Opinion
HBJ, le symptôme
de la mégalocéphalite
René
Naba
René Naba
Jeudi 18 mai 2012
Le joujou de l’Emir
s’est cassé, cassé par la volonté du
peuple, une notion incongrue dans
l’Emirat du Qatar, qui joue de la
malchance en 2012.
Car autant 2011 lui avait été faste,
2012 lui est néfaste avec les déboires
de Syrie et les avanies de France.
La France, l’un de ses terrains
d’emplette préférés, qui lui a dégagé
sans ménagement son joujou favori,
Nicolas Nagy de Bocsa, le plus
anti-arabe des dirigeants de l’histoire
de la République française, à égalité
avec le socialiste Guy Mollet.
Retour sur le
tandem franco-qatariote : HBJ… alias
Hamad Ben Jassem Ben Jaber Al Thani, le
symptôme de la mégalocéphalite.
Paris. L’homme qui
a menacé l’Algérie de ses foudres en cas
d’obstruction à ses menées
anti-syriennes, sans égard pour le passé
militant du pays, sans égard pour la
fraternité d’armes entre Algériens et
Syriens lors de la guerre d’indépendance
algérienne, c’est lui.
L’homme qui fomenta
l’expulsion de la Ligue arabe de la
Syrie, sans égard pour les trois guerres
menées par ce pays contre Israël pour le
compte des Arabes (1948, 1967, 1947),
c’est encore lui.
Lui qui parachuta
la charia talibane en Libye. Lui qui
maintiendra au seuil de la ligne de
flottaison le prédicateur égyptien
Youssef Qaradawi, la caution
jurisprudentielle à l’intervention
atlantiste en Libye. Lui, encore et
toujours qui renflouera politiquement le
chef islamiste tunisien Rached
Ghannouchi.
Lui, enfin,
présumant de ses forces, qui intoxiquera
son homologue français en l’assurant que
son combat mercenaire à Bab-Amro (Homs),
dont la presse et la population civile
en ont payé un lourd tribut, sera «le
Stalingrad du régime syrien» à l’effet
de bouleverser la stratégie du
Moyen-Orient.
Homs, particulièrement le quartier de
Bab Amro qui avait vocation à devenir la
ville symbole du martyrologe syrien, qui
sera le révélateur des dérives sectaires
de la Brigade Al Farouk, le fer de lance
de l’opposition. «La brigade Farouk nous
tue»: l’invraisemblable appel à l’aide
lancé à la hiérarchie par les autres
composantes de l’opposition est à cet
égard significatif du comportement
séditieux du chef de la brigade, le
commandant Abdel Razzak Tlass, le plus
médiatisé des chefs rebelles en raison
de son homonymie avec l’ancien ministre
de la défense, le Général Moustapha
Tlass (1).
Voir à ce propos l’étrange mise aux
enchères en Arabie saoudite d’un
candidat au martyr en Syrie. Des
enchères organisées par le propre père
du volontaire en partance pour Bab Amro
(Homs). L’adjudication qui s’est
déroulée dans un hôtel de Djeddah
(Arabie saoudite), s’est élevée à un
million de riyals saoudiens.
http://youtu.be/DuGhi-WlBEU
Lui, l’avisé, qui
se laissera fourvoyer à son tour par la
France dans le chaudron syrien. En
pleine campagne de Syrie, l’ami Sarkozy,
en veine d’inspiration, lui forgera une
loi de tonnerre de Dieu à relent
électoraliste sur «la criminalisation de
la négation du génocide arménien»,
implosant l‘alliance stratégique entre
la France et la Turquie, les anciens
complices du démembrement de la Syrie,
plombant la mobilisation anti Assad et
discréditant du même coup l’opposition
syrienne de l’extérieur chapeautée par
Paris.
Un parfait contre-exemple des annales de
la géostratégie mondiale, un cas d’école
programmé comme objet d’un futur
enseignement dans les académies
diplomatiques. On ne se méfie jamais
assez de ses amis.
On ne prête qu’aux
riches. Et lui, il est très riche, on
lui prête donc beaucoup. Beaucoup de
qualités et autant de vilénies.
Dans sa chevauchée solitaire vers la
gloire et la renommée, cet apprenti
«Maître du Monde» ignorera la moitié de
la planète, la Chine et la Russie,
détentrices d’un double verrou au
Conseil de sécurité, l’Inde, un quasi
continent, l’Afrique du sud, la nouvelle
autorité morale du continent africain,
ainsi que le Brésil, le géant de
l’Amérique latine, soit près de trois
milliards de personnes, offrant au
groupe de Shanghai et au BRIC la
première victoire diplomatique majeure
sur le bloc atlantiste depuis
l’effondrement de l’Union soviétique, il
y a vingt ans et la fin de
l’unilatéralisme atlantiste.
