médiatiques et célébrités
du showbiz ont à Marrakech ou ailleurs
une résidence secondaire.
Le «plus beau
pays du monde», comme le veut la
publicité de l’Office marocain du
tourisme, devient ainsi un lieu de
rendez-vous culte pour la classe
politique française, où la
délocalisation d’un Conseil des
ministres serait presque envisageable
durant les fêtes de fin d’année,
ironisait un élu.
Dans bien des cas,
le charme exotique du pays constitue
aussi la botte secrète de l’influence
marocaine dans les hautes sphères de
l’Hexagone. Ces vacances, certes
privées, sont bien trop souvent
l’occasion de contacts plus ou moins
informels avec les premiers cercles du
roi. Des invitations «spéciales», des
«prix d’amis» appliqués dans des lieux
d’agrément gérés par des hommes proches
du pouvoir, sont pratique courante. Ces
gâteries sont d’ailleurs
systématiquement appliquées aux VIP de
la République.
La Mamounia est la
carte maîtresse de cette politique de
séduction du Makhzen, le pouvoir féodal
marocain. Tous y sont reçus avec les
attentions particulières que sait
déployer le Maroc pour ses hôtes de
marque. Les turpitudes de MAM en Tunisie
avec l’homme d’affaires Aziz Miled
pourraient cependant sonner le glas
d’une tradition qui autrefois ne se
refusait pas.
Voltigeur de pointe
de la stratégie occidentale en Afrique,
bras armé de l’Arabie Saoudite pour la
protection des régimes honnis, tel celui
du satrape zaïrois Mobutu, dans le cadre
du Safari Club, ce royaume des bagnes et
de la terreur qui sera octroyé toutes
les licences, qui aura bafoué la
souveraineté française en ordonnant
l’enlèvement de Mehdi Ben Barka, le chef
charismatique de l’opposition marocaine,
en plein centre de Paris avec la
complicité des services français,
l’homme qui aura ridiculisé le plus
illustre dirigeant français Charles De
Gaulle sera pourtant vanté comme le
paradis sur terre sous l’œil vigilant du
«groupe d’Oujda», animé par Maurice
Lévy, le patron de Publicis, le grand
groupe de communication français. Le
Maroc fonde son passe-droit du rôle de
base de repli à l’Etat Français assigné
au royaume par les stratèges occidentaux
à l’apogée de la guerre froide dans le
cas d’un nouvel effondrement français
face à une poussée soviétique.
Mais ce Royaume
souverain est un pays frappé de
servitude. Le commandeur des croyants ne
commande pas son détroit, le détroit de
Gibraltar, qui assure la jonction
stratégique de l’Océan Atlantique à la
Mer Méditerranée, comme en témoigne
l’incident de l’ilot persil.
Se greffe ainsi sur
le conflit du Sahara une donne
particulière, un conflit de deux
mémoires. Les deux pays n’ayant pas
accédé d’une façon identique à
l’indépendance et n’ont pas été soumis à
la même histoire coloniale.
L’histoire
algérienne a été faite dans la douleur.
Bien avant l’enfumage des caves de Bora
Bora, en Afghanistan, en 2001, Bugeaud
et ses soldats avaient enfumé toute
l’Algérie. L’histoire algérienne est
beaucoup plus douloureuse que ne l’a été
l’histoire marocaine, ne serait-ce que
par sa durée, et par l’imposition du
code de l’Indigénat en Algérie, un des
facteurs majeurs de l’acculturation
algérienne, suscitant par réaction un
nationalisme chatouilleux
particulièrement en ce qui concerne la
France.
132 ans de
colonialisme en Algérie, contre
trente-six de protectorat français au
Maroc, soit le quadruple, avec à la clé,
Sétif, le symbole de la victoire de la
deuxième Guerre Mondiale, noyé dans le
sang, une guerre d’Indépendance de huit
ans et son cortège d’ un million de
morts, avec en prime, un lobby pieds
noirs algériens c’est-à-dire un lobby
d’anciens colons français en Algérie,
sans pareil au Maroc, ni dans aucune des
anciennes colonies françaises,
expliquent et justifient l’extrême
réactivité algérienne à toute atteinte à
sa souveraineté ou aux principes moteurs
de la dynamique de la guerre de
Libération nationale.
L’histoire
marocaine ne l’a pas été autant. Il y eu
certes la guerre du Rif, mais le
protectorat français sur le Maroc a été
dans la durée infiniment moindre que le
colonialisme français en Algérie et dans
sa manifestation atténué par la
complaisance d’une fraction du trône,
notamment le Glaoui de Marrakech.
