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Opinion
Libye: Le zèle de la
France en suspicion
René Naba
Lundi 25 avril 2011
Vingt cinq ans après le raid punitif des Etats-Unis contre
Tripoli et Benghazi, le 14 avril 1986, la Libye est à nouveau la
cible de l’aviation occidentale dans une configuration nouvelle
destinée officiellement à protéger la population contre la
sanglante répression du Colonel Mouammar Kadhafi.
Quarante deux ans d’un pouvoir exécrable ne tolèrent, certes,
nulle indulgence. Mais l’argumentaire occidental, « la
protection des populations », une version réactualisée de
l’ingérence humanitaire, gagnerait toutefois en crédibilité si
une telle mesure s’était appliquée également aux pays en proie à
la même contestation populaire, périphérique de l’Arabie
saoudite, particulièrement Bahreïn et le Yémen, où la répression
a atteint le même degré de férocité qu’en Libye.
L’instauration d’une zone d’exclusion aérienne au dessus de
la Libye a été accueillie avec réserve par la Syrie et
l’Algérie, qui ont préconisé une solution inter arabe de crainte
d’une nouvelle mainmise occidentale sur ce pays, à la différence
des pétromonarchies trop heureuses de cette intrusion. Il n’est
pas indifférent de noter dans cette perspective que seules les
monarchies arabes (La Jordanie, le Qatar et Abou Dhabi) ont
apporté leur caution militaire à cette opération.
L’imposition de cette mesure, le 18 mars 2011, au terme d’un
mois de conflit, révèle la duplicité de la diplomatie
occidentale dans le traitement des grands problèmes
internationaux, particulièrement en ce qui concerne la gestion
des conflits du tiers monde.
Que cela soit pour la Libye ou pour la Palestine, soumise à
un blocus de fait d’Israël sans la moindre protection face à la
soldatesque israélienne, particulièrement à Gaza. Que cela soit
aussi pour le Liban, objet de tous les soins de la diplomatie
occidentale en vue d’instrumentaliser la justice internationale
à des fins de criminalisation de Hezbollah, ou encore pour le
Pakistan exonéré de cette même juridiction dans la recherche de
la responsabilité de l’assassinat de l’ancien premier ministre
Benazir Bhutto, pour fait de coopération dans la lutte
anti-Talibans.
L’intervention militaire occidentale en Libye en pleine phase
de reprise en main de la révolte arabe par les monarchies
arabes, avec l’intervention de l’Arabie saoudite à Bahreïn,
traduit le souci des dirigeants arabes et de leurs alliés
occidentaux de donner un coup d’arrêt à la contestation
populaire arabe en vigueur dans dix des vingt pays membres de la
Ligue arabe, à l’effet de saper les fondements de l’ordre
régional fondé sur le primat de l’axe israélo-américain.
Les tergiversations occidentales à l’égard de cette mesure
masquent mal les compromissions de l’Europe avec le gouvernement
du colonel Kadhafi et s’expliquent par l’importance que revêt le
marché libyen aux yeux des divers protagonistes notamment au
niveau des transactions militaires: quatorze des vingt-sept pays
membres de l’Union européenne exporte des armes vers la Libye,
pour un montant de 844 millions de dollars, alors qu’un embargo
«de facto» sur les livraisons d’armes est désormais en vigueur.
Premier fournisseur, l’Italie a vendu à la Libye, en quatre ans,
de 2005 à 2009, pour 276,7 millions de dollars d’armes, suivi,
en seconde position, par la France 210,5 millions, en 3eme
position, le Royaume Uni (119 milliards), en 4eme position,
l’Allemagne (83,4 millions), Malte (79,7 millions).
Le Qatar, la
caution arabe du plus pro israélien des dirigeants français
Le bombardement français de la Libye à la veille d’une
consultation électorale aléatoire pour le parti majoritaire,
-les cantonales de 2011 marquées par une percée du Front
National au détriment du l’UMP-, confirme la permanence d’une
pulsion démagogique dans la démarche politique du chef de l’état
français, déjà observée lors de la campagne présidentielle de
2007. Le candidat de droite s’était alors distingué par la
stigmatisation de la composante arabo musulmane de la population
française qu’il se proposait de nettoyer au «Karcher» du fait
qu’elle «égorgeait des moutons dans leur baignoire».
A l’aide de la caution d’un arabe, le Qatar, le plus pro
israélien des dirigeants français a visé ainsi à se dédouaner
aux yeux de l’opinion arabe, après le levée de bouclier de son
électorat arabo musulman, «les franco-musulmans de l’UMP», dans
la foulée de la relance cyclique du débat sur l’Islam en France.
L’empressement de la France de prendre la tête de cette
nouvelle «croisade», selon l’expression de son ministre de
l’intérieur Claude Guéant, répond au souci de Nicolas Sarkozy de
gommer de la mémoire l’accueil triomphal réservé à Kadhafi, en
décembre 2007, avec l’installation de sa tente dans le périmètre
de l’Elysée, en même temps que de se dédouaner de sa
complaisance ancienne avec les dictateurs arabes.
