|
Opinion
Syrie-Algérie:
Raison d'état ou déraison d'état ?
René Naba
Vendredi 20 mai 2011
La raison d’état s’invoque généralement lorsque l’état perd
la raison et les pays arabes n’échappent pas à la règle.
Beaucoup savent gré à l’Algérie et à la Syrie d’avoir su,
dans les vicissitudes d’une conjoncture difficile, préserver les
intérêts à long terme du monde arabe, sans s’inféoder à une
logique de vassalité avilissante, sans hypothéquer ses choix
stratégiques, sans aliéner leur souveraineté et leur
indépendance.
Beaucoup savent gré à ces deux points d’ancrage du «Front de
refus arabe» d’avoir assuré la relève de l’Egypte défaillante,
en maintenant vivace la flamme du combat nationaliste et
irréductible le refus de l’hégémonie israélo-américain.
Beaucoup savent gré à la Syrie, d’avoir accueilli, au risque
de déstabiliser l’équilibre démographique du pays, près de deux
millions de réfugiés irakiens, fuyant les exactions de l’armée
irakienne et de leurs supplétifs kurdes.
Mais cette position privilégiée ne saurait se vivre en rente
de situation. La réforme s’impose, sous peine de dénaturation du
projet nationaliste.
Pleinement conscient des menées de la contre révolution
téléguidée par l’Arabie saoudite, sans sacrifier à la mode
contestataire impulsée par les médias occidentaux, la vérité
s‘impose toutefois sans fard.
Quiconque a eu affaire à la bureaucratie tatillonne de ses
deux états a pu mesurer instantanément l’état de délabrement de
leur administration, l‘omniprésence de leurs services de
sécurité, le conformisme de leurs médias, les turpitudes de
leurs régimes, leur hermétisme, leur autarcie, leur népotisme,
ainsi que leur fort degré de corruption, comparables d’ailleurs
en cela aux autres régimes arabes, même les plus proches de la
grande démocratie américaine.
Les remous suscités au sein d’«Al Jazira» dans la couverture
parcellaire des révolutions arabes, axée depuis peu davantage
sur la Libye et la Syrie que sur Bahreïn ou le Sultanat d’Oman,
avec la spectaculaire démission d’une des vedettes chaine
transfrontière arabe Ghassane Ben Jeddo, en porte témoignage.
Mais comparaison n’est pas raison et nul ne saurait se prévaloir
des turpitudes d’autrui.
L’honneur de ces deux pays a été d’abroger les lois
d’exception, alors que leurs contempteurs occidentaux s’abritent
depuis dix ans derrrière les barrières privatives de liberté du
«patriot act» et du plan Vigipirate. Mais, soixante ans après
les indépendances arabes, «le cœur palpitant de l’arabisme» et
l’épopée des Moujadddine et de leur million de martyr ne
sauraient suffire pour nourrir les rêves et les ambitions des
nouvelles générations.
Le tête à tête stérile, en Algérie, entre le président Abdel
Aziz Bouteflika et le corps des officiers supérieurs, ne saurait
perdurer sous peine de collapsus du pays. L’armée algérienne se
doit être le garant de la pérennité de ce pays, non son
propriétaire, son inspirateur, non son prédateur.
Le président algérien, que l’on a connu plus dynamique et
imaginatif dans une vie précédente, se doit de retrouver le brio
dont il a su faire preuve à la tête de la diplomatie algérienne,
en veillant à assurer une transition en douceur du pouvoir, en
réussissant la mutation de l’Algérie.
Pour son rendez vous avec l’histoire, Abdel Aziz Bouteflika se
doit d’épargner les affres d’une douloureuse guerre de
succession à son pays, l’un des rares du Monde arabe à avoir
mené une guerre de libération victorieuse contre le
colonialisme.
Bachar Al Assad, quant à lui, se devait d’anticiper l’évolution
et non la subir, tant est impérieuse l’urgente nécessité des
réformes en profondeur de son pays gangréné.
Aucune justification ne saurait tenir lieu d’excuse
absolutoire, ni le complexe d’encerclement, réel, dont la Syrie
fait l’objet, ni les manœuvres de déstabilisation, répétitives,
dont il est la cible de la part de l’aile dure du trône
wahhabite, ni les campagnes de dénigrement, effectifs, dont il
est l’objet de la part de la presse conservatrice arabe et ses
alliés occidentaux.