Au conflit de la
construction de la mémoire entre les
deux pays se superpose leurs
orientations divergentes tant sur le
plan international que sur le plan
interne. Un des drames du monde arabe
réside dans le fait que les deux
monarques les plus cultivés de leur
génération, -Hassan II du Maroc, diplômé
de la faculté de droit de Bordeaux et
Hussein de Jordanie, de l’académie
militaire britannique de Sandhurst- au
lieu de mettre en pratique le modernisme
pour la promotion de leurs peuples et de
leurs pays, ont instrumentalisé ce
modernisme au service d’un absolutisme
rétrograde.
La balkanisation du
Monde arabe et la nécessité d’un seuil
critique
Plaie béante qui
entrave son élan, le Monde arabe souffre
de balkanisation, dont la dernière en
date, en 2011, a été l’amputation du sud
Soudan du Soudan au mépris du principe
de l’intangibilité des frontières issues
de la colonisation.
Auparavant,
l’amputation de la Palestine par
l’implantation d’une entité occidentale
Israël à l’articulation de la rive
africaine et de la rive asiatique du
monde arabe, la dissociation du Liban de
la Syrie, l’amputation du district
d’Alexandrette de la Syrie et son
rattachement à la Turquie, enfin le
Koweït de l’Irak et la Transjordanie (la
Jordanie actuelle) de la Cisjordanie.
Source de faiblesse
face aux grands ensembles de son
voisinage immédiat, telle l’Union
européenne, la fragmentation du monde
arabe devrait le conduire à œuvrer non
pour la division et la désunion, mais
pour l’union.
La constitution
d’un ensemble homogène résoudrait le
problème du Sahara occidental par
l’entente et la coopération, à l’effet
de jeter une passerelle entre les deux
grands pays du Maghreb central,
l’Algérie et le Maroc, plutôt que de
maintenir un abcès de fixation entravant
tout projet transarabe.
La construction du
Grand Maghreb ne saurait demeurer une
vue de l’esprit. Elle se doit de se
concrétiser, au besoin au forceps, pour
durcir le ventre mou de la Méditerranée,
première étape vers la mise sur pied
d’un groupement atteignant un seuil
critique par le regroupement de l’Iran,
la Turquie, l’Irak, la Syrie, le Liban,
la Palestine, l’Algérie, le Maroc,
l’Egypte, la Libye et le Soudan. Un
ensemble de 500 millions d’habitants,
équivalent à la structure des 27 pays de
l’Union européenne, agrégeant sunnites
et chiites, chrétiens et musulmans,
arabes, turcs, iraniens, berbères,
kurdes dans une mosaïque humaine
créative, non une guerre intestine
destructive.
Anormal à cet égard
qu’un convoi humanitaire venant d’Europe
pour aller à Gaza soit tributaire d’une
brochette d’autorisation entre
l’Algérie, le Maroc, la Libye et
l’Egypte.
Une ère s’achève,
une autre s’ouvre. Au-delà du point
d’abcès malien, en raison de la
talibanisation du Sahel du fait de la
prolifération du septentrion malien, la
confédération se doit être l’objectif
majeur pour faire pièce aux tendances
centrifuges de la zone, attisées par les
particularismes régionaux, les
irrédentismes et le chauvinisme
religieux.
La donne Libyenne
La satisfaction
légitime de la chute d’un dictateur ne
saurait occulter le gâchis stratégique
provoqué par l’effondrement d’un pays à
la jonction du Machreq et du Maghreb et
son placement sous la coupe de l’OTAN,
le plus implacable adversaire des
aspirations nationales du Monde arabe.
Acte stratégique
majeur comparable par son ampleur à
l’invasion américaine de l’Irak, en
2003, le changement de régime politique
en Libye, sous les coups de butoirs des
occidentaux, paraît destiné au premier
chef à neutraliser les effets positifs
du «printemps arabe» en ce qu’il
accrédite l’alliance atlantique comme le
gendarme absolu des revendications
démocratiques des peuples arabes.
Quarante-deux ans
après leur expulsion de la base
américaine de Wheelus AirField-Okba Ben
Nafeh (Tripoli) et de la base anglaise
d’Al Adem-Abdel Nasser (Benghazi), les
Anglo saxons ont repris pied en Libye
pour en faire leur plateforme
opérationnelle majeure de la contre
révolution arabe, la zone de
sous-traitance par excellence de la
lutte contre l’immigration clandestine à
destination de l’Europe occidentale, le
siège occulte de l’Africa Command pour
la mise sous observation du Maghreb et
la lutte contre l’AQMI au Sahel.