Piètre résultat pour un homme qui
passait parmi les plus avisés de la
diplomatie pétro monarchique, atteint
désormais de mégalocéphalite, une
pathologie fréquente à l’ombre des
derricks. Piètre résultat aussi pour le
petit génie de la diplomatie française,
Alain Jupé, le bradeur de la firme
électronique française Thomson CSF pour
un franc symbolique, le meilleur des
chiraquiens et des sarkozystes réunis.
Lui, c’est Hamad
Ben Jassem Ben Jaber Al-Thani (HBJ), des
initiales qui retentissent à la JR, de
la célèbre série américaine DALLAS. Un
homme nullement inconnu des chroniques
judiciaires des gazettes du palais, dans
leur version pénale.
Cet homme-là fit la «Une» de
l’hebdomadaire américain «Newsweek», le
8 avril 2003, le jour de la chute de
Bagdad, alors que les Etats-Unis
tentaient de mettre au pas la chaine
transfrontière qatariote Al Jazira,
alors à l’apogée de sa puissance et de
sa crédibilité.
Ce jour-là, en
phase finale de l’offensive américaine
en Irak, marquée par la destitution
médiatique de la statue de Saddam
Hussein sur la place «Al Fardaous»,
«Newsweek» annonce à grands renforts de
publicité une information sans véritable
lien avec la conduite de la guerre: le
lancement d’une enquête pour corruption
contre le ministre des Affaires
étrangères du Qatar, Hamad Ben Jassem
Ben Jaber Al Thani qui aurait été
impliqué dans le courtage dans une
affaire d’assurances et le
blanchissement subséquent de cent
cinquante millions de dollars sur un
compte dans les Iles Jersey (Royaume
Uni).
Le choix de la cible n’était nullement
anodin. Ni le fruit du hasard. Un des
vieux routiers de la vie politique du
Golfe HBJ était l’inamovible ministre
des Affaires étrangères du Qatar depuis
1992, c’est-à-dire lorsque l’accusation
est portée, depuis 11 ans, soit un homme
qui a servi les deux derniers
gouverneurs, le père et le fils.
Fils aîné de Cheikh Jaber Ben Hamad,
ancien Emir de Qatar, HBJ avait joué un
rôle important dans le coup d’état pro
anglo-saxon qui a porté au pouvoir le
nouvel Emir et passe pour être un homme
sensible aux intérêts des firmes
pétrolières anglaises et américaines.
Ni anodin, ni le
fruit du hasard, ce choix paraissait
destiné à démonter la détermination des
Etats-Unis à «caraméliser» quiconque se
dresserait contre leur projet, jusques y
compris leurs meilleurs amis, visant à
faire taire toute critique à l’égard de
l’invasion de l’Irak. Né en 1959, Jassem
est le père de treize enfants (Six
garçons: Jassem, Jaber, Tamime,
Mohammad, Fahd, et Falah) et sept filles
(Nour, Charifa, Lamya, Mayyasah, Mariam,
Alanoud, May).
Dans la répartition des rôles au sein du
pouvoir qatariote, HBJ représente la
sensibilité américaine face à l’Emir, le
parricide Cheikh Hamad Ben Khalifa,
présenté comme ami de la France.
A la tête d’une
immense fortune, qui lui vaut le titre
de l’homme le plus riche du richissime
Qatar, situé à un niveau très élevé du
hit-parade des fortunes du Golfe, Cheikh
Jassem est actionnaire de la compagnie
aérienne qatariote «Qatar Airways» et du
fond d’investissement «Qatar Investment
Authority», dont le fils de l’Emir,
Tamime, en est le président nominal.
Membre reconnu de l’Establishment
américain, Jassem est membre associé de
la prestigieuse «Brooking Institution»,
spécialisée dans les études
géostratégiques sur le Moyen orient, à
ce titre un interlocuteur régulier des
dirigeants israéliens, notamment de Mme
Tzipi Livni, ancien agent du Mossad et
ancien ministre israélien de affaires
étrangères, et à ce titre futur
coordonnateur des guerres destructrices
israéliennes contre le Liban (2006) et
contre l’enclave palestinienne de Gaza
(2008).
La neutralisation d’Al Jazira, dont les
Américains caressaient le projet de
bombarder son siège central, figurait
alors comme leur cible prioritaire.
Curieuse
information qui apparaît
rétrospectivement comme un contre feux
alors que le bureau d’Al-Jazira dans la
capitale irakienne était de nouveau la
cible de dommages collatéraux de la part
de l’artillerie américaine et que des
informations persistantes faisaient état
de l’implication de la firme Haliburton
dont Dick Cheney en était le patron
avant sa nomination au poste de
vice-président américain, tant dans des
versements de pots de vin au Nigeria et
que dans la surfacturation de
prestations pétrolières en Irak.
L’affaire tournera
court mais le message sera entendu. Le
ministre qatari ôte des Affaires
étrangères sera blanchi, promu même
ultérieurement premier ministre,
l’Amérique transférera ses bases
d’Arabie saoudite vers le Qatar, et,
dans la foulée, l’Emir de Qatar
annoncera l’éviction pour des liens
présumés avec le régime de Saddam
Hussein du Directeur Général d’Al-Jazira,
celui-là même qui avait été félicité par
l’ambassadrice américaine lors du repas
du Ramadan.
Simultanément, le correspondant d’Al-Jazira
à Kaboul et Bagdad, Tayssir Allouni,
était traduit en justice en Espagne pour
ses présumés liens avec Al-Qaîda et un
des photographes de la chaîne, Sami al
Hajj, était incarcéré pendant huit ans à
Guantanamo, avant de se voir confier la
direction d’un centre pour la défense de
la liberté de la presse.
Du travail d’orfèvrerie: Le Qatar était
dédouané au regard de l’opinion arabe,
Al-Jazira confortée dans sa crédibilité
alors que les américains obtenaient la
mise sur place d’un PC opérationnel à
Doha. Un privilège obtenu aux prix d’une
lourde servitude à l’égard de son grand
tuteur américain, qui s’est traduite par
l’installation sur le sol de la
principauté du siège du CENT COM,
Le commandement opérationnel des guerres
américaines en terre d’Islam
(Afghanistan, Irak, Yémen, Afrique
orientale), porte garantie de la
pérennité du régime, de la survie de la
dynastie et du maintien sous
souveraineté qatariote du gigantesque
gisement gazier offshore North-Dome,
contigu de l’Iran.
Effet du hasard ?
HB assumera un rôle de pointe dans la
mise à l’index de la Syrie, à l’automne
2011, dans une opération de déroutement
de la révolution arabe des rives du
golfe pétro monarchique vers la frange
méditerranéenne du Monde arabe.
Mais cette opération de dérivation de
Bahreïn vers la Libye, puis de la Syrie
a porté un coup fatal à la crédibilité
d’Al Jazira, au-delà, au Qatar, faisant
voler en éclat un édifice patiemment mis
sur pied pendant quinze ans. Une
diplomatie agressive en tandem avec la
France qui vaudra à ce pays la perte de
gros marchés dans les principautés du
Golfe, excédées par la morgue du duo.
Suprême avanie, le
camouflet infligé par New York au
premier ministre du Qatar en lui
refusant l’acquisition d’une propriété
de trente millions de dollars sur Fifth
avenue, au prétexte que le réaménagement
du lot, anciennement la propriété de la
millionnaire Huguette Clark, pour
l’installation de la nombreuse famille
princière risquait de perturber la
quiétude de la copropriété du fait de la
cohabitation au sein du même immeuble
mais dans des appartements différents
des deux épouses du Prince et de leurs
quinze enfants.
Hasard du
calendrier ou intersigne du destin,
l’annonce a été rendu publique par le
New York Times, le 10 Mai, jour de la
proclamation officielle des résultats
des élections présidentielles françaises
propulsant François Hollande comme
Président de la République française,
vainqueur du rival de l’ami tonitruant
du Qatar, Nicolas Sarkozy.
Davantage que les plus belles analyses,
cette rebuffade constitue l’indice le
plus significatif de la nature réelle
des relations entre les deux pays en ce
que le plus zélé sous-traitant américain
pétro monarchique s’est abstenu de toute
réplique sans oser faire usage d’un
argument de taille, à savoir que les
bases américaines sur son territoire
risquaient de dénaturer la souveraineté
et l’indépendance de la principauté.
Depuis lors le Qatar arbore fièrement sa
devise, non pas «l’indépendance dans
l’interdépendance» chère à l’ancien
premier ministre français Edgar Faure,
mais la forme moderne de l’indépendance
pétro monarchique: «La dépendance dans
la trop grande dépendance». Drôle
d’oxymore d’ailleurs qu’un souverain
frappé de servitude. Que ne ferait-on
pour complaire à son seigneur et maître?
A l’ombre du
CentCom (3), ses deux bases qui occupent
le quart de la superficie du pays, ses
cent chasseurs bombardiers et
ravitailleurs, sa police aux porches
rutilantes, le Qatar, dérisoires
pacotilles, relève du décor d’opérette,
et, la principauté, sous le tandem Hamad
Jassem, est devenue un bateau ivre
piloté par des automates.
Commandant en chef fantoche d’une guerre
mercenaire de déstabilisation du Monde
arabe pour le compte de ses protecteurs
américains, le duo assume avec bonheur
sa fonction de souverain servile, dont
le ralliement à la branche rivale de
l’Islam sunnite, le chiisme, d’Abdel
Rahman Qaradawi, le propre fils de leur
prédicateur attitré Youssef Qaradawi, a
retenti comme un magistral camouflet à
la logomachie paternelle, en même temps
qu’un désaveu à sa caution religieuse à
toutes les équipées atlantistes dans le
Monde arabe, au bénéfice de ses
bailleurs de fonds qatariotes.
Slogan de
dérision anti Qatar
Si le peuple cherche un jour sa
destruction
Il importe au Qatar d’y faire droit
Signé: Campagne
Nationale de lutte contre la corruption
du tandem Hamad Et Moza (épouse de
l’émir).
NDLR: L’auteur
s’est inspiré des premiers vers de
l’hymne tunisien (paroles du poète
tunisien Abul Qassem Al Chaabi) en
détournant les propos, la version
correcte du poème :
Si le peuple un jour réclame la vie
Il importe au destin d’y faire droit
Références
1-«La Brigade Al
Farouk nous tue», message des
combattants de l’intérieur à la
hiérarchie de l’opposition sur les
exactions de la brigade Al Farouk à Homs
http://www.al-akhbar.com/node/63540.
Le quotidien libanais Al Akhbar a publié
le 3 mai 2012 des messages électroniques
piratés rendant compte des dissensions
et des règlements de compte qui se sont
produits au sein de l’opposition armée
syrienne et des exactions de certains
groupements financés par l’Arabie
saoudite contre des civils, dans le but
de faire prévaloir d’autres
considérations que le primat du combat
national, de même que le rôle
d’obstruction joué par le Qatar et la
Turquie pour contrecarrer une démarche
russe auprès de Damas en faveur de
l’opposition syrienne. Et le message de
Michel Kilo, un des plus prestigieux
opposants syriens, à Bourhane Ghalioune,
le chef nominal de l’opposition externe,
à propos du rôle du Qatar et de la
Turquie.
http://www.al-akhbar.com/node/63538
«Attention à la Turquie et au Qatar».
Pour le lecteur non arabophone
Cher Bourhane,
Tu n’ignores pas qu’il m’est difficile
de te refuser quelque service que ce
soit. Mais j’ai appris que la réunion
d’Istanbul (des amis de la Syrie) a été
organisée par le Qatar et la Turquie et
que la Ligue arabe n’avait pas été
informée de cette initiative. Le Qatar
et la Turquie n’ont pas une attitude
positive à notre égard.
Je préfère Le Caire à Istanbul et
l‘Egypte à la Turquie. L’initiative de
ces deux pays est destinée à couper la
voie à une initiative russe dont tu
n’ignores pas qu’elle devait être dans
notre intérêt. Je n’irai donc pas à
Istanbul pour signer l’accord (de
regroupement des diverses factions de
l’opposition syrienne). Signé Michel
Kilo.
2-http://www.smh.com.au/executive-style/luxury/money-cant-buy-him-a-home-exclusive-new-york-building-snubs-qatari-pm–and-his-15-children-20120509-1ycpm.html
3 -Les Etats-Unis
disposent de deux bases militaires au
Qatar, le camp logistique d’Al-Sayliya
qui a abrité durant la guerre d’Irak
(2003-2011) le centre de commandement
avancé des opérations, une fonction
lourde de signification symbolique, et
la base aérienne d’Al-Udeïd, riche
notamment d’avions ravitailleurs, d’une
centaine de chasseurs et de la plus
longue piste d’envol de la région de
l’ordre de 5 kilomètres. Le CentCcom,
maillon intermédiaire entre l’OTAN
(Atlantique nord) et l’OTASE (Asie du
sud-est), est chargé de la surveillance
aérienne de l’arc de l’islam, une zone
couvrant l’espace allant de
l’Afghanistan au Maroc. Les deux bases
occupent le quart de la superficie du
Qatar 2. 500 km2 pour une superficie
totale de 11,300 km2
© René Naba
Reçu de René Naba pour publication
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