Nul projet nationaliste, si exaltant soit-il, ne saurait
justifier la captation des richesses d’un pays au profit d’une
personne, si nécessaire soit il à la protection du pouvoir. Nul
projet nationaliste, si glorieux soit il, ne saurait justifier
la mise sous observation permanente de son peuple, la mise en
coupe réglée son pays. Le cas de Rami Makhlouf, le propre cousin
du Président syrien, ne saurait échapper à la règle, de même que
ceux des sbires du régime.
Pour avoir trop tardé à engager les réformes, pour avoir bridé
les tendances réformistes qui lui étaient prêtées, Bachar Al
Assad récolte une tempête populaire à l’effet de réduire à néant
sa magistrale maîtrise de la manœuvre diplomatique face à
l’offensive israélo-américaine visant à remodeler un «grand
moyen orient».
Pour avoir voulu ménager les intérêts de son clan au détriment
de ceux de son pays, Bachar Al Assad, risque un discrédit
populaire, au risque d’emporter et son clan et son pouvoir.
Onze ans après sa venue au pouvoir, Bachar Al Assad ne saurait
rater son nouveau rendez vous avec le printemps arabe. Sous
peine de discrédit et d’implosion. Sous peine d’implosion du
projet nationaliste, son bien le plus précieux.
La raison d’état s’invoque en phase de désagrégation de l’état
et de dysfonctionnement de la société. La fonction première de
la Syrie et de l’Algérie n’est pas la répression de leur peuple.
La mission historique de ces deux pays est de se maintenir à
l’avant-garde du combat pour la sécurisation de l’espace
nationale arabe, aux côtés désormais des nouveaux venus à la
démocratie, les enfants prodigues de Tunisie et d’Egypte.
La famille Assad
Le clan alaouite au pouvoir en Syrie est articulé autour de
l’alliance scellée entre deux familles Al-Assad et Makhlouf,
concrétisé par le mariage de Hafez Al-Assad et Anissa Makhlouf.
Rami Makhlouf, cousin du président Bachar, est le fils du
général Mohamad Makhlouf, pro consul de la réigon nord de Syrie
du temps de la mandature de Hafez al Assad, qui choisit de
soutenir le président, lors de la guerre fratricide qui opposa
Hafez à son frère cadet Rifa’at, à l’époque chef des troupes
spéciales «Saraya ad dif’a » responsable à ce titre de la
répression du soulèvement de Hama, en 1982, qui fit plusieurs
milliers de morts. Dénommé «Roi de Syrie» Rami Makhlouf est un
richissime homme d’affaires. Il incarne, à ce titre, la
corruption et le népotisme du régime.
Quant aux autres membres de la fratrie,
L’ainé Bassel, destiné au départ à succéder à son père, a
trouvé la mort dans un accident de voiture.
Bouchra, l’unique fille de la famille, est l’épouse de Assef
Chawkat, ancien chef des services de sécurité dont les
Occidentaux réclamaient la tête en compensation ide l’assassinat
de l’ancien premier ministre libanais Rafic Hariri. Assef
Chawkat entretient des relations houleuses avec le frère cadet
du président, le colonel Maher, le nouvel homme fort du régime,
au point que le benjamin de la fratrie a blessé à l’estomac d’un
coup de pistolet en 1999, en plein palais présidentiel. Réputée
autoritaire, Bouchra passe pour nourrir une forte intimité à
l’égard de l’épouse de Bachar, Asma, fille d’un médecin de la
grande bourgeoisie syrienne, ancienne spécialiste des
transactions boursières dans un établissement londonien, à la
forte présence médiatique.
Le frère cadet du fondateur de la dynastie, Rifa’at Al Assad,
ancien vice président de la république, est entré en dissidence
fin 1983. Il vit en exil en Espagne. Ses deux fils, Sumar et
Ribal, organisent depuis Londres la campagne médiatique contre
le régime via la chaine de télévision ANN TV, (Arab Network
News). Deux autres cousins Mounzer et Fawwaz Al-Assad, fils de
Jamil Al Assad, cousins germains du président, se comportent en
chefs de milices dans les montagnes alaouites, berceau de la
famille, à l’ouest du pays.
© Toute reproduction
intégrale ou partielle de cette page faite sans le consentement
écrit de René Naba serait illicite (Art L.122-4), et serait
sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code.
Publié le 20 mai 2011 avec l'aimable autorisation de René Naba.
Publié sur René Naba.com
Les
textes de René Naba
Dernières mises à
jour
|