Dans cette nouvelle
configuration, la Libye et le Maroc
paraissent devoir faire office des deux
mâchoires d’une tenaille destinée à
enserrer l’Algérie.
La diversification
des sources d’armement de l’Algérie avec
l’Allemagne (14 milliards de dollars sur
dix ans), le Royaume uni et l’Italie, en
sus de la Chine et la Russie, ne saurait
suffire. L’immobilisme porte
condamnation de l’Algérie. Cinquante ans
après l’indépendance, la génération des
Moudjahidine arrive au terme de sa
prestation.
Sous peine de
marginalisation, sous peine de sclérose
du pays, sous peine de nécrose de la
revendication sahraouie, l’Algérie se
doit de se mettre au diapason des
nouvelles équipes dirigeantes de son
environnement, en réactivant sa relation
jadis stratégique avec l’Egypte du temps
du tandem Nasser Boumediene, en vue de
stabiliser la Libye et la prémunir des
effets centrifuges des rivalités
internes, en favorisant une convergence
avec la relève contestataire marocaine
pour une nouvelle approche du règlement
du conflit du Sahara.
Sur le flanc sud de
l’Europe tenu par les rets de la
Mondialisation se dresse désormais un
monde rebelle, dans son ancienne chasse
gardée, une zone qu’elle vouait à faire
office de glacis stratégique contre la
percée chinoise en Afrique, la zone
d’externalisation de la politique de la
lutte contre l’immigration sauvage arabo
africaine.
Au lendemain du
printemps arabe de 2011, le plus grand
défi du monde arabe est de porter la
dynamique de réformes au sein des
monarchies arabes, curieusement épargnée
par la contestation, particulièrement
les pétromonarchies du golfe, le foyer
de l’intégrisme et de la régression
sociale, qui se trouvent par ailleurs
être les principaux alliés du Maroc dans
le conflit du Sahara occidental en même
temps que les alliés objectifs d’Israël
dans la confrontation palestinienne.
Le règlement du
conflit palestinien et du conflit
sahraoui paraissent devoir passer par le
rééquilibrage des rapports interarabes,
par le placement en état défensif des
pétromonarchies, prélude à une
modification radicale de leurs alliances
internationales, particulièrement leur
allégeance inconditionnelle aux
Etats-Unis, le protecteur d’Israël.
Dans la décennie
1970-1980, alors que le Liban servait de
guerre de dérivation au processus de
paix égypto-israélien, la pression s’est
portée sur la Syrie et l’Algérie en vue
de briser la détermination des deux
principaux foyers du «Front de refus
arabe» aux menées israélo-américaines
dans la zone. La crise cardiaque du
président syrien Hafez Al Assad, en
1976, en plein siège du camp palestinien
de Tall el Zaatar, dans la banlieue est
de Beyrouth, a laissé espérer une brèche
pour une redistribution des cartes à
l’échelle régionale. Son rétablissement
suivi de la maladie fatale du président
algérien Houari Boumediene, en
1979-1980, a privilégié la
déstabilisation vers l’Algérie, par le
financement d’un prosélytisme islamique
par les fonds saoudiens.
Le ralliement de la
dynastie wahhabite à la coalition
occidentale anti Saddam Hussein a
quelque peu distendu les liens entre les
islamistes algériens et leurs parrains
saoudiens, sans pour autant mettre un
terme à la dynamique de la guerre
intestine qui ravagera l’Algérie pendant
dix ans, entraînant sa marginalisation
au niveau de la diplomatie régionale
arabe.
Le même schéma
paraît se reproduire avec la
constitution d’un glacis pétro
monarchique contre révolutionnaire par
l’adjonction du Maroc et de la Jordanie,
les deux grands alliés d’Israël au
Conseil de Coopération du Golfe.
Sauf à se résoudre
au fait accompli, le bloc républicain
arabe devrait veiller à créer les
conditions d’un Fukushima politique sur
les pétromonarchies, particulièrement
l’Arabie saoudite, le cœur nucléaire de
l’intégrisme mondial et le foyer absolu
de la régression sociale, afin de
redonner une plus grande cohérence
sociale et économique entre les deux
versants du monde arabe, la zone
méditerranéenne de pénurie et la zone
d’abondance du golfe pétrolier, à
l’effet d’établir un rapport de force
qui lui soit favorable en vue de
favoriser un règlement du conflit du
Sahara occidental et les autres points
du contentieux interarabe.
Et pour les
Sahraouis de désenclaver leur problème
pour le sensibiliser à l’échelle du
monde arabe. Tant il est vrai qu’ «il ne
saurait y avoir de victoire politique
possible sans une victoire culturelle
préalable» (Antoine Gramsci).
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