Le zèle français est destinée en outre à compenser la
faillite du projet phare de la diplomatie sarkozyste, l’Union
Pour la Méditerranée, dont les deux piliers sud, l’Egypte de
Hosni Moubarak et la Tunisie de Zine el Abidine Ben Ali, ont
sombré corps et âmes, ainsi que par l’activisme qu’il a déployé
dans la mise en place du blocus de Gaza, l’enclave palestinienne
détruite par les Israéliens.
Le président américain George Bush et sa secrétaire d’état
Condoleeza Rice, le premier ministre israélien Ehud Olmert et
son ministre des affaires étrangères Tzivi Lipni, de même que le
président égyptien Hosni Moubarak et son ministre des affaires
étrangères Ahmad Aboul Geith et le ministre français des
Affaires étrangères Bernard Kouchner ont déjà quitté le pouvoir.
De tous les protagonistes de ce drame, seul Nicolas Sarkozy
demeure en poste. Son objectif sous jacent est de reprendre la
main après un hiver particulièrement rude pou la diplomatie
française, après la dés-arabisation du Quai d’Orsay, face à la
contestation générale de ses amis du pourtour méditerranéen.
Le test de la crédibilité occidentale en Libye se jouera lors
du débat sur l’imposition d’une zone d’exclusion aérienne au
dessus de Gaza, demandée par la Ligue arabe, en réplique à
l’intervention de l’Otan en protection du peuple libyen.
Sur les malheurs du peuple libyen, Nicolas Sarkozy a scellé
sa réconciliation avec le philosophe du botulisme Bernard Henry
Lévy, purgeant un contentieux souterrain para matrimonial, dont
la descendance du roman-enquêteur en porte les stigmates brunis,
à la faveur d’un indécent ballet diplomatique, instrumentalisant
l’opposition libyenne sur fond de gesticulation médiatique.
Au risque de délégitimer l’opposition libyenne, la France a
cherché à se refaire une virginité politique. Au risque de
replacer le peuple libyen sous la tutelle de pays occidentaux
qui se sont forts peu préoccupés de sa liberté, elle a fait du
théâtre libyen une kermesse, distribuant des satisfactions
d’amour propre aux principautés pétrolières en compensation de
gracieusetés dont elle a bénéficié de sa part.
Sous son parrainage, l’aviation d’Abou Dhabi a procédé en
Libye à des exercices délocalisés en contrepartie des facilités
militaires qu’elle a offertes à la France par l’octroi d’une
base aéronavale, face à l’Iran.
Le Qatar, lui, a payé le prix fort sa participation au
châtiment de la Libye. Son association à ces manœuvres parait
destinée à lui donner satisfaction, au titre de remboursement
symbolique de la rançon qu’il a payé, pour le compte de la
France, pour la libération des infirmières bulgares, en lui
offrant l’occasion de venger le directeur du service photo de la
chaine transfrontière «Al Jazira» tué lors d’une embuscade
tendue par le clan Kadhafi à Benghazi. L’émirat a pris en
charge, parallèlement, la commercialisation du pétrole libyen
produit dans les zones sous contrôle de l’opposition anti
Kadhafi, soit une production de l’ordre de 100 000 à 130 000
barils de pétrole. Une aubaine pour les compagnies de
navigation, les compagnies d’assurance et les marchands d’armes.
En s’engageant indirectement à trouver des ressources
financières à l’effort de guerre inter libyen, le Qatar confirme
sa vocation de base régionale de l’armée américaine, de banque
de réserve occidentale, puisqu’il apporte sa caution à une
opération occidentale, en soutenant de surcroît partiellement
son effort de guerre.
La participation dans un exercice aérien sans risques
militaires majeurs, de l’avion de combat français «Rafale», à la
commercialisation problématique, cache mal, sous couvert
d’arguments humanitaires, des considérations mercantiles, tout
comme le vœu secret nourri de céder au Qatar, le coffre fort de
la France, des vieux chars Leclerc français recyclés,
invendables sur le marché international.
Aucune intervention occidentale à l’encontre du Monde arabe,
même la plus louable, n’est jamais totalement innocente, tant
perdurent les effets corrosifs des actions passées et vivace le
souvenir de leurs méfaits. Et l’intervention en Libye n’échappe
pas à la règle en ce qu’elle ne cible qu’un régime républicain,
à l’exclusion de toute monarchie, les exonérant de leurs
turpitudes et de l’impérieuse nécessité de changement.
Nul n’a été dupe de ces manigances et simagrées à connotation
électoraliste, où beaucoup en France ,face à tant de
stigmatisations gratuites, envisagent de faire appliquer à
Nicolas Sarkozy le mot d’ordre de la rue arabe «Erhal, Erhal
Sarkozy, dégage Sarkozy», à l’occasion des prochaines élections
présidentielles de 2012.
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Publié le 27 avril 2011 avec l'aimable autorisation de René Naba